Le Lynx. N° 387 — 23 août 1999
C'est pourtant cela. Nous avons abandonné certaines parties du pays. Quelquefois avec leurs « capitales ». Si vous vous en doutez, allez tout droit à Kankan. La ville est abandonnée. Carrément. L'Etat a tout l'air d'avoir totalement oublié qu'il avait sur le dos la deuxième ville du pays. Il ne doit pas être pénible d'avoir une ville sur le dos quand on manque de coeur à ce point. Kankan aurait dû porter plainte contre l'Etat si l'anémie qui s'en est emparée n'était pas à un stade aussi avancé, aussi critique.
Mais pourquoi Kankan porterait plainte contre l'Etat quand ses enfants préfèrent cancaner ailleurs. Il doit y avoir eu un congrès, une conférence, une table-ronde quelque part entre l'Etat et les fils de cette ville pour arriver à une entente aussi parfaire. On ne peut pas ne pas s'être entendus, au moins tacitement, pour pousser la deuxième « ville » du pays à un état aussi lamentable. Chacun a dû jouer parfaitement son rôle, sa partition, dans cette inadmissible symphonie pour plonger la ville dans cet état-là. Kankan a fini par accepter l'abandon.
Comment voulez-vous qu'il en soit autrement? A Kankan, vous ne pouvez pas communiquer. Le PNUD et l'Association des Journalistes de Guinée viennent d'y envoyer la bagatelle de 80 journalistes pour un séminaire sur le Programme National de Développement Humain. Quatre vingt communicateurs sans aucun moyen de communiquer! Heureusement pour eux. Sinon, le message aurait été catégorique: ne parlez pas de développement à Kankan. Tout le monde y a renoncé. Quand il pleut, Sotelgui n'ouvre ses guichets qu'aux environs de 10h. Dites aux besoins et aux événements de se mettre en rang. Et attendre. Le fonctionnaire, celui-là même qui empêche le fonctionnement, ne tardera plus à venir ouvrir le bureau. Surtout que la pluie a cessé. Mais pour Kankan que vaut un bureau ouvert? De toutes les façons, les araignées restent les seules à fournir des efforts visibles pour maintenir un semblant d'activités dans ces bureaux. Mais, une araignée peut parfaitement tisser sa toile dans un bureau fermé. Elle n'a pas tellement besoin de Sogel pour faire son travail. L'obscurité n'est pas une catastrophe pour elle.
Le manque d'énergie électrique, non plus.
Heureusement ! Si les araignées devaient recourir au concours de la Sogel pour tisser leurs toiles dans les bureaux de Kankan, on aurait perdu de précieuses heures de dur labeur. Si les statistiques n'étaient par aussi partiales, elles auraient clairement montré la différence de rendement entre les fonctionnaires qui ouvrent les portes des bureaux et les araignées et autres guêpes maçonnes qui y travaillent.
Cette fois-ci au moins, nous avons été bien servis. Le séminaire sur le Programme du Développement Humain, tenu à Kankan à la mi-août, cherchait également à mettre le doigt sur certaines poches de pauvreté… régionales.
Nous sommes allés tout droit dans une région, dans une « ville » prise en otage par la misère. Kankan, c'est la misère. Sur toute la longueur de la ligne.
Les Guinéens sont connus pour le goût particulier qu'il porte à la parole et à la politique. Kankan ne peut même plus parler. La parole s'est envolée. Il reste peut-être la politique. Le 16 août, Solano, le Ministre de l'Administration du Territoire a emboîté le pas à son prédécesseur pour nommer les élus locaux. La délégation spécial a été formée pour remplacer le maire en fuite. Je me demande bien ce qu'une « délégation » peut faire de spécial dans une ville abandonnée. Si le Ministre de l'Administration du Territoire connaissait le territoire de Kankan, s'il voulait embarrasser et punir les opposants RPG qui administraient cette ville, il la leur aurait simplement rendu tout. Hélas !
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