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Presse écrite

Tomas-Toma-Manias : la difficile cohabitation !

La Lance. N° 160 — 12 janvier 2000


Entre Tomas et Tomamanias, ce n'est pas le premier affrontement. Au point que chacun se demande pourquoi ces deux ethnies ne s'entendent pas? Quel est l'historique des Tomas et Toma-Manias? Des esquisses de réponse d'un notable de Macenta :
— Jusqu'à présent on n'a pas pu avoir accès à un document écrit à ce propos. L'histoire, en particulier la tradition orale, nous apprend que ces deux ethnies seraient toutes deux venues de la Haute Guinée. Mais les Tomas seraient les premiers à venir parce qu'ils ont été repoussés par leurs frères mandingues islamisés. Quant aux Manias, ils seraient venus en Forêt pour le commerce d'ivoire et de sel. En échange, ils recevaient de la Cola et de l'huile de palme. Progressivement, beaucoup d'entre eux se sont installés en Forêt en repoussant les Tomas vers la périphérie. C'est pourquoi vous ne trouverez jamais de Tomas au centre. Quand les uns s'installent les autres reculent. Pour faire la différence entre les Manias de la Forêt de leurs frères de la Haute Guinée, on les appelle des Malinkés assimilés aux Tomas. D'où la déformation de Toma-Manias.
Ce qui est à l'origine de la division entre ces deux ethnies, c'est le problème de terre.Les Tomas se considèrent comme propriétaires de toutes les terres, parce que venus les premiers. Pour le prouver ils attachent des feuilles de palmiers sur leur tête ou au bras, pour dire que partout où poussent des palmiers cette terre est toma.
L'histoire de ce conflit domanial remonte à 1997. Pour la première fois, les instigateurs de ces tueries sont venus occuper des champs de cacao sur des terres toma-manias. Le problème a été discuté et réglé. Une année après, les mêmes personnes ont repris le même acte. Ils ont été blâmés. Voilà que cette fois encore ils sont revenus. On ne sait pas si c'est pour le même problème. Mais ce qui est grave, c'est le fait d'avoir mobilisé un groupe de Tomas contre des Toma-Manias. C'est le côté pernicieux de l'événement".

L'autre version des faits !
Il n'a pas été facile d'avoir la seconde version des faits, c'est-à-dire celle de la population de Vélézou. Et pour cause? Depuis l'événement, le village est désert. Les habitants sont soit détenus à Macenta, soit en fuite. Le confrère exerçant sur place, que nous avons pu rencontrer, a été clair:
— Ne te fatigue pas. Moi-même, je ne connais personne ni de Vélézou ni de Konesséridou. Je n'ai jamais été dans ces villages.
Auparavant, il nous avait mis les points sur les "i":
— Tu es du privé. Je suis du public. Donc il ne faut rien attendre de moi et sois sûr que tu n'auras pas la vérité dans cette affaire.
Au prix de mille acrobaties nous voilà à Balizia !
Balizia, tout le monde sur le qui-vive ! A Balizia, le sous-préfet a été révoqué pour abandon de poste. Quant au président de la CRD, M. Raymond Balla Camara, il aurait été sauvagement abattu à Konesséridou. Les témoignages recueillis proviennent des habitants. Selon M. P:
— Quand Balla s'est rendu dans ce village pour présenter ses condoléances, il a été tué et son corps est resté en brousse sans être enterré. C'est le troisième jour qu'il a été découvert, dans un état de putréfaction avancée.
Un autre de préciser:
— On parle de 30 morts. Sachez que parmi les Tomas, il y a eu 4 victimes. En outre, le 31 décembre 1999, Vélézou s'était plaint aux autorités préfectorales contre les jeunes de Konesséridou qui avaient détruit 342 pieds de café, 1 pied d'oranger, 1 pied d'avocatier et 8 pieds de bananiers. Ajoutez-y les 63 pieds de café coupés à Ballamai, un autre village Toma. Ils en veulent au président de la CRD parce que celui-ci avait fait le constat et avait adressé une correspondance au préfet dans ce sens.

Gbago B…. explique:
— Tout a commencé par la prise en otages de Tomas de Vélézou par des Toma-Manias de Konesséridou déposés auprès du président de la CRD de Balizia. Pour se venger, les Tomas ont pris en otage des Tomamanias déposés également à Balizia. Ces derniers se sont armés pour aller libérer leurs frères. C'est à leur retour qu'ils ont commis des dégâts. Et les deux ethnies se sont lancées des défis. Elles devaient donc se retrouver sur la parcelle, objet du litige entre les deux villages. Cependant la lettre du président de la CRD de Balizia précisait:

le 28 décembre, les citoyens de Konesséridou se seraient rendus en grand nombre aux villages de Vélézou et de Balladou. Sur le chemin de retour, ils ont de façon préméditée détruit, à l'aide de coupes-coupes, les plantations en pleine production appartenant aux pauvres citoyens de ces villages. Face à ce comportement provocateur, je sollicite auprès de votre bienveillance l'envoi d'une mission préfectorale…

Gbago poursuit:
— Quand la bagarre a éclaté, les Tomas ont été les plus forts. C'est comme cela qu'ils ont repoussé les Toma-Manias jusqu'à Konesséridou en les tuant. Pour preuve, les militaires vous diront qu'ils ont ramassé des corps dans la brousse et le long de la route jusqu'au village de Konesséridou. Ces corps ont été regroupés à la mosquée. Cette mosquée n'a pas été attaquée, contrairement à ce que des gens avancent. Vous avez dû le constater vous-même puisque vous dites que vous venez de là-bas.

Quant à savoir pourquoi les deux ethnies soeurs ne s'entendent pas, il révèle:
— Les Toma-Manias font des plantations de café et de cacao, sans prévoir les terres cultivables. Avec l'arrivée de leurs parents du Liberia, c'est sûr qu'ils ont besoin de terre pour leur nourriture. C'est pour cela, qu'ils agressent nos forêts sans aucun respect. Voilà tout le problème.

Ce lopin de terre litigieux !
Selon certaines sources, il y a très longtemps que ce problème traîne, comme l'atteste une décision préfectorale prise au terme de quatre missions. C'était en septembre 1998. La teneur de la décision:

  1. Considérant les limites entre l'ancien village Alafédou et Konesséridou et entre Alafédou et Vélézou
  2. Considérant nos enquêtes sur les limites indiquées par les citoyens de Konesséridou et ceux de Vélézou
  3. Considérant les déclarations des deux porte-paroles de Konesséridou et Vélézou
  4. Considérant les témoignages de Ibrahima Cissé, l'un des fils du fondateur de l'ancien village Alafédou et des sages des villages voisins Malema, Balladou et Douama
  5. Considérant les déclarations des propriétaires des plantations sur les lieux de l'ancien village.

Il paraît que Konesséridou n'était pas satisfait de cette décision. Il avait donc saisi le tribunal. Avant que l'affaire n'éclate.

Bamba Bakary Gamalo, envoyé spécial