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Presse écrite
La Lance

N° 146 — 6 octobre 1999


L'état de la Nation !


Le samedi 2 octobre dernier, la République de Guinée a eu 41 ans. Ses forces et ses faiblesses d'aujourd'hui sont à la fois le produit de la révolution du Président Sékou Touré, du libéralisme de son successeur, le Président Lansana Conté.

Quelles sont ses principales forces ?

Sur le plan politique, il y a les progrès réalisés en matière de démocratisation. Force est d'admettre qu'en 1999, les Guinéennes et les Guinéens jouissent d'une plus grande liberté d'expression et d'association. L'existence de nombreux partis politiques et d'une presse privée écrite en témoignent. Les ondes n'ayant pas encore été libérées. Cependant, la démocratisation est un processus lent, évolutif. Sa lenteur, loin d'exaspérer, les femmes et les hommes épris de liberté, devrait plutôt mettre à contribution leur persévérance, leur opiniâtreté.

Sur le plan administratif, la politique de décentralisation, en dépit de ses insuffisances, s'est révélée comme l'approche la plus efficace pour faire des populations à la base, les véritables auteurs du développement.

Sur le plan économique, la liberté d'entreprise a succédé à la planification forcenée. Cela a conduit à une débauche d'efforts afin de promouvoir le secteur privé. A cet égard, l'Etat s'est désengagé du secteur productif, pour en laisser la maîtrise au privé. Les effets pervers de la privatisation ne sont certainement pas les principales causes des difficultés qui entravent la promotion de ce secteur.

Sur le plan social, on observe depuis quelques années, l'émergence de la société civile à travers le développement du mouvement associatif. La formation de nombreuses ONG, de syndicats, d'associations de jeunes et de femmes, de chambres consulaires corroborant ce qui précède.

Les progrès de la démocratisation, la vigueur de la liberté d'expression et d'association ont généré une situation inhabituelle qui fait aujourd'hui croire que la Nation dérive vers l'éclatement, la désintégration. Cette perspective semble préoccuper sérieusement le pouvoir au point que la référence à l'unité nationale, dans la rhétorique politique, est devenue quasiment obsessionnelle. Est-il devenu évident que notre société est en voie d'implosion? Observe-t-on des signes perceptibles ou insidieux d'une telle évolution? Peut-être. Il n'y a pas de fumée sans feu, dit-on. Mais alors a-t-on jeté un regard critique et objectif sur l'état de la Nation pour y déceler les causes réelles du cataclysme social dont on parle tant? Est-ce la volonté des populations d'exercer effectivement leur citoyenneté qui a sécrété l'ethnostratégie qu'on identifie généralement comme le ver qui corrompt le fruit? Je ne le crois pas. Il me semble plutôt que c'est la mauvaise gouvernance que je considère comme la résultante des faiblesses de la république, qui menace d'implosion la Nation.

L'ethnostratégie en est, de toute évidence, le sous-produit. Le village, la tribu, l'ethnie, la région espèrent tirer profit du pouvoir dès lors qu'il est détenu par un "parent". En Afrique, qui peut ignorer la solidarité ethno-spatiale ? Le népotisme et le clientélisme ne participent-ils pas de cette logique? Dans un pays où les revenus salariaux des fonctionnaires sont dérisoires au regard des besoins, chacun souhaite que son “parent” exerce le pouvoir afin qu'il facilite son accès au microcosme des prébendiers. L'ethnostratègie vient de là. Elle devient par la suite le terreau de l'iniquité, de la prévarication, de la gabegie, de l'incompétence et de l'indiscipline administrative. Lorsque ces tares, impunies, perdurent elles exaspèrent toutes les franges de la société et peuvent alors devenir des facteurs corrosifs de l'unité nationale. Le discours sur le péril national devrait s'orienter vers les véritables causes de ce péril afin de la prévenir avec efficacité.

Kayako Doré