webGuinée
Presse écrite
La Lance

N° 144 — 20 septembre 1999


Interview de Jean-Marie Doré, leader de l'UPG

… l'Ulimo de Elhadj Koromah continue de semer la pagaille en Guinée et au Liberia

Jean-Marie Dore

« Il y a entre le gouvernement guinéen et le gouvernement libérien des gens qui pêchent en eaux troubles » affirme M. Jean Marie Doré, député à l'Assemblée Nationale. Au lendemain de l'attaque armée contre la Guinée le 10 septembre à la frontière avec le Liberia, nous avons rencontré le leader de l'UPG. Il nous a accordé une interview non en tant que "leader d'opinion" mais en tant que "citoyen". Nous avons abordé en particulier la détérioration des relations entre le Liberia et la Guinée.

LA LANCE : Que pensez-vous de cette attaque attribuée à l'armée libérienne contre la Guinée dans la sous-préfecture de Daro à Macenta ?

Jean Marie Doré : Je regrette profondément cette évolution. Je voudrais qu'en dépit de l'incident, ceux qui oeuvrent pour la paix aux frontières de la Guinée et du Liberia en tirent un motif supplémentaire pour continuer à travailler pour la paix. et ne pas jeter la manche après la cognée. Ce serait très grave. Parce qu'aujourd'hui, le Liberia vient de sortir de 7 ans de guerre, il a besoin de paix pour se reconstruire. La Guinée est indépendante depuis 40 ans, elle est confrontée à des problèmes d'organisation économique et financière. Tous ces problèmes ne peuvent être abordés avec le concours de toutes ces intelligences nationales et la coopération du dehors que s'il y a un climat de paix. C'est pourquoi je pense que ces derniers incidents doivent être un motif supplémentaire pour les uns et pour les autres de continuer à agir auprès des deux gouvernements pour arriver à la concertation.

Au mois de juin dernier, vous avez rencontré personnellement le Président Charles Taylor. De quoi vous aviez parlé ?

JMD. D'abord c'est un ami. Je m'étais interdit pour des questions de morale politique, d'aller au Liberia aussi longtemps qu'une situation légale n'y avait pas cours. Nos soldats se battaient là-bas. Dans un contexte que vous savez et qui ne m'appartiens pas de qualifier. Donc, j'avais pensé depuis toujours qu'il serait déplacé de ma part d'y aller. Maintenant que les élections ont eu lieu sous supervision internationale, le résultat a été proclamé, que Charles Taylor l'a emporté de façon claire, j'ai pensé qu'il fallait que je me rende au Liberia. Je me suis rendu là-bas à trois reprises. Une première fois, pour le saluer et saluer mes parents. (J'en ai beaucoup au Liberia). Une deuxième fois, dans le cadre de la concertation des parlementaires des pays membres de Mano River Union. Quatre députés étaient du voyage: un du PUP, un de l'UPR, un du RPG, et moi-même pour l'UPG. Cela s'est très bien passé. Et puis, en route pour les Etats-Unis en juin, je m'étais aussi rendu là-bas. A cette occasion, nous avons exclusivement parlé de l'obligation absolue et catégorique pour le Liberia de tout faire pour qu'il n'y ait pas de conflit dans ses relations avec la Guinée.
J'ai de la parenté au Liberia mais ma patrie c'est la Guinée. Le gouvernement guinéen est celui de mon pays. Cela m'impose un devoir à tout prix de chercher à ce qu'il y ait la paix entre la Guinée et le Liberia. En plus, c'est un devoir parlementaire pour moi, je suis vice-président du groupe d'amitié liberio-guinéen. Donc, je suis allé voir Charles Taylor. Je vous le répète. Il n'y a pas de secret dans mes rapports avec lui. Je lui ait dit que Lansana Conté a bientôt 15 ans de pouvoir. Donc, on peut dire que sa carrière présidentielle est derrière lui.
Lui, Taylor, il vient d'être élu. Il a promis à son peuple un programme sur lequel il a été élu. Il a besoin de temps et de paix pour réussir. Entre les deux, celui qui doit prendre toutes les initiatives de paix, c'est Taylor. Et je lui ai dit comme je vous parle, tant qu'il est mon ami s'il réussit vraiment j'ai gagné deux fois. Parce qu'un ami aura réussi mais surtout un voisin de mon pays aura contribué d'une certaine manière à la promotion de l'économie de la Guinée. Pourquoi? Quand vous rencontrez 100 opérateurs économiques au Liberia (Saniquellie, Gbarnga, Lofa, Monrovia…), 60 sont des guinéens. Toutes origines nationales confondues asiatique, européenne, américaine, africaine, 60 % des hommes d'affaires sont des guinéens.
Donc, cela fait aussi une obligation pour la Guinée de tout faire pour ne pas céder aux chants de guerre et de veiller à ce que ces intérêts-là ne soient pas mis en cause. Parce que l'intérêt national ce n'est pas seulement les intérêts du gouvernement. Il y a la sécurité de son ambassadeur et des investissements publics, mais aussi l'addition de tous les intérêts privés.

On voit que Charles Taylor n'a pas suivi vos conseils…

JMD. Non! Je vous ai dit d'entrée que Charles Taylor a suivi mon conseil. Le Président Lansana Conté, je crois, tient compte de ce que je dis. J'ai dit d'entrée qu'il y a des gens de part et d'autre qui poussent à la guerre. Je ne vous ai pas dit que les chefs du gouvernement poussent à la guerre.
Dans cette affaire il y a une psychologie à prendre en compte obligatoirement de la part des acteurs diplomatiques, militaires, économiques aussi bien en Guinée qu'au Liberia. Ce sont nos deux chefs d'Etat qu'il faut amener à considérer la paix. Ils sont profondément marqués. J'allais dire très typés. Charles Taylor a été pendant 7 ans chef guérillero. Lansana Conté, chef d'Etat depuis 14 ans. Il est militaire, et depuis très longtemps il est officier, de carrière. Il faut tenir compte de ces caractères pour aborder les problèmes. Le guérillero, comme le chef militaire, n'aime pas les défis. Quand vous lui lancez un défi, il le relève. Donc aujourd'hui, je crois que nos deux pays sont victimes des pêcheurs en eaux troubles. Mais, je ne peux pas aller en profondeur.

Qu'est ce que vous comptez faire dans l'immédiat à la suite de cette attaque qui a fait 28 morts?

JMD. Vous savez, quand il y a des affrontements il y a forcément des morts. Mais, on ne peut pas s'arrêter sur le corps des morts. Il faut tenir compte des morts pour réévaluer les moyens de la paix. C'est compte tenu des morts aujourd'hui que nous devons dire peut-être que l'approche qu'on avait eu jusqu'ici de ces problèmes n'était pas la meilleure. Et qu'il faut changer la façon d'aborder le problème des relations liberio-guinéennes. Je crois que dans les semaines qui viennent, des initiatives seront prises du côté du Libéria pour aborder ses relations avec la Guinée, dans le sens exclusif de la paix. Parce que, j'insiste, il y a indépendamment de la volonté des gouvernements, des gens qui ont intérêt à l'affrontement. Et la responsabilité des gouvernements, c'est d'éviter d'être victimes de ces gens-là. C'est fondamental.

Vous pensez vraiment qu'il existe de part et d'autre des pêcheurs en eaux troubles?

JMD. Oui, absolument! J'affirme catégoriquement : il y a entre le gouvernement guinéen et le gouvernement libérien des gens qui pêchent en eaux troubles. Nous devons chercher à bien délimiter leur champ d'action. Pour savoir qui ils sont, les isoler afin qu'obligatoirement la République de Guinée et la République du Liberia puissent s'entendre. Parce que ces conflits de frontières sont “naturels”. Il n'y a que les voisins qui, en se mouvant, se marchent sur les pieds.
Mais aujourd'hui la Guinée et le Liberia sont victimes des gens qui n'ont pas intérêt à ce que la complémentarité nécessaire sur les plans politique, économique, humain, joue en faveur de la promotion de nos deux pays. Auxquels il faut ajouter obligatoirement la Sierra Leone. Parce que le pourcentage que j'ai donné des hommes d'affaires guinéens qui réussissent au Libéria se retrouve dans la même proportion avec la Sierra Leone.
Même si notre pays a le sentiment que quelque part le 10 septembre il a été provoqué, il doit toujours se mettre dans la tête que son intérêt primordial c'est au sud. Bien que le fleuve Mano ne soit pas navigable en territoire guinéen.

A votre retour du Liberia vous aviez proposé de rencontrer le président Conté pour offrir des bons offices. Qu'en est-il aujourd'hui ?

JMD. On ne fait pas la diplomatie comme cela dans les colonnes des journaux. Je crois quand on dit qu'on veut rencontrer le président Conté, nominalement, physiquement, c'est le chef de l'Etat. Je crois que le gouvernement dans son ensemble est pour une approche responsable et pacifique du problème avec le Liberia.

Selon vous, pourquoi votre rôle de médiateur n'a pas abouti en Guinée?

JMD. Mais qui vous dit qu'il n'a pas abouti? Je vous ai dit qu'il y a des pêcheurs en eaux troubles. Qui ont des racines qui s'enfoncent dans des terreaux pas toujours identifiables. N'oubliez pas qu'il y a des hommes d'affaires qui opèrent en Guinée et au Liberia et qui peut être n'ont pas intérêt à c'est qu'il y ait la paix! Il y a des gens qui ont des stocks d'armes et qui cherchent à les écouler. Vous savez, c'est la marchandise la plus facilement vendable et ça rapporte gros. Donc, la marche vers la paix, c'est non seulement négocier, mais c'est de chercher à freiner, annihiler les forces périphériques souvent incontournables. Je continue d'agir et j'ai de l'espoir maintenant. Parce qu'au Liberia, existent des forces de plus en plus responsables à des niveaux très élevé.
En République de Guinée, il y a des hommes et des femmes de plus en plus conscients du rôle de la Guinée dans la sous-région. Ils sont en train d'agir. Ils sont même plus pressés que moi d'agir pour qu'il n'y ait plus de coups de feu aux frontières entre le Liberia, la Sierra Léone et la Guinée.

Cette attaque du 10 septembre a excédée les populations guinéennes.

Vous savez, il faut faire très attention. Personne ne sait exactement ce qui s'est passé. Les chiffres qu'on a donnés, 28 morts, c'est déjà trop. Moi, je crois que les affirmations hâtives constituent aussi un des pôles d'incertitudes dans nos affaires.

Vous avez quand même été un peu vague sur les pêcheurs en eaux trouble. On sait précisément qu'à Macenta il y a l'Ulimo. Est-ce que vous pensez à des pêcheurs en eaux troubles plus influents du point de vue de l'extérieur ou bien il y a également des gens qui ont intérêt à appuyer les factions libériennes à partir de la Guinée?

JMD. Ce n'est pas vague! Mais je suis en train de faire des démarches auprès des gouvernements souverains. Qui m'ont fait l'honneur de me prêter leur attention. Cela m'interdit de parler n'importe comment. Je ne vais pas vous le cacher, ce n'est pas un secret d'Etat : l'Ulimo de Elhadj Koromah continue de semer la pagaille en Guinée et au Liberia. Il y a des gens au Liberia que Charles Taylor doit freiner. Qui cherchent aussi prétendument à régler leur conflit avec l'Ulimo où qu'il se trouve. Mais, au bout du compte, est-ce que ces gens ne souhaitent pas que l'armée libérienne sorte de ses frontières pour frapper l'Ulimo partout où il se trouve? C'est à dire amener la Guinée à réagir au titre de la violation de ses frontières pour entrer en conflit avec Charles Taylor. Je ne sais pas… Mais en tant que quelqu'un qui s'intéresse à ces dossiers, j'ai le devoir de tenir compte de toutes les possibilités d'interventions. Ce que je sais avec certitude, c'est qu'au Liberia face à Charles Taylor, et peut-être dans les allées du pouvoir [à Conakry], sans le vouloir peut-être, il existe [des gens] qui aimeraient continuer à faire des affaires en poussant la Guinée à une action armée contre le Liberia. Je ne le souhaite pas. Moi, je suis leader de l'opposition. Je veux que les choses marchent bien légalement dans mon pays. Nous allons aux élections avec des affirmations fantaisistes soit sur la révision des listes électorales soit sur la mise en place d'un organe de contrôle et de gestion de ces élections. C'est impossible de parler de la démocratie là où tonnent les canons.
J e lance un appel à tous les guinéens de bonne volonté, qu'ils soient de l'opposition ou de la mouvance, qu'ils peuvent agir pour ramener la paix et la confiance entre le Liberia et la Guinée. Ils peuvent donner leurs moyens et leur énergie au gouvernement pour la paix. C'est cette paix qui va nous permettre de travailler pour organiser l'alternance.

Propos recueillis par Diallo Souleymane et Benn Pepito