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Presse écrite


Session budgétaire Le discours du Président de l'Assemblée Nationale

Le Lynx. N° 393 - 4 octobre 1999


Le parlement guinéen a ouvert le 27 septembre 1999 sa deuxième session parlementaire et peut-être la toute dernière de cette législature. El Hadj Biro Diallo, Président de l'Assemblée Nationale, a saisi l'occasion pour faire son discours. En voici quelques extraits.

Excellence Monsieur le Premier Ministre,
Chers Invités,
Honorables députés,

Nous ouvrons aujourd'hui la deuxième session annuelle de notre parlement, qui se trouve être aussi, et peut-être même, la toute dernière de la présente législature. L'occasion semble donc opportune pour esquisser un bilan, même sommaire, de cette législature.

Mais pour apprécier objectivement notre parcours, il est indispensable de considérer le contexte dans lequel nous avons évolué.

  1. Depuis l'accession de la Guinée à l'Indépendance en 1958, c'est avec cette législature qu'elle a connu son premier parlement pluraliste, composé de plusieurs partis politiques. Et c'est en cela, par rapport, à sa composition politique que ce parlement a été volontiers qualifié de jeune.
  2. Il y a le rapport des forces en son sein qui ne peut être négligé. D'un côté une majorité jalouse de sa supériorité numérique qu'elle veut imposer à tout prix.
    De l'autre une opposition minoritaire, manquant d'homogénéité, indécise, exaspérée par un harcèlement permanent qui l'a parfois amenée à pratiquer la mauvaise politique de la chaise vide à l'hémicycle.
  3. En face de cette situation, un pouvoir habitué au monolithisme, au règne sans partage, avec lequel il faut obligatoirement composer, malgré tout.

Vous comprendrez donc les innombrables difficultés auxquelles notre jeune Institution a été confrontée durant toute cette législature. Mais de tout temps la sagesse a prévalu de part et d'autre, et on a réussi à sauvegarder l'essentiel. Il est peut-être vrai que nous n'avons pas répondu pleinement à toute l'espérance de nos concitoyens. Mais nous avons conscience d'avoir fourni à la tâche, des efforts certains.

En effet, il faut noter que notre parlement issu de neuf partis politiques est composé principalement d'anciens cadres du parti unique et de l'opposition d'hier. A première vue beaucoup de choses pouvaient opposer les membres de notre institution de manière irréductible. Il faut cependant reconnaître aux Honorables députés le mérite d'avoir su transcender les contradictions d'autrefois, et mener au sein de notre hémicycle des débats largement démocratiques, à l'issue desquels de nombreuses décisions ont été prises en toute transparence et convivialité dans l'intérêt de la nation. (…) Notre peuple aurait pu être témoin de cette belle performance et bénéficier plus à fond des résultats positifs qui s'y attachent, si on avait continué, comme à la première année, la diffusion des débats parlementaires à la radio et à la télévision. D'où la nécessité de libéraliser les médias audiovisuels, car dans ce domaine notre pays est l'un des rares à n'avoir pas encore franchi cette étape.(…)

Les relations entre le parlement et le pouvoir exécutif n'ont pas toujours été sans accrocs, loin s'en faut. Elles ont même connu des périodes de tension aiguë à certains moments. Il en a été ainsi à la suite des troubles occasionnés par la destruction de Kaporo-Rails dans la commune de Ratoma, qui ont conduit trois de nos collègues en prison. Ce fut ensuite, au mois de décembre 1998. Il y a donc dix mois de cela avant même la proclamation des élections présidentielles, l'arrestation de notre collègue candidat, l'Honorable Alpha Condé.
A la même période quatre autres députés étaient arrêtés à Kankan et Siguiri, jugés et condamnés. Dans tous ces cas regrettables on s'est catégoriquement refusé de tenir compte de l'Immunité parlementaire que leur reconnaît la Loi Fondamentale. C'est enfin l'odyssée de la dépouille mortelle de notre regretté collègue Facinet Béavogui qui a retenu l'attention nationale et internationale durant plusieurs mois. Là encore, l'abnégation et la compréhension ont pris le dessus sur les passions et l'esprit de
revanche pour faire triompher l'intérêt supérieur du pays. (…)

Nous ouvrons donc la cinquième et dernière session budgétaire de notre législature. Malheureusement, nous le faisons cette année encore sans avoir reçu communication du Projet de Loi de Finances Initiale pour l'année 2000. Nos interlocuteurs en l'occurrence de Ministre en charge de l'Economie et des Finances ont toujours fait valoir l'argument selon lequel le Gouvernement doit au préalable être en parfait accord avec le programme arrêté avec le FMI et la Banque Mondiale. Ce qui ne serait possible selon lui, que lors des sessions annuelles des Assemblées de ces deux Institutions qui se tiennent, comme on le sait, au même moment que l'ouverture de notre session budgétaire. Si par le passé nous avons toujours accepté cette argumentation, cette année les données ont changé. En effet, la mission conjointe du FMI et de la Banque Mondiale a demandé officiellement et a obtenu de rencontrer notre Commission des Affaires Economiques et Financières et du Plan. Le compte-rendu de cette rencontre vous sera distribué. Et je retiens que dans un compte rendu verbal préalable, il a été précisé que l'exécution du budget approuvé par l'Assemblée Nationale devrait démarrer effectivement le 1er janvier de l'an 2000.(…) Nous devons constater objectivement et déplorer cette négligence du Ministère ayant en charge l'Economie et les Finances de notre pays.

Honorables députés, il y a en dehors de ces retards des aspects très importants qui nous ont toujours préoccupés concernant ces projets de budget de l'Etat. J'en citerai particulièrement: le refus de faire accompagner ces projets des documents réglementaires devant nous aider à l'étude et à la compréhension du contenu de projets, au contrôle que nous devons obligatoirement effectuer sur l'exécution des budgets et la gestion de l'Etat en particulier . Ce sont:

J'ai inlassablement dénoncé le refus de communication de ces documents, vrais instruments de travail dont doivent disposer les Honorables députés. (…)
C'est le moment et le lieu de demander à Monsieur le Ministre en charge de l'Economie et des Finances de nous éclairer sur la situation de la dette (intérieure et extérieure) de la Guinée. En effet, notre pays figure, paradoxalement, parmi les pays les plus pauvres et endettés de la planète. Les Honorables députés aimeraient connaître le montant exact de la dette son impact sur le terrain pour qu'ils en informent leurs électeurs.

Honorables Députés, notre pays, la République de Guinée, connu pour ses potentialités économiques, ses immenses ressources naturelles, aurait dû, pour son niveau actuel d'endettement, connaître un meilleur sort, si la gestion avait été saine, honnête, rigoureuse, et transparente. Mais hélas, on parle moins aujourd'hui, chez nous, de scandale géologique, que de scandales financiers.
Rappelez-vous chers Collègues, le chapelet des abus commis dans nos finances publiques, depuis

A chaque fois on s'agite, de manière effrénée, on interpelle quelques menus fretins, et tout s'arrête-là. Jamais on a inquiété les vrais coupables qui bénéficient d'une épaisse couverture hérissée de piquants menaçants. Jamais un résultat concret n'a été tiré des enquêtes, dont la seule conclusion a toujours été "Affaire à suivre" !

On ne peut non plus passer sous silence les incendies criminels à la Direction Nationale de la Douane et à la Caisse Nationale de la Sécurité Sociale, incendies dont les causes ne sont toujours pas élucidées par les enquêteurs…

On n'en finirait pas d'énumérer les cas!…

Dans un tout autre domaine celui des projets, le constat n'est pas moins affligeant. Combien de chantiers ouverts à travers tout le pays, sont définitivement arrêtés faute de fonds?
Ceux qui ont été débloqués sur devis dûment établis et approuvés ayant disparu avec les entrepreneurs engagés sur contrat pour leur réalisation !

Quant à la corruption, elle ne semble plus constituer un délit. Elle est monnaie courante et n'indigne plus personne.

Mais pourquoi donc cette dégradation de la moralité chez les gestionnaires de l'Etat? Pourquoi ce laisser-aller, ce manque de civisme? Il ne faut accuser rien d'autre que l'impunité. J'ai eu souvent à dire que le pouvoir ne dénonce pas. Il sanctionne. C'est ce laxisme, l'impunité qui conduiront inéluctablement le pays à la ruine. Face à cette sombre situation quelle a été la réaction du parlement mandaté par le peuple pour veiller sur ses intérêts?… Qui ne dit rien consent!

Honorables Députés, notre session s'ouvre à un moment où l'insécurité devient chaque jour plus préoccupante. De nuit comme de jour, les malfrats, munis de toutes sortes d'armes, y compris des armes de guerre, terrorisent les citoyens. Les forces de sécurité sont littéralement débordées, malgré les efforts très appréciables et louables qu'elles déploient et l'héroïsme dont elles font preuve.
Mais là aussi le bat blesse quelque part. Les bandits arrêtés avec des risques certains pour les agents qui les traquent, retrouvent très rapidement leur liberté, à la faveur de la porosité de nos maisons d'arrêt.
On ne soulignera jamais assez que la sécurité de la cité doit être la préoccupation de tout citoyen. Il est indispensable de mobiliser toute la population, de constituer des brigades d'autodéfense encadrées et assistées par les forces de sécurité. La justice elle aussi devra jouer efficacement et honnêtement son rôle conformément à la loi. Sans la conjugaison de tous les efforts, il sera impossible d'enrayer le mal. Le Gouvernement quant à lui doit prendre des mesures rigoureuses pour obliger les réfugiés à rejoindre les camps installés à leur intention.

Honorables Députés, nous suivons tous les événements dramatiques qui se déroulent à nos frontières Sud et Sud-Est, et qui affectent nos rapports avec les Etats voisins de Sierra-Leone et du Liberia. Il est inutile de chercher à nous voilier la face. Cette situation très grave ne doit pas nous laisser indifférents. Nous devons nous interroger sur les raisons de cette situation. Je pense que nous devons reconsidérer notre politique "d'assistance militaire" en dehors de nos frontières. Les données ont fondamentalement changé dans le monde. Nous ne sommes plus dans la période des luttes de libération. Autrefois, c'était un devoir de voler au secours d'un Peuple qui lutte, les armes à la main, pour se débarrasser de l'occupant étranger.(…)
Aujourd'hui, c'est différent. Il s'agit de conflits internes fratricides soit pour assurer l'alternance, soit pour débarrasser le pays d'un pouvoir dictatorial. Il est bien vrai que quand la case du voisin prend feu, on ne doit pas rester indifférent. Mais en volant au secours, on vient avec des bassines d'eau plutôt qu'avec des bidons d'essence, si l'intention est réellement de maîtriser l'incendie. Notre politique d'implication militaire directe comportait le risque évident de nous aliéner l'estime, la considération, et le respect de nos voisins en guerre civile. Quel a été le coût humain, matériel, financier de cette politique au moment où le pays étouffe sous l'énorme poids de la dette (intérieure et extérieure), au moment où le peuple se débat désespérément pour le quotidien.(…)

J'ai conscience d'être en porte à faux avec certains. Mais quand on veut aider, appuyer un ami, un collaborateur, on lui dit la vérité, même quand elle blesse. Il faut éviter d'être de ceux qui critiquent de façon acerbe dans l'ombre les faits et actes qu'ils applaudissent frénétiquement au grand jour.

L'homme libre c'est celui qui assume ouvertement ses opinions.


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