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Presse écrite


Interview de Charles Pascal Tolno
« C'est la notion du pouvoir qui amène les coups d'Etat »

La Lance N° 158 — 29 décembre 1999

Charles Pascal Tolno

Dans l'interview qu'il nous a accordée le 25 décembre, le leader du PPG donne son appréciation du coup d'Etat survenu en Côte d'Ivoire. Avec lui nous avons essayé d'avoir une idée de l'audience du PPG surla scène politique guinéenne.

La Lance : Comment avez-vous apprécié les événements survenus en Côte d'Ivoire ?
Charles Pascal Tolno : J'ai été perturbé par ce qui est arrivé en Côte d'Ivoire. Parce que la notion de coup d'Etat ne fait pas partie des choses qui grandissent le continent africain. C'est par ce phénomène que nous avons commencé à montrer que nous ne tenions pas les indépendances par la bonne main. Mais par des mains très fragiles. Vous vous rappelez que le premier coup d'Etat en Afrique sub-saharienne était intervenu au Togo avec le président Sylvanus Olympio. Depuis, le phénomène ne s'est plus arrêté. Il y a aussi le fait que quand nos hommes d'Etat montent au pouvoir, ils ne veulent pas le quitter. Tout le monde sait que le pouvoir est sucré. Quand on y goûte, on a l'impression que la langue n'existe qu'avec soi. On perd le sens du partage. Si les gens faisaient cela avec le sentiment qu'ils peuvent s'accrocher à la chose pour bien faire, cela tiendrait encore. Mais, voyez comment l'Afrique souffre aujourd'hui. Tout le monde peine. Il n'y a pas à manger. La misère partout. Avant, c'était une pauvreté presque ordinaire. Maintenant, c'est une misère grave. Mais à l'avant de tout cela, il se trouve que la gouvernance et l'aisance sont là. Elles s'accrochent au pouvoir. C'est cela qui a fait que le coup d'Etat est intervenu en Côte d'Ivoire. Personnellement, j'ai un sentiment de réelle amitié pour le Président Bédié. Et je ne lui souhaitais pas une perturbation dans le travail qu'il faisait. Parce que, à mon sens, c'était un homme politique posé, capable d'analyse. Mais on n'a rien compris depuis cette affaire d'ivoirité qui a frappé Alassane Ouattara, à tort ou à raison. Je ne suis pas Ivoirien pour tirer une leçon là-dessus. Mais on savait que la Côte d'Ivoire était en train de glisser sur des roues qui pouvaient un jour conduire au dérapage. Et le dérapage est-là. je le regrette. Plus nos dirigeants s'accrocheront au pouvoir sans avoir la compétence de gérer les problèmes du peuple, plus il faut s'attendre à des perturbations.

C'est donc la conception qu'on se fait du pouvoir en Afrique qui conduit à ces perturbations ?
Il y a eu, avant les indépendances, la colonisation. Une fois la souveraineté nationale acquise, je pense qu'il y avait des expériences à mettre en oeuvre. L'une de ces expériences, consistait à chercher à mettre des hommes en place. D'abord ceux qui ont fait les indépendances se sont mis en place et ils ont géré les Etats comme vous le savez autant que moi. Puis, on est arrivé à la notion de processus démocratique. Par rapport à cela, on pensait qu'au lieu de s'accrocher au pouvoir et de la façon que vous connaissez, les gens au pouvoir auraient laissé la démocratie jouer. Si vous perdez en démocratie, vous rentrez dans votre village. C'est très élégant qu'on dise: "voici un ancien président, un ancien ministre, qui passe ". Mais les gens se disent : "hier, j'étais grand. Quand je passais tout le monde s'arrêtait et se mettait au garde-à-vous. Le jour où je vais quitter le pouvoir, il ne me restera qu'une seule chose: mourir". Par cette analyse, je ne peux pas dire que c'est la notion du pouvoir qui amène les coups d'Etat. Mais le fait que les gens ne laissent pas se dérouler le processus démocratique comme il faut, avec des méthodes gênantes, on ne peut pas soigner les coups d'Etat. C'est dommage. Parce que les coups d'Etat, non plus, n'ont pas fait la fierté de l'Afrique.

Parlons de votre parti politique. Avant la légalisation des partis en Guinée, vous étiez du côté de l'opposition. A un moment donné, vous vous êtes retrouvé de l'autre côté. Aujourd'hui encore, vous rejoignez la coordination de l'opposition démocratique (CODEM)
Ce n'est pas vrai. Ce n'est pas comme ça. Mon parti a été conçu sur la scène politique guinéenne en troisième position, je crois. Bien avant le parti au pouvoir, le PUP. Nous avons créé le PPG (parti du peuple de Guinée) pour contribuer à la gestion politique du pays. Le PPG existait déjà avant mon entrée au gouvernorat de Conakry. Il existait avant mon entrée au gouvernement. Quand je suis entré au gouvernement, existaient sur le terrain politique le PUP et le PPG. Je dois reconnaître au président de la République le fait qu'il ne m'a pas violenté. Il ne m'a pas dit de renoncer à mon parti. Jusqu'aux élections de 1993. A cette occasion, mon parti a décidé de voter pour le président de la République. Puisqu'à l'époque, j'étais ministre. Nous sommes quand même en Afrique. Il n'y a pas à jouer à l'ingratitude. De toutes les façons, moi, je n'étais pas candidat. Pour assumer ma raison de citoyen, il me fallait voter pour quelqu'un. Je ne trouvais pas de meilleure position que de voter pour celui qui venait de faire de moi un ministre, et un gouverneur. Plusieurs membres de notre parti ont quitté pour cette raison. Ils sont partis voter ailleurs. Ils étaient libres. C'est cela la démocratie. Il n'y a pas de violence en cela. Chacun a voté comme il l'a voulu, mais nous sommes restés toujours dans le même parti. Vous avez posé la question d'une manière qui ne convient pas.
Après 1993, nous sommes restés dans l'Alliance pour la démocratie et pour le peuple (ADP). Qui était un ensemble de 8 ou 10 partis pas très puissants à côté du PUP, qui avaient voté tous pour le général Lansana Conté. Quand les élections se sont passées, on a eu l'impression que les gens se sont rués sur les résultats. Ils n'ont même pas eu le sentiment qu'ils pouvaient dire merci à ceux qui ont voté
avec eux. Ils se sont dits qu'ils étaient tellement forts que même si on ne votait pas pour eux, ils gagneraient. On est resté comme cela des années. Il n'y a jamais eu le moindre geste d'amitié ou d'appel à la collaboration de leur part. Alors, nous avons été candidat aux dernières élections
présidentielles. On a essayé cette voie aussi. Pour dire: "on ne va ni avec l'opposition radicale ni avec la mouvance". On a joué le jeu. On ne peut pas dire qu'on a échoué. Parce que cela nous a permis de doser notre présence sur le terrain politique en Guinée. Nous avons vu que finalement, nous n'arriverons jamais à résoudre le problème du peuple. L'opposition radicale non plus. Idem pour les autres. Nous avons décidé donc de rejoindre ceux avec lesquels on peut parler et être écouté au moins.

Comment vous sentez-vous aujourd'hui dans l'opposition radicale ?
Depuis que nous avons intégré la Codem, nous arrivons à faire passer un message. On sait que nous existons. Et nous avons fait combien d'années au sein de la mouvance présidentielle? On ne savait même pas que notre parti existait. Les autres nous étouffaient avec des attitudes presque dédaigneuses. On savait qu'ils avaient plutôt du mépris pour nous. Au sein de la Codem, le parti se développe bien. Il s'exprime. Il ne fait pas pour le moment l'objet d'une quelconque oppression. Nous avons la fierté d'appartenir à un groupe qui consolide son unité et qui a des chances de réaliser quelque chose de constructif.

Mais votre arrivée à la Codem a causé le départ de M. Jean-Marie Doré de l'UPG. C'est à cause de vous qu'il a quitté la Codem
Je ne réponds pas à ce genre de question. Il faut aller la poser à qui vous voulez, mais pas à moi.

Il semble que c'est parce qu'il ne s'entend pas avec vous. C'est pour cela qu'il a quitté la Codem.
Moi, je m'entends avec tout le monde. Sauf ceux qui ne peuvent s'entendre avec personne. Je rends visite à tous les leaders politiques de la Guinée, y compris lui. Je ne vois pas comment je peux me positionner en disant je vais essayer de comprendre mon peuple, ses valeurs, ses souffrances, ses douleurs, en vue de les soigner, et avoir des gens que je ne vais pas voir. Cela me paraît anachronique. Je crois connaître ce peuple. Je n'ai pas besoin de m'agiter pour que mon peuple me connaisse. Parce qu'il me connaît. J'ai servi partout. Je suis né en Forêt. J'ai servi immédiatement en Basse Côte. Je suis allé au Fouta où j'ai duré. Je suis allé en Haute Guinée. Je crois connaître toutes les valeurs culturelles, sociales et humaines de mon peuple. Donc je n'ai pas besoin de faire du cinéma pour qu'on me regarde à la télévision ou bien dans les journaux. Je vais posément, calmement avec qui peut me donner le temps de m'exprimer. Et je pense que de cette façon-là, cela me suffira. Je n'ai pas besoin d'agresser, de provoquer quelqu'un. Cela ne fait pas partie de mon style de combat. Je ne critique pas celui des autres. Je laisse chacun avec ses méthodes.

Le PPG n'a pas beaucoup brillé lors de la campagne pour la présidentielle de décembre 1998. Vous avez eu plutôt l'avantage de mobiliser des enfants et quelques jeunes.
Ce n'est pas vrai. Nous avons fait des meetings qui ont réuni des enfants. Dans tous les meetings que vous avez pu voir, il y a eu des enfants. Ce sont eux qui ont l'énergie, qui apparaissent les premiers. Mais, partout où nous sommes partis, nous avons mobilisé des personnes de tous les âges. Depuis les vieillards jusqu'aux personnes d'âge moyen, des adultes, des cadres, des intellectuels. C'est un
honneur que vous me faites si vous dites que ce sont les enfants, les jeunes qui étaient l'essentiel de ceux qui ont opté pour moi. Cela veut dire que l'avenir est entre les mains du PPG. Peut-être que nous avons eu des difficultés d'ordre économique. On a sorti de l'argent des caisses de l'Etat. Un milliard. Qui devait être partagé entre tous les 5 candidats retenus. Le PPG a été écarté. Nous nous préparons pour monter un dossier et porter plainte. Il nous faut obtenir les 200 millions qui ont été annoncés.

Et votre différend avec le PUP au sujet de l'emblème ?
Il n'y a pas de différend. Nous avons notre emblème. Et la loi est claire. Elle dit que celui qui a eu l'emblème le premier est le propriétaire de la chose. Je n'ai pas vu ici un seul leader politique qui ait pris la parole pour dire qu'en Guinée, la loi n'a pas de valeur… Il n'y a pas de loi en Guinée. On monte les lois pour tromper, peut-être l'opinion des bailleurs de fonds, mais pas celle des Guinéens. Sinon, il est écrit noir sur blanc que par rapport à l'emblème et au statut d'un parti, ce que vous écrivez dans un parti aucun autre ne doit le répéter. Si quelqu'un le faisait, le jour où l'on doit trancher, on trancherait en faveur du premier. Nous sommes les premiers, on veut trancher en faveur des seconds. C'est le mépris de la loi. Aujourd'hui nous utilisons notre logo, la colombe, de la façon la plus normale. A chaque élection, on mettra la colombe comme principe.

Vous aussi, il semble que vous ayez été au centre d'un petit scandale financier quand vous étiez ministre !
Jamais ! Les gens n'ont fait que me guetter par cette porte. Quand j'ai quitté le département, il y a eu près de 9 inspections qui sont passées. Jamais elles n'ont trouvé quelque chose. Au contraire, au moment où nous parlons, certains membres de ma famille vivant à l'étranger ont investi de l'argent pour rénover des universités et autres. Cet argent, l'Etat ne l'a pas remboursé jusqu'à présent. Je n'ai jamais entendu cela en tout cas. Jamais, je n'ai vu quelqu'un venir me dire qu'il y a eu mauvaise gestion de ma part.

L'année passée vous avez initié une loterie. Pensez-vous que ce soit vraiment crédible pour un homme politique de faire jouer l'avenir d'un pays à partir d'une loterie, de développer un pays sur un jeu de hasard ?
Mais ce n'était pas moi. je suis président d'honneur d'une structure. Cette structure conçoit un jeu de hasard pour trouver de l'argent en faveur des déshérités, des pauvres, en rapport avec le gouvernement et sur la base de principes élaborés et acceptés. Je ne vois pas où est le problème s'il s'agit de trouver de l'argent pour le donner à ceux qui n'en ont pas du tout. En plus, c'est pas moi qui l'ai fait en tant que tel. C'est une structure, une fondation dont je ne suis qu'un homme à distance. Maintenant, quand elle a des difficultés, je suis obligé de m'approcher. Pour aider à les gérer. C'est naturel. Cela fait partie de la mission qui m'a été assignée par les créateurs de la fondation. J'ai essayé de l'assumer. Il est bien dit que cet argent-là est destiné à aider ceux qui souffrent à souffrir moins: les réfugiés, les orphelins.

Propos recueillis par Benn Pepito


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