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Presse écrite
La Lance

N° 140 — 11 août 1999


Interview
A bâtons rompus avec Naby Youla
Conseiller personnel du président de la République

Le mercredi 4 août 1999, La Lance a été reçue dans les locaux de la Présidence par le conseiller personnel du président de la République: M.Naby Youla. Il a accepté de se prêter à toutes nos questions sans aucune réserve. Un entretien de près de deux heures d'horloge, dont nous livrons la première partie.

La Lance : Vous avez occupé de hautes responsabilités sous le régime de Sékou Touré. Aujourd'hui vous êtes le conseiller personnel de Lansana Conté. Qu'est ce qui vous a marqué entre ces deux époques?
Naby Youla : ( Soupire). Forcément les époques se suivent et ne sont pas obligées de se ressembler. J'ai effectivement été sous la présidence de feu Sékou Touré son représentant personnel auprès du général De Gaulle. Je vous en passe les détails. Ensuite premier ambassadeur qui a crée l'ambassade de Guinée à Paris. J'ai été secrétaire d'Etat à la présidence de la République de Guinée chargé de l'information à l'époque. J'ai été secrétaire général de l'Assemblée nationale de l'époque. C'était à l'époque de la guerre froide. Et puis comme cela peut arriver j'ai choisi à un moment donné de m'éloigner. Je suis donc parti pendant 17 ans. Je suis revenu en Guinée seulement en 1991. Evidemment quand je dis 17 ans, je suis parti de l'administration guinéenne en mars 1967. Et puis je suis revenu lorsque les militaires ont pris le pouvoir. En avril 84. Mon retour définitif n'a eu lieu qu'en 1991. Et depuis je suis là avec le nouveau chef de l'État. Qui se trouve être, disons sur le plan de l'homme, différent du président Sékou Touré. Les tempéraments des deux ne sont pas les mêmes. Autant le premier était plutôt porté vers l'offensive. Il le disait d'ailleurs pour rire: “Lorsque vous avez affaire à un politicard il faut être à l'offensive pour que, lui, il soit obligé de courir après vous, donc sur la défensive”. Celui qui est là c'est bien le contraire. Il est calme. Il est même introverti. C'est dire que c'est un monsieur difficilement classable. Mais compte tenu de l'expérience que la vie m'a accordé avec ses hauts et ses bas, ses grandes difficultés et ses petites joies, je crois que j'ai apprécié énormément que le président actuel de la Guinée m'ait demandé de venir à ses côtés et d'assumer ce poste de conseiller personnel. C'est-à-dire quelqu'un qui se trouve tout à fait en dehors de la grande façade, de la grande cohue. Qui à la possibilité parfois même de se faire oublier. Et à qui il plaît au chef de l'État.

Quel est le rôle d'un conseiller personnel du président de la République?
M. Lansana Conté est un monsieur qui se conseille lui même. Parce que déjà il est très posé, très réfléchi. Ceux qui ne le connaissent pas trouvent même quelque fois qu'il est lent. Mais je crois que ses décisions, il sait les mûrir. Etre son conseiller c'est surtout savoir être dans son ombre, ne pas l'importuner par sa présence à tout moment, ne pas l'importuner par le désir de paraître. De savoir le servir même à son insu. Lorsqu'on sait que le service qu'on rend, on le rend à lui et au-delà à la nation sans avoir s'en vanter, à se montrer. Parce que la qualité d'un conseiller d'un chef d'Etat c'est d'abord savoir s'effacer.

Est ce que vous le rencontrez souvent?
Je le rencontre quand il estime nécessaire de me rencontrer. Ce n'est pas à moi d'aller vers le chef de l'État. Quand il a besoin de me voir, c'est lui qui demande que je le vois. Je ne vous dirai pas quelle est la cadence.

Est ce qu'il lui arrive de vous solliciter sur des question relatives à la gestion du pays?
Ah! Oui, je sais bien ce que les gens disent. On raconte beaucoup que si ça ne va pas à la présidence de la République c'est parce que le président a un mauvais conseiller. (Sourire) En l'occurrence M. Naby Youla. Mais j'ai le dos large. J'en ai vu beaucoup. J'ai beaucoup vécu. Je sais simplement une chose: c'est que si l'occasion se présente et j'estime que j'ai quelque chose à dire au président, je n'ai pas à respecter un intermédiaire, une hiérarchie. Le Président Lansana Conté est un monsieur qui sait écouter.

Il paraît que vous avez été aussi conseiller du défunt président Mobutu Sésé Séko Waza Banga…
Ah! voilà une histoire qu'on me prête beaucoup. Je suis allé au Zaïre parce que je ne voulais pas, lorsque j'ai quitté la Guinée, me situer trop près de notre pays. J'ai voulu aller le plus loin possible. J'avais des amis qui étaient là-bas et qui m'ont demandé de les rejoindre. Pour éviter d'être dans l'environnement immédiat de la Guinée. Je suis allé. Mais peut-être que mon nom m'a précédé. Le Président de l'époque M. Mobutu a tenu à me connaître. J'ai été honoré de le connaître. Nos relations ont été amicales. C'est tout ce que je peux vous dire. Mais dire que j'ai été son conseiller ce serait prétentieux.

Alors, quelle était la nature de vos relations avec Mobutu.
Nos relations étaient simplement des relations d'homme à homme. Je n'étais pas chez moi. Je n'avais pas le droit de m'ingérer dans les affaires intérieures d'un pays qui n'était pas le mien. Je n'étais pas fonctionnaire de ce pays. Je n'étais pas, disons, à une place qui relevait de l'administration de ce pays. Donc comme à toute personne qui peut-être considérée comme un immigré, un étranger, je n'avais qu'une chose à faire. Pour ne rien vous cacher: J'étais commerçant au Zaïre. (Esquisse de sourire!). Je dirigeais, en tant que directeur général, une maison de commerce qui s'appelait: “KIN-MAZIERE”. Qui était très connue. Et nous faisions le commerce de “prêt à porter”, de pagnes. Et voilà ce que je faisais pour l'essentiel.

Qu'est ce que vous voulez que la postérité retienne de vous ?
Je dis souvent que les meilleurs fils de ce pays ne sont plus. Ils sont morts. Ils sont partis. Les plus intelligents, les plus valeureux. Je n'ai aucun mérite d'être encore là. Et je me dis si je suis encore ici c'est peut-être parce que le tout puissant attend de moi que je délivre encore quelques messages. Et ces messages sont des messages de sagesse. Des messages à cette jeunesse qui a déjà les pieds à l'étrier. Cette jeunesse qui doit assumer, qui doit porter le flambeau plus haut que nous l'avons porté. Je suis derrière comme un mur pour éviter en cas de besoin que cette jeunesse, lorsqu'elle a besoin, n'ait à réinventer l'eau chaude. S'il plaît qu'on me demande un conseil je suis prêt à le donner. Pour faire éviter les erreurs que, moi même, j'ai commises.

Qu'est ce que vous regrettez dans votre vie?
Eh, bien! je regrette de n'avoir peut-être pas fait plus que ce que j'ai fait pour mon pays. Beaucoup seraient contents peut-être d'avoir fait certaines choses. Moi j'aurais souhaité faire plus. Mais j'ai fait ce que j'ai pu.

Parmi vos amis qui sont partis, on cite un qui vous étiez très lié: le regretté Barry Dianwadou.
Barry Dianwadou n'était pas seulement un ami! C'était un frère, Barry Dianwadou et moi, d'abord depuis l'école, et puis dans la vie administrative, nous nous sommes beaucoup fréquentés. Nous avons fait beaucoup de choses ensemble. Et c'est un des garçons que j'ai beaucoup respecté de par son intelligence, son intégrité, sa loyauté, son courage, son honnêteté. En tout cas des Barry Dianwadou, je souhaiterais qu'il y en ait encore beaucoup dans ce pays et pour ce pays.

Quelle a été votre réaction face à Sékou Touré après la disparition de Dianwadou?
Eh, bien! vous savez les chefs d'Etats sont malheureux. Je l'ai dit un jour au Président actuel: “J'ai pitié des chefs d'Etats”. Il y a très souvent des actes qui sont de leurs faits. Mais il y a des actes qui sont du fait de ceux qui les entourent. Et ils doivent assumer. Dieu seul sait dans toutes ces choses ce qui peut être attribué directement à M. Sékou Touré et ce qui lui vient de son entourage. Et si aujourd'hui dans l'entourage de M. Lansana Conté, je fais partie de ceux là qui peuvent éventuellement être responsables et que le chef de l'Etat assume. Donc il m'est difficile de tirer une conclusion quelconque en dehors du regret que j'ai eu de constater la disparition d'un de mes meilleurs amis: Barry Dianwadou. Quant à porter un jugement sur le président Sékou Touré concernant cette mort, Dieu appréciera. Il saura reconnaître les siens.

Est-ce qu'il vous est arrivé d'avoir attiré l'attention ou de M. Sékou Touré ou du Général Conté sur le mauvais chemin emprunté?
On n'appelle pas le chef de l'Etat pour lui dire: “Vous êtes sur le bon chemin… vous êtes sur le mauvais chemin…”. Il faut d'abord faire son devoir soi-même. Etre, disons, conscient que nul ne détient la science infuse. Il y a des manières de suggérer, des manières de faire apprécier, des manières de convaincre, dans le respect, en ayant toujours à l'idée qu'on n'a pas le monopole de la vérité. Qu'on peut exprimer son avis, se faire convaincre de l'idée contraire et reconnaître que c'est l'autre qui a raison.

Est-ce que le Général Lansana Conté lit les journaux du pays?
Il lit de temps en temps. Quand il peut. Mais quand vous voyez la charge d'un chef de l'Etat, normalement c'est son bureau de presse qui devrait, qui doit d'ailleurs et qui le fait certainement, faire des synthèses pour lui. Aucun chef de l'Etat ne lit les journaux. Mais on lui fait des synthèses. Et quand il a l'occasion à partir de la synthèse qu'on lui fait, il peut demander à lire un article.

Tantôt vous parlez de la jeunesse, justement cette jeunesse est traumatisée en ce moment par le chômage, le non emploi…
On dit que ça ne va pas. Il y a le chômage. Il y a telle chose. Mais je vous dirai à partir de ce que j'ai entendu à une époque de ma vie d'un grand chef d'Etat français qui disait au conseiller ceci: “vous avez la mémoire courte. Vous dites que ça ne vas pas. Il y a chômage. Il y a beaucoup de choses qui ne vont pas. Un conseil: Lorsque vous rencontrez quelqu'un qui vous dit les choses ne vont pas, demandez à cette personne ce qu'elle fait pur que les choses aillent mieux”. (sourire!)

On est dans une situation d'impasse politique, avec l'arrestation de Alpha Condé… C'est comme s'il y a l'électricité dans l'air…
Comme c'est merveilleux la démocratie! Vous dites ce que vous pensez. Permettez moi aussi de vous dire que je ne suis pas habilité à faire une espèce de confusion, un mélange des genres. Vous parlez d'une arrestation. A partir de l'arrestation c'est le pouvoir judiciaire. Je suis l'Exécutif. Même à moindre degré, je n'ai pas à m'immiscer dans les affaires du pouvoir judiciaire. Tout comme je n'aurais pas la prétention de m'immiscer dans les affaires du législatif. Alors si vous permettez, je m'arrêterais à une simple conclusion: que vive la démocratie ! Vous dites que ça ne va pas! Et je ne vous coupe pas la gorge. Je vous écoute avec le sourire même. Mais je dis simplement ça pourrait aller mieux si vous et d'autres venez vous joindre à ceux là qu'ils trouvent aujourd'hui insuffisants. Je vous pose la question que faites vous pour que ça aille mieux ? Et je saurai, moi, ce qu'il faut faire pour que les choses aillent.

Propos recueillis par Benn Pepito