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Presse écrite

>Interview. — Michel Kamano, Président du Conseil Economique et Social

La Lance. N° 159 — 5 janvier 2000


“Notre fonction publique vieillit, alors que nous entrons dans un millénaire de Michel Kamanocompétitivité”, déclare à La Lance M. Michel Kamano, le président du Conseil Economique et Social, dans une interview qu'il nous a accordé le mardi 28 décembre 1999. Nous vous en livrons la première partie.

La Lance : M. le Président, le Conseil Economique et Social a-t-il atteint ses objectifs ?
Michel Kamano : Lorsque cette institution a été mise en place, notre première préoccupation était de la faire connaître, autant par ses membres que par les Guinéens dans leur ensemble et les partenaires au développement. Pour ce faire, nous avons organisé des séminaires internes pour savoir ce qu'est un Conseil Economique et Social, quelles sont ses relations avec les autres institutions de la République, quelles sont ses relations avec ses propres mandants. Ceci fait en notre sein, nous avons élargi le cercle pour parler de l'institution avec d'autres partenaires, les autres institutions. Nous avons organisé des séminaires sur nos relations avec ces institutions, sur le rôle de chacun dans la bonne marche d'une économie, dans la bonne marche de tous les aspects sociaux d'un pays. Nous l'avons fait avec l'appui des CES aînés de la sous-région, le CES sénégalais en particulier. La Fondation Friedrich Ebert a financé l'ensemble de ces séminaires.
C'était pour nous une première chose.
Le deuxième objectif a été de tenir, conformément à la loi, une session ordinaire et une autre extraordinaire. Nous avons ainsi pu tenir notre première session en 1998. Pour la meubler, nous avions reçu du gouvernement trois documents importants: le code pénal, le nouveau code de procédure pénale et le code de la famille et des personnes.
Nous avons examiné ces dossiers. Nous en avons fait une analyse qui nous a permis de formuler des avis et recommandations à l'adresse de l'autorité qui est notre partenaire légal. Celle-ci a apprécié ces observations, ces remarques, ces avis qui ont été envoyés à l'Assemblée Nationale qui les a adoptés à l'unanimité. Ce qui a développé déjà un premier round de relations entre le CES, la Présidence de la République et l'Assemblée Nationale.
En dehors de ces documents, le Conseil Economique et Social s'est penché sur des sujets qui lui semblent être des sujets d'actualité, sous forme d'auto-saisine. Parce que la loi autorise le Conseil Economique et Social de se saisir des questions qui lui semblent être des questions d'intérêt national, des questions sur lesquelles il peut partager ses avis et sur lesquelles il peut formuler des recommandations à l'autorité.
C'est ainsi que nous avons réfléchi à la problématique du riz en Guinée. Nous nous sommes tous dits que “tous les Guinéens sont d'accord que ce pays devrait cesser d'importer du riz, puisqu'il peut le produire et qu'il y avait eu déjà des programmes de développement qui faisaient de lui un pays exportateur”.
La Guinée était en effet autosuffisante à l'époque. Malheureusement, les politiques agricoles que nous avons suivies depuis le début des indépendances, n'ont pas permis la réalisation de ces projets qui n'ont pas été financés, finalement, compte tenu des conditions orageuses dans lesquelles la Guinée a eu son indépendance. Sinon, le colonisateur avait déjà bouclé les financements pour arriver à cet objectif et c'est la Guinée qui devait soutenir les autres pays de la sous-région. C'est vers ces pays qu'on aurait exporté d'abord du riz au début des années 70 et l'électricité à la fin des années 70.
Malheureusement, ces programmes, bien qu'étudiés, les financements bouclés, avec des débuts de réalisation, n'ont pas vu le jour. Dans le cas du riz, il s'agissait d'aménagements de plaines depuis Sonfonia ici, Kaback, Kakossa, Kapatchez, Kolon, Fié…
Du point de vue de l'énergie, le premier projet Konkouré faisait dix fois la capacité du projet de Garafiri qu'on a réalisé aujourd'hui. Nous nous sommes dits donc qu'en ce qui concerne le riz, nous pouvons nous fixer comme objectif l'autosuffisance sur une période donnée. “Est-ce que 5 ans c'est raisonnable?”.
Avec le département de l'Agriculture, avec des partenaires comme le FAO, la Banque Mondiale et d'autres, on est en train de réfléchir pour voir ce qu'il faut faire pour que ce qui était réalité hier le soit aujourd'hui, c'est-à-dire, l'autosuffisance en riz.
En plus de cela, nous avons parlé de la performance de la Fonction publique. Puisque nous savons que beaucoup de problèmes de développement dépendent de l'efficacité de l'administration. Nous avons des pays où il n'y a pas de ressources naturelles mais des pays qui sont leaders aujourd'hui grâce à leurs ressources humaines. Et ici, nous avons des ressources humaines. Mais sont-elles bien utilisées ? Le gros problème qui se pose, c'est que ces ressources humaines, dans l'ensemble, sont en train de vieillir. La fonction publique guinéenne vieillit. Il n'y a pas de politique d'emploi, il n'y a pas de renouvellement. On a attiré l'attention du gouvernement là-dessus pour dire: “Attention ! Nous avons une fonction publique qui vieillit, alors que nous entrons dans un millénaire de compétitivité”. D'abord, compétitivité entre les administrations. Il faut que nous ayons une administration de développement. Donc, le problème de la qualification de la fonction publique, et en même temps, celui de la création d'emplois se sont posés. On a débouché sur la compétitivité de l'économie guinéenne. On a dit qu'il faut que notre économie soit compétitive sinon, nous serons un marché pour les économies plus performantes de la sous-région. Autant de questions qui nous ont permis de réfléchir. Et pour avancer dans notre réflexion, pour rester en phase avec le gouvernement, nous avons élaboré un programme d'auditions des membres du gouvernement. Nous les avons écoutés sur chacune de ces questions pour constater les avancées faites, afin que nous restions en phase.

Est-ce que vous avez l'impression d'avoir été écoutés et compris.
Tout à fait ! Il y a déjà des activités qui vont, vraiment, dans ce sens. Vous avez certainement suivi les dernières émissions, les actions de la FAO sur le terrain en appui aux programmes du gouvernement, les missions sur le terrain du ministre de l'agriculture avec les autres partenaires, Banque Mondiale et autres. Que ce soit des partenaires multilatéraux ou bilatéraux, les actions des ONG sur le terrain en ce qui concerne le riz vont dans ce sens. Vous avez suivi également d'autres activités, ainsi que les dispositions prises par le gouvernement en ce qui concerne la politique d'emploi au sein de l'administration. L'emploi des 3 000 jeunes permettra le rajeunissement de cette fonction publique, l'injection des ressources nouvelles, de ressources humaines qui ont un oeil nouveau et qui ont d'abord pour souci, de se faire valoir par la qualification. Donc, savoir apporter à terme la qualification de notre administration pour qu'elle soit une administration de développement. Les problèmes de la compétitivité de l'économie sont une priorité du gouvernement. Les départements du commerce et des investissements privés organisent des foires, multiplient les contacts, mettent le secteur privé guinéen en phase avec le secteur privé extérieur. Des dispositions sont prises pour éviter de décourager les investisseurs. Nous avons le sentiment que quelque chose se fait et de façon positive.

Quelle appréciation faites-vous de la situation économique et… sociale du pays ?
La situation économique, dans son ensemble, la commission Economie et Conjoncture chez nous en fait régulièrement des évaluations. Il faut se dire que nous ne voulons pas faire de duplication avec les évaluations qui se font par le ministère de l'économie qui publie régulièrement un tableau de bord sur l'économie guinéenne, un tableau de bord trimestriel. Ce tableau fait une évaluation objective. La Banque Centrale, également, fait des évaluations périodiques de la situation économique quand elle publie ses statistiques. L'Ambassade de France fait périodiquement une publication, “Les échos” pour faire une analyse. Et dans l'ensemble, lorsque nous faisons un recoupement de ces différentes évaluations par rapport à l'évaluation que font les partenaires comme la Banque Mondiale et le Fond Monétaire, nous trouvons que l'économie tient la route. Il y a des difficultés internes liées à la gestion au quotidien, avec ces problèmes de détournement dont on parle et qui font la une des journaux, et la mobilisation des recettes internes qui sont, entre autres, les repères de performances dans nos rapports avec le Fonds Monétaire et la Banque Mondiale. Lorsque nous voyons, au-delà des indicateurs macro-économiques, le volume de production agricole sur le marché et la baisse des importations de riz, nous pouvons dire que sur le plan économique, globalement, nous sommes satisfaits. Il y a des difficultés qui nous préoccupent aujourd'hui, c'est la baisse du franc guinéen par rapport, notamment, au dollar. Nous en faisons des analyses. Nous n'avons pas encore d'avis et de recommandations, nous suivons l'évolution. Nous avons également des préoccupations concernant l'amélioration des recettes internes propres pour faire fonctionner, comme il faut, l'administration. Et là, il faut reconnaître les efforts du gouvernement. Si dans certains pays africains on parle de retard de quelques mois ou d'un an des salaires des fonctionnaires, ce n'est pas le cas en Guinée. Les recettes internes nous permettent de payer régulièrement les salaires et de soutenir un fonctionnement minimum de l'administration. Il faut reconnaître que celle-ci ne fonctionne pas comme il faut. Parce que déjà, si nous faisons face aux salaires, et la dette non rééchelonnable, il reste très peu de choses pour faire bouger l'administration. C'est pourquoi, elle prend un coup. Mais elle tient quand même debout et nous pensons qu'avec la reprise récente de notre programme avec le Fonds Monétaire, nous démarrerons une année 2000 bien meilleure sur le plan économique.
Sur le plan social, le problème de la sécurité reste entier avec la recrudescence du banditisme. Mais, quand on regarde dans quel environnement nous nous trouvons, quand on voit ce manque de création d'emplois, on comprendra que les jeunes qui sont les plus frappés se tournent les pouces et se laissent plus facilement tenter par des attitudes qui les mènent tout droit vers l'alcoolisme, la délinquance et naturellement la criminalité. Tout cela est préoccupant. C'est pourquoi, nous devons ensemble y trouver les solutions. Il ne faut pas que chacun attende les bras croisés, car ce n'est plus l'Etat qui va être le plus gros employeur, c'est d'abord le secteur privé. C'est pourquoi, régulièrement, nous lançons un appel au secteur privé, d'abord guinéen, ensuite étranger pour investir, pour créer des emplois, créer des revenus qui vont être redistribués pour que chacun puisse avoir une occupation qui l'éloigne du sous-emploi.

Propos recueillis par Benn Pépito


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