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Presse écrite

Interview de Michel Kamano,
Président du Conseil Economique et Social (Suite et fin)

La Lance. N° 160 — 12 janvier 2000


“On a évalué ce qu'on ferait de ces résultats. Mais on n'a pas été sur le terrain pour produire effectivement. Donc l'économique n'a pas suivi le politique. Et nous avons vu les résultats catastrophiques auxquels nous avons aboutis,. après 26 années d'indépendance … ”

La Lance : Selon certains, la situation socio-économique de la Guinée est catastrophique. Ne pensez-vous pas au niveau du Conseil Economique et Social qu'il faille faire quelque chose pour lutter contre la corruption ?

Michel Kamano : Notre mission, c'est de donner des conseils. C'est cela notre existence. La corruption dont on parle en Guinée, n'est pas seulement le fait de la Guinée, parce que nous connaissons, rien que dans la sous-région, si nous devions parler de corruption et procéder à des classements, je suis persuadé que la Guinée n'occuperait pas la première place. Le problème de la Guinée, c'est qu'il y a un déficit d'information. Le gouvernement fait beaucoup d'efforts pour réussir la bonne gouvernance. Mais ces efforts, malheureusement, ne sont pas portés à la connaissance du public. Et celui-ci étant désinformé, vit de rumeurs. Lorsque la rumeur commence à défrayer la chronique, il va de soi qu'on habille la réalité et finalement, on la perd. Puisqu'on en sort des commentaires sans preuves. Vous êtes journaliste, vous savez comment vous vendez votre journal. La plupart des journaux ici vendent plus des posters et des titres. Lorsqu'on parle même de ces détournements, les déclarations qui sont faites sont des déclarations “Il semblerait que, nous avons appris que”. Il n'y a pas d'éléments de preuves.

Mais, M. le Président, concernant l'affaire Friguia, c'est évidemment catastrophique, cela crève l'oeil. Le scandale est là, patent
Oui, le scandale est là. Si les gens pensent que c'est catastrophique, c'est parce que, quand il y a eu les premières indications des détournements, le gouvernement a pris des dispositions, sans informer le public. Il y a eu des audits avant que les journaux ne s'en saisissent. Les résultats de ces audits n'ont été portés à la connaissance de personne. C'est quand la rumeur s'en est saisie qu'on a commencé à en parler, à accuser tel et tel. Moi, je veux bien. L'objectif aujourd'hui d'une institution comme la nôtre, c'est de voir la Guinée placée parmi les derniers pays sur le plan de la corruption, des pays où la corruption est vraiment au niveau le plus bas possible. A un niveau acceptable. Mon souhait n'est pas de voir la Guinée à la une même dans les journaux locaux sur le plan de la corruption. C'est vrai qu'il y a eu de la corruption, c'est vrai qu'il y a eu des détournements, mais aujourd'hui, en tant que président d'institution, n'ayant pas d'éléments qui me permettent de me prononcer, je fais une analyse globale. Il y a des détournements regrettables au niveau de Friguia. A quelle hauteur? Par qui? Les tribunaux vont nous le dire maintenant. Il y a de la corruption à quel niveau et par qui? Il faut que nous ayons des éléments. Je ne disculpe ni le gouvernement, ni le partenaire parce que si vous parlez de corrompu, c'est qu'il y a des corrupteurs. Je regrette une chose et ça, c'est reconnu dans tous les pays en développement, c'est que les fonds qui ont été le plus détournés, ce sont des fonds de l'aide public au développement. Et ces détournements ne pouvaient jamais se faire sans la bénédiction de ceux qui accordent ces aides publiques au développement. C'est de connivence qu'il y a eu des détournements de fonds en faveur, peut-être, d'une poignée d'individus qui étaient aux commandes, mais avec la bénédiction d'une poignée d'individus aussi qui font partie des donneurs. S'il n'y avait pas ce tandem corrupteurs et corrompus, nous n'aurions pas connu les scandales que nous connaissons dans nos pays aujourd'hui. Il n'y aurait pas eu de retour des financements dans les pays développés alors que ces financements auraient dû servir dans nos pays. C'est un fait qu'il faut reconnaître et ce n'est pas le propre de la Guinée. Il y a eu sur le plan international ce mouvement de retour de fonds pour le financement des partis, des retours de fonds au profit des donneurs et des décideurs des pays bénéficiaires. Cela, c'est un fait qui est dénoncé sur le plan international. Il faut que dans nos pays respectifs, des dispositions soient prises pour qu'on mette fin à ce mouvement et que des fonds envoyés dans nos pays, servent effectivement au développement de ces pays. C'est pourquoi, avec toutes les institutions en place, il y a lieu que chacun fasse son travail et dans l'un des appels que j'ai lancés, je disais que le Guinéen a l'habitude de toujours voir le mal chez le voisin, il ne le voit pas chez lui. Le Guinéen ne se pose souvent pas la question: “qu'est-ce que j'ai fait cette année pour mon pays, qu'est-ce que j'ai fait cette année pour ma préfecture, ma sous-préfecture pour qu'il y ait un plus?” Il se dit toujours “qu'est-ce que l'Etat a fait ? Qu'est-ce que les opérateurs ont fait?” L'argent qui a été mis à disposition, ils ne connaissent pas les montants, ils ne savent pas pour quels secteurs, ils se disent que “cet argent a été mal utilisé”. Parce qu'il est nourri de la rumeur. Et les appels que nous lançons en tant que Conseil Economique et Social, c'est de demander au gouvernement de faire beaucoup plus d'efforts d'information en utilisant tous les médias: la presse publique et privée, les radios locales pour que les gens, dans leurs langues, sachent ce qui se passe, qu'est-ce qu'on a mis à disposition? Pourquoi? Quels sont les résultats obtenus? S'il y a eu des difficultés, pourquoi il y en a eu? Quelles sont les mesures prises pour corriger ces difficultés? S'il n'y a pas cette information, nous vivrons toujours dans ce climat de suspicion où on voit beaucoup plus le mal du coté du gouvernement, du coté des autres que chez soi. Voilà en réalité ce que nous vivons. La Guinée n'est pas exempte des phénomènes de corruption. Elle n'est pas exempte du phénomène de mal-gouvernance. Si aujourd'hui, des gens devraient être offusqués, c'est vrai, ce sont les guinéens parce que Dieu leur a donné un potentiel de développement. Malheureusement, ils n'en profitent pas. Parce que tout simplement, nous gérons mal individuellement, nous gérons mal collectivement. Nous n'avons pas donné à quelques exceptions près la preuve d'un chauvinisme positif. Le Guinéen peut tout faire, il accepte beaucoup de sacrifices, il suffit que l'information passe pour qu'il se mobilise. Regardez ce que nous avons fait avec Garafiri! Les Guinéens qui ne seront jamais éclairés par Garafiri ont contribué autant que ceux qui bénéficieront dès le départ de l'électricité de Garafiri. Pourquoi? Parce qu'on a su les informer à temps, on a su les mettre dans cet élan national et chacun a l'espoir qu'après Garafiri aujourd'hui, ce sera un autre projet demain. Les bénéficiaires d'aujourd'hui se mobiliseront pour d'autres projets demain, qui se feront ailleurs. C'est cet élan national que l'on n'a pas su jusque-là cultiver, parce qu'on n'a pas su donner la bonne information à temps. Si nous faisons un effort là-dessus, je vous assure que le Guinéen est capable de tout, il a un potentiel. En ayant cette bonne information, en se mettant au travail, en se demandant ce que chacun fait pour son pays, je vous assure que ce pays fera des miracles.

Comment concevez-vous aujourd'hui l'économie guinéenne face à la mondialisation et à la globalisation ?
La Guinée a un atout. nous avons un potentiel, nous avons des ressources humaines, mais nous avons un simple problème: c'est celui de la gestion. Il nous faut bien gérer parce que nous allons commencer un siècle qui sera marqué par cette mondialisation qui signifie compétitivité. Il y aura d'abord compétitivité au sein du pays. Il faut que les gens se sentent en compétition pour que chacun fasse mieux que l'autre et qu'au rendez-vous, chacun présente un bilan positif. Cela va donner une nouvelle dynamique à l'intérieur du pays. Il faut que nous soyons conscients de la compétitivité dans la sous-région.
Aujourd'hui en Guinée, nous n'avons pas de position favorable si nous ne nous battons pas. L'eau coûte plus cher en Guinée que dans certains pays du Sahel, l'électricité coûte plus cher ici que dans plusieurs pays de la sous-région. Et l'investisseur évalue les coûts des facteurs. Le Britannique, l'Asiatique, le Français, l'Européen, ou l'Américain qui viendrait investir ici, regardera d'abord ces coûts. Il regardera ce que son investissement lui rapporte. Si les coûts des facteurs sont meilleurs au Ghana, en Côte d'Ivoire, au Mali ou au Sénégal, il ira là-bas. S'il a l'assurance que son investissement est beaucoup plus sécurisé là-bas. Nous avons grand intérêt à réduire les coûts des facteurs chez nous, à mieux sécuriser l'investisseur, à donner la preuve que l'environnement que nous créons chez nous pour la promotion de l'investissement privé, est un environnement imbattable dans la sous-région. Ainsi, nous accéderons au 21ème siècle et nous tiendrons le coup pendant ce siècle, nous pouvons compétir et la mondialisation n'aura pas que des effets négatifs, un coût social difficilement supportable par l'économie guinéenne. Nous pouvons en profiter. Nous devons nous battre pour cela.

Pensez-vous qu'on puisse dissocier le politique de l'économie ?
Non ! on ne peut pas dissocier le politique de l'économique. Parce que le politique doit se fixer des objectifs. Le politique a pour mission essentielle le bien-être des populations. Et le bien être des population ne viendra pas par des discours. Nous nous sommes trompés pendant longtemps, on a pendant longtemps, fait miroiter un avenir radieux dans des discours politiques. Nous nous sommes rassemblés pour parler du bien-être de la population guinéenne. On a évalué nos possibilités de production, on a évalué les résultats de notre production. On a évalué ce qu'on ferait de ces résultats. Mais, on n'a pas été sur le terrain pour produire effectivement. Donc, l'économique n'a pas suivi le politique et nous avons vu les résultats catastrophiques auxquels nous avons abouti après 26 années d'indépendance. Ce pays qui s'autosuffisait en riz, en est devenu un gros importateur. Ce pays qui exportait 100 000 tonnes de bananes, n'exporte pas un kilo de banane aujourd'hui. C'est le divorce entre le politique et l'économique. Aujourd'hui, lorsque vous tenez un discours politique, il faut qu'il repose sur des objectifs économiques précis, sur des programmes précis, sur des projets précis. Et tant qu'on n'aura pas fait la lecture d'un projet dans le cadre d'un programme économique, politique et social, nous n'aurons pas de projet. Nous aurons des projets pour satisfaire les besoins, peut-être, d'une poignée d'individus, mais sans la perspective d'un développement à moyens et long terme. Et tant qu'il n'y aura pas ce meilleur ancrage entre le politique et l'économique, il n'y aura pas de développement économique et social.

Quelles sont vos relations avec le CES du Sénégal ?
Nous avons de très très bonnes relations. Lorsque nous avons été mis en place, nous avons pris contact avec les Conseils Economiques et Sociaux du Sénégal, de Côte d'Ivoire et aussi du Mali. C'est vrai que les Conseils Economiques et Sociaux du Sénégal et de Côte d'Ivoire sont beaucoup plus anciens. Le CES du Mali est venu bien après et nous, nous sommes venus bien après ce dernier. Nous avons donc pris des contacts avec nos homologues de la sous-région avant d'aller voir, plus loin, les CES qui sur le plan mondial sont des aînés. C'est le CES français qui est le premier au monde, suivi de celui des Pays-Bas. En dehors de cela, les Européens ayant compris l'importance du Conseil Economique et Social, en ont constitué un au niveau de l'Union Européenne. Nous avons pris contact avec ce Conseil et en Afrique du Nord, nous sommes allés vers le Maroc. Dans la sous-région, le partenaire avec lequel nous avons le plus travaillé est le CES sénégalais. Puisque lui, depuis sa création en 1964, il a régulièrement participé à la vie économique et sociale du Sénégal, surtout maintenant qu'il est dirigé par un ancien membre du gouvernement qui a occupé plus de six portefeuilles ministériels. Etant écouté au niveau de la Présidence de la République, il a redonné vie à l'institution. Il a réussi à convaincre non seulement les autorités mais toutes les catégories socioprofessionnelles sur le rôle d'un CES, sur ses relations avec les autres institutions et avec la société civile. Avec la Côte d'Ivoire nous avions démarré, mais cela a coïncidé avec le décès de l'ancien président du CES. Le nouveau vient d'être mis en place, mais avec les événements récents, il y aura un petit retard dans le développement de nos relations. Nous avons eu des relations avec le CES du Mali où nous avons été invités à participer à des sessions, nous les avons invité en retour à participer à nos travaux. Nous sommes en train de développer nos relations avec les CES du Bénin et du Burkina.

Propos recueillis par Benn Pépito


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