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Presse écrite


Macenta. — Affrontement entre Tomas et Tomanias

La Lance. N° 160 — 12 janvier 2000


Trente morts, une vingtaine de blessés, des dégâts matériels importants, des communautés d'une même localité divisées. Tel est le bilan provisoire des affrontements qui ont opposé, le 3 janvier dernier, Tomas et Toma-Manias de Vélézou et de Konesséridou, dans la préfecture de Macenta, autour d'un domaine litigeux.

Konésseridou, accès interdit ?

Macenta, le 7 janvier dans le bureau du préfet M. Benjamin Camara.
— Monsieur, je suis administratif, je n'ai rien à voir avec la presse. Mes choses se règlent administrativement. Ne comptez pas sur moi pour une interview.
— Où s'est passé l'événement?
— Le lieu du massacre, c'est Konesséridou.
Un des collaborateurs du préfet précise:
— C'est à 25 km d'ici, vous pouvez vous rendre maintenant à la gare routière de Guéckédou si vous voulez y aller.
Le préfet en profite pour annoncer la mort de l'Imam de Konesséridou.
— Avec ce décès, nous en sommes à 30 morts. Préparez le linceul pour son inhumation !
M. Benjamin semblait très préoccupé par cette situation.
— Je n'ai pas le temps. Je dois me rendre tout à l'heure dans la sous-préfecture de Balizia dont relève Vélézou.
A la gare routière, quelqu'un m'indique la ligne de Konesséridou. Je prends place à bord d'une vieille Renault 4. Mon jeune voisin m'apprend qu'il ne restait qu'une seule place et que d'un moment à l'autre, c'est le départ. Paradoxalement, plus de 30 minutes après, le véhicule ne bouge pas. Un monsieur assis à l'avant s'intéresse à moi:
— Vous voulez aller à Konesséridou pour quoi ?.
— Je suis un reporter. Il semble qu'il y a eu des dégâts. Je vais sur le terrain.
Alors que je pensais qu'on s'était tout dit, il descend de la voiture pour se concerter avec d'autres personnes avant de m'inviter au bureau des syndicats pour me prodiguer selon lui, des conseils:
— Mon frère, est-ce que tu as tous tes papiers ?.
Je réponds par l'affirmative. Il ne semblait pas satisfait:
— Est-ce que tu es sûr de toi ? Parce que je ne veux pas te mentir. Tu es jeune comme moi. Il vaut mieux te dire la vérité. Si tu n'es pas sûr de toi, il vaut mieux rebrousser chemin. La délégation gouvernementale était passée hier. On sait comment elle est repartie de là. Donc, quand on te voit seul, c'est inquiétant. Revois ta position.
J'ai repris plutôt ma place dans le véhicule. Des jeunes se sont succédé auprès de moi avec la même question:
- Qu'est-ce que tu vas faire à Konesséridou ? Fais voir ta carte.
De l'autre côté, c'est le chauffeur qui se fâche :
— Je n'irai pas avec ce passager. Dites-lui de descendre de ma voiture.
J'ai essayé de le convaincre, et comme j'insistais pour être du voyage, quelqu'un m'a approché pour me demander tout gentiment:
— Dans tout ça, tu es de quelle ethnie? Tu es Guerzé, Toma, ou…"
Je ne lui ai pas laissé le temps de terminer:
— Ma mère est Ivoirienne. Seulement, je ne voudrais pas qu'on voie le problème sous cet angle. Retenez que je suis envoyé par un journal qui veut en savoir plus dans cette affaire. Et soyez sûrs que ce que j'écrirai, ce sera ça.
Si ambiguë soit-elle, cette dernière intervention semble avoir convaincu mes interlocuteurs. Cependant, le chauffeur prendra soin de me réclamer les frais de transport à l'avance, au cas où… C'est ainsi que nous avons pris la route pour Konesséridou. Le premier village que je découvre est presque désert. Seul un vieillard de quelque 80 ans, est sorti d'une case.
— C'est un village toma, tous ces gens se sont associés pour tuer nos parents, mais ils verront, lance un voisin.
A 7 km, c'est un autre village. Qui serait un village Tomamania ! Un barrage est érigé par des jeunes armés de fusils et de machettes. Ils ont reconnu le véhicule, et nous sommes passés sans problème. Quelques minutes après, nous arrivons à Bouro. Il paraît que quatre gosses de la classe de première année de ce village ont trouvé la mort le 3 janvier alors qu'ils revenaient de l'école de Konesséridou. Avant ce village, nous avions croisé le sous-préfet de Binikala, M. Tiémo Kourouma, qui se rendait à Macenta. A la demande des passagers, il s'est arrêté. Mon cas est vite évoqué. C'est d'ailleurs l'occasion pour moi de me présenter et de manifester le désir de m'entretenir avec lui. Il était pris par le temps. Néanmoins, il m'a fixé un rendez-vous à Macenta à mon retour de Konesséridou.
Et nous voici à Konesséridou qui rappelle à première vue un village de Haute Guinée détruit par un feu de brousse. Ou plutôt, un village libérien ou sierra-leonais ravagé par la guerre. Les jeunes qui nous accueillent sont tous armés et nous conduisent tous au domicile du sage du village. Présentations d'usage.
— Nous venons de recevoir un journaliste. Le sous-préfet a conseillé de ne pas lui faire du mal. Il vient constater ce dont nous avons été victimes, pour le rapporter à Conakry et aux bailleurs de fonds.
La nouvelle est favorablement accueillie. Les versions varient en fonction des intervenants. Accrochez vous !

M. Valy Camara, président du district de Konesséridou.

"Pour une première fois, les Tomas se sont attaqués à nos femmes. Ils les ont dépouillées et blessées. Nous avons adressé une correspondance au sous-préfet de Binikala, M. Tiémo Kourouma. La lettre est transmise à M. Raymond Balla Camara, président de la CRD de Balizia dont relève Vélézou. Mais aucune suite n'a été réservée à la requête. Pour la seconde fois, nos femmes étaient au champ. Trois Tomas sont encore venus les attaquer. On a pu mettre la main sur eux. Mes collègues ont préconisé qu'on les ligote. Mais certains parmi nous s'y sont opposés. Nous les avons conduits au village et avons informé le sous-préfet. Le sous-préfet a mis les trois hommes, avec leurs fusils et munitions, à la disposition du président de la CRD. Encore une fois, aucune suite n'a été réservée à l'affaire. Au contraire, le président de la CRD les a libérés, alors qu'il était averti que s'il les libérait, ils auraient répété l'acte. C'était le samedi 1er janvier de l'an 2000. Le dimanche, ils ont eu le temps de se préparer pour nous attaquer le lundi 3 janvier. A 12h30, ils ont pris le village d'assaut, ils ont mis le feu avant de commencer à s'attaquer aux habitants à coups de machettes. Le bilan est lourd. Quelque 24 morts et tous les jours, le bilan s'alourdit. Nous venons d'apprendre la mort de notre imam, ce matin. Le problème est qu'au départ, des militaires voulaient se rendre ici, mais le président de la CRD leur a dit de rester et qu'il n'y avait aucune bagarre. Ce qui est sûr, c'est que le lundi, quand le drame s'est produit, le sous-préfet, le chef du PA militaire de Binikala et moi-même, sommes allés à Macenta pour informer le Préfet, le Secrétaire Général des collectivités décentralisées. Personne parmi eux ne s'est présenté ce jour-là. Le mardi 4 janvier, les corps étaient toujours exposés. Au lieu de se présenter, ils ont envoyé des gens pour nous aider à enterrer nos morts. C'est alors que j'ai exigé leur présence. Mieux, qu'ils viennent avec des caméras pour filmer ces corps et le village. C'est seulement le mercredi 5 janvier, trois jours après les massacres, que les responsables préfectoraux sont arrivés. Ensemble, nous avons procédé à l'inhumation des corps. Après ce rituel, le préfet et sa suite sont repartis à Macenta et le lendemain 6, nous avons reçu une forte délégation gouvernementale venue nous inviter au calme".

Une délégation du Gouvernement sur les lieux

Elle était composée de :

A chacun des ministres venus, un appel à la paix.

Moussa Solano :

"Je salue tous les citoyens et citoyennes de Konesséridou. La vie de l'homme est conduite par le destin. Vous avez les salutations du Président de la République. Ils vous demande la patience, car seul Dieu paye le bien et le mal. Ne pensez pas que c'est un problème de Tomas et de Manias. C'est un problème tendant à déstabiliser le pays et à opposer les citoyens entre eux. Comme les citoyens des autres pays de la sous-région (Liberia, Sierra-Leone…). Tous ici, vous avez voté pour Lansana Conté. Parce qu'il vous a donné la pleine liberté. Vous ne payez que 2000 FG d'impôt. Même un coq vendu peut payer l'impôt de deux individus. Le Président n'est pas du tout content de ce qui vous est arrivé. Les enquêtes seront menées et les auteurs seront sanctionnés sévèrement. Continuez vos travaux, les militaires sont là à votre disposition".

Kozo Zoumanigui :

"Je ne serais pas long. Le ministre Solano a presque tout dit. Pendant cette semaine, vous aurez assez de visiteurs qui vous diront beaucoup de choses. Mais n'écoutez pas les gens. Nous mettrons fin à cette situation. Acceptons, nous les musulmans de ne pas tuer. Nous sommes passés voir nos parents de Macenta et nous avons dit assez de choses. Evitons les règlements de compte. Les gens veulent affamer nos villages. Vingt ans avant aujourd'hui, ces villages n'étaient pas comme ils sont aujourd'hui. De nos jours, tous vos produits sont à votre disposition. Tous vos besoins sont satisfaits. Sachez que tous ceux qui sont impliqués ou connaissent quelque chose dans cette affaire seront poursuivis et sanctionnés. Le ministre a pris ses dispositions. Tout ce problème est arrivé, parce que le sous-préfet de Balizia n'était pas à son poste. Le ministre l'a révoqué aujourd'hui de ses fonctions. Son poste est confié à un militaire. Ne pensez pas que seuls les Manias sont victimes. Il y a aussi des victimes peules, soussous… Ce qui vous est arrivé affecte le Président. A titre symbolique, le ministre vous donne un carton de sucre, un sac de riz et 50.000 FG pour le sacrifice".

Ces messages sont-ils tombés dans de bonnes oreilles? Nous poursuivons notre visite. Les villageois m'ont conduit à la mosquée.
— Tu n'as pas vu les corps, mais tu auras la chance de voir leur sang, car jusqu'à présent on n'a pas encore lavé la mosquée", indiquent deux universitaires de la promotion 1999 qui pleurent encore la mort de leur père.
A la mosquée, où ont été regroupés tous les corps, l'atmosphère est insoutenable. Du sang humain partout. Nous y sommes entrés en pinçant le nez. A quelques pas du village, nous sommes au cimetière où ont été fraîchement ensevelis les cadavres. Deux grandes fosses communes. L'une pour les femmes et l'autre pour les hommes. Retour au village: 53 cases et 16 maisons incendiées, avec leur contenu. Argent, produits agricoles (café, cacao, riz, huile, fonio…), tout est parti en fumée. Selon les premiers inventaires, les pertes sont évaluées à plus de 30 millions de francs guinéens.
— On devrait se venger avant l'arrivée des autorités. Vous voyez, le ministre Solano avait dit que l'armée était à notre disposition. Mais est-ce que vous voyez un seul militaire ici ? C'est nous qui assurons notre propre sécurité. Depuis lundi jusqu'à maintenant, on ne dort pas. Ces gens peuvent nous attaquer à tout moment. Voilà pourquoi tout le monde est armé", fait remarquer un monsieur visiblement mal à l'aise et qui ne semble pas sûr d'être en sécurité.

De notre envoyé spécial Bamba Bakary Gamalo.


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