webGuinée
Presse écrite
La Lance

N° 146 — 6 octobre 1999


Interview du Pr. Charles Diané
Les circonstances du "Non" du 28 septembre 58 !

A la veille du 41è anniversaire de la République de Guinée, à la veille de l'inauguration de la CNSS et duPalais présidentiel au site rebaptisé Sékou Touréya, LA LANCE a rencontré le Pr. Charles Diané, ancien responsable de la Fédération des Etudiants d'Afrique Noire en France (FEANF), ancien exilé (Liberia Gabon)… actuel Président du Conseil d'Administration de la Caisse Nationale de la Sécurité Sociale inaugurée le 1er octobre. Un bref parcours à travers l'histoire récente du pays.

La Lance: Où étiez-vous et que faisiez-vous le 2 octobre 1958?
Charles Diané: Le 2 octobre 1958, j'étais à Conakry. j'ai fait la campagne du 14 septembre au 28 septembre 1958. De Youkounkou jusqu'à N'Zérékoré, j'ai eu la chance de rencontrer Sékou Touré à Kankan le 14 septembre 1958. Il partait sur Bamako et comme vous le savez j'étais responsable à la fédération des Etudiants d'Afrique Noire en France, et nous avions décidé de voter "NON", de faire voter "Non" dans tous les pays d'Afrique sous domination française.
La FEANF avait pris la décision à son congrès du mois de juillet. Nous avons fait un meeting à Conakry, deux meetings au cinéma "Vox" où nous avons décidé de faire voter "NON" pour le référendum.

La Lance: On a souvent lié le " non " à Sékou Touré…
Charles Diané: Pas du tout! Sékou Touré a décidé de faire voter Non après son congrès du 14 septembre 1958. Mais avant, au mois de juillet nous, nous avions déjà commencé la campagne. Personnellement, je suis parti de Youkounkou, Koundara, Labé, Mamou, Kankan, N'Zérékoré pour demander à voter "Non". Avant Sékou Touré. C'est le 14 septembre que j'ai rencontré à Kankan M. Sékou Touré qui allait au congrès du RDA à Bamako. Et qui a dit bon, maintenant eux aussi, ils sont d'accord de voter non! Le 14 septembre, le Général de Gaulle était déjà passé en Guinée. Le 25 août, il avait eu la passe d'armes avec Sékou Touré à l'Assemblée territoriale. Le Général de Gaulle avait dit que celui qui veut être indépendant n'a qu'à voter "Non"" Et la Guinée a décidé de voter "Non". Voilà!

La Lance: Ne pensez-vous pas que ce "Non" a un peu porté préjudice au développement socio-économique du pays par la suite?
Charles Diané: Il n'est pas question que l'indépendance porte préjudice au développement. Quoi qu'il arrive. C'était justement la hantise de Sékou Touré quand nous sommes venus le voir au mois de juillet 1958. Il était maire de Conakry. Nous sommes allés à la mairie avec les responsables de la FEANF, Ly Tidjane Baïdy, qui est sénégalais et d'autres. Sékou Touré nous a dit:

"Comment voulez-vous qu'on soit indépendant alors que nous ne sommes pas capables de faire une aiguille?".

On lui a dit "mais les aiguilles ne sont pas faites par nous, les aiguilles seront faites par d'autres, il faut qu'on vote non"

Sékou Touré n'était pas convaincu. C'est à la suite de l'entretien, des passes d'armes qu'il a eus avec le général de Gaulle, le 25 août, que Sékou Touré s'est décidé. Parce qu'il a essayé de poser le problème de l'indépendance de la Guinée devant le général de Gaulle qui a dit: "bon, la Guinée est libre de prendre son indépendance de façon tout à fait dérisoire". Et Sékou Touré, nous l'avons bousculé, nous sommes allés le voir. J'étais avec un certain nombre d'amis. Et il a décidé de faire voter "non". Ça c'est vraiment l'oeuvre des étudiants, des syndicats et des mouvements de jeunes. Le parti lui même n'était pas tout à fait dans le coup. Et quand M. Sékou Touré a décidé de faire voter non le 14 septembre 1958 au congrès de son parti au cinéma Vox, nous étions heureux. Nous avons dansé. Parce que nous savions en ce moment- là que la Guinée allait voter non. Ni Sékou Touré, ni nous mêmes le savions. Mais ce que nous savions , ce qu'un pays indépendant n'était pas un pays à la dérive. Nous avons tendu la main à droite, à gauche. Nous avons été reconnus à l'ONU très rapidement. Et puis mon Dieu, nous avons eu les aides qu'il fallait pour permettre le développement continu de notre pays.

La Lance: Selon vous, après le non héroïque de la Guinée, à quel moment précis a commencé la dérive?
Charles Diané: La dérive a commencé après l'indépendance. La Guinée était un pays isolé. Nous étions soutenus par les pays de l'Est. Mais, nous étions un peu à l'écart des pays de l'Afrique de l'Ouest qui étaient tous pour le "Oui". Et qui n'étaient pas d'accord pour l'attitude héroïque que la Guinée avait prise. La dérive était prévisible. Parce que la France a fait partir tous les cadres, pratiquement du jour au lendemain. Alors à partir de ce moment là, il était évident qu'avant que la Guinée ne se restructure, qu'elle fasse revenir ses amis, qu'elle reprenne en main son agriculture, son économie et tout ce qui était vital pour elle, il fallait un certain moment. C'est tout! Je n'appelle pas ça la dérive de la Guinée. La dérive était prévisible. C'est évident qu'on ne pouvait pas vivre indépendant comme la Côte d'Ivoire, le Bénin, le Togo, qui avaient voté Oui. Ça c'était prévisible. Cela a duré un certain temps. Mais ce qui s'est passé, c'est qu'il y a eu un mouvement de solidarité très important dans les pays africains au niveau des étudiants, au niveau des intellectuels guinéens qui sont venus en masse pour soutenir les Guinéens. Les enseignants sont partis, la coopération française est partie et on a eu des enseignants qui sont venus, qui étaient des gens de décision, qui étaient avec nous, qui nous avaient permis de décider pour le non et qui sont venus épauler la Guinée. Je n'ai pas besoin de vous citer des noms.

La Lance: Mais alors, à quoi est dû tous ces morts d'hommes, toutes ces pendaisons publiques qui vous ont amené à vous exiler?
Charles Diané: Le président Sékou Touré a voulu imposer son parti unique. Ce qui n'était pas évident. Et il a fini par voir que dans le tas, il y avait des cadres, des intellectuels qu'il fallait éliminer. Il les a éliminés! Parce que je connais des tas d'intellectuels qui n'avaient jamais fait une réunion, qui n'étaient jamais venus à nos réunions qui ont été liquidés. Parce qu'ils étaient intellectuels. Pour ne parler que d'un, je ne vois pas ce que Docteur Marega a pu bien faire. Il était à l'hôpital Ignace Deen. Il servait. On l'a arrêté, on l'a amené au Camp Boiro. Voilà je vois un autre qui était ministre de la justice comme Koumbassa Saliou, qui est là actuellement, qui a fait pratiquement 10 ans au camp Boiro. Tous ceux qui avaient le malheur de penser, le malheur de ne pas être d'accord avec Sékou Touré sur un trait ou un autre trait de sa politique, étaient prêts à être condamnés. Personnellement, vous le savez, j'ai été condamné 4 fois à mort en Guinée, ici.
Je suis rentré en Guinée en 58-59 et quand les mouvements ont commencé, je suis parti. Mais, je ne suis pas allé bien loin. Je suis allé au Liberia. Où j'ai travaillé 6 ans. Et pendant les 6 ans, j'ai été arrêté au moins 4 fois avec des délégations de Guinéens qui sont venues pour me kidnapper. J'avais eu la chance de passer par l'Organisation Mondiale de la Santé à Genève et j'avais fait contresigner mon contrat de médecin au Liberia par l'OMS, c'est ce qui m'a sauvé.

La Lance: Pensez-vous que Sékou Touré avait le complexe des intellectuels parce qu'il n'avait pas poussé ses études?
Charles Diané: Sékou Touré avait en épouvante les intellectuels. Il n'a pas poussé les études mais il n'avait aucune raison. Parce que Sékou Touré était brillant. J'avais beaucoup de respect pour lui. J'ai discuté longuement avec lui pendant des heures et des heures. Quand je suis arrivé ici. Pour la campagne pour le NON, au moment où je partais, le président Sékou Touré m'a reçu. Il me tutoyait. Il m'a dit: « Ecoute moi bien, Charles, tu t'en vas en France, mais ne reste pas longtemps. On a besoin de toi ». je lui ai dit « Oui M. le président, je reviendrai ». Mais en fait, je ne suis pas revenu parce que j'ai vu ce qui s'est passé dès mon départ. Le harcèlement des intellectuels, la guerre aux cadres… Je ne suis pas revenu. Sékou Touré avait le complexe, un complexe d'infériorité en face des intellectuels et des cadres. Ceci il faut le dire! Et il faut le dire très clairement. C'est une vérité.

La Lance: Sékou Touré savait ce qui se passait au Camp Boiro. Quand l'Allemand Adolphe Max a été libéré il l'a reçu….
Charles Diané: D'accord ! Mais Adolphe Max, tous les étrangers qui étaient détenus pour lesquels leurs Etats ont fait des pressions sur la République de Guinée, étaient des prisonniers privilégiés. A un moment donné, c'est évident, Sékou Touré a su ce qui se passait au camp Boiro, mais il était dépassé par les événements. Il ne pouvait plus agir. Parce que ceux qui agissaient au camp Boiro le faisait en son nom. Donc il était un petit peu dépassé par ces choses-là. Mais qu'il ait été au courant de ce qui s'est passé pour les Allemands et les détenus étrangers, c'est tout à fait évident. Mais il ne savait pas à quel point ces gens là étaient torturés… Alata a écrit dans « Prison d'Afrique » ce qui se passait au camp Boiro. Mais je suis persuadé que Sékou Touré n'était pas du tout au courant de ça. Parce qu'il était quand même quelqu'un de brillant, quelqu'un d'intelligent et malgré tout ce qu'on peut dire c'était quelqu'un d'humain. Je le pense aujourd'hui. [ webGuinée. Affirmation contradictoire, appliquée à un chef d'Etat assassin de tant d'hommes et de femmes, y compris Pr. Diané ... en contumace. Pour une opinion diamétralement opposée lire Lieutenant-Colonel Kaba 41]

La Lance: Il a vu quand même les gens qui ont été pendus au Pont 8 novembre…
Charles Diané: Tout à fait, mais il n'était pas le seul. Il y a actuellement des gens au pouvoir qui étaient responsables de ces pendaisons là. Sékou Touré était tout à fait au courant de ce qui se passait mais pour lui ces gens là étaient, comme il les appelait, des contre révolutionnaires invétérés. Pour lui c'était des gens qui avaient lutté contre son régime. Qui voulaient liquider son régime. Donc pour lui, c'était naturel qu'ils soient liquidés.

La Lance: L'agression du 22 novembre, il était au courant. C'était avec la complicité de M. Sékou Touré?
Charles Diané: Parfaitement. M. Sékou Touré était au courant de l'agression. J'étais au Liberia. Les Américains m'ont appelé pour me dire. « Diané si tu veux, tes amis vont organiser quelque chose en Guinée, nous sommes au courant. Si vous pouvez faire quelque chose, il faut les dissuader. » J'ai pris l'avion le 15 novembre 1970 et j'ai débarqué à Paris. Nous avons fait une réunion et je leur ai dit: « Ecoutez ! les Américains sont au courant de ce que vous allez faire. Moi, je ne suis pas au courant mais je vous dissuade de le faire ».
C'était trop tard. Parce que les Portugais étaient tellement intéressés par le fait de libérer leurs prisonniers détenus en Guinée qu'ils n'ont pas laissé les guinéens faire. Donc, ils ont fait leur débarquement, ils sont venus pour libérer leurs prisonniers. Et ils étaient venus avec les guinéens qui avaient été recrutés à Dakar et ailleurs pour gérer cette opération-là. Ce qui était tout à fait regrettable.
Donc, nous avons été manipulés par les Portugais pour ce débarquement là. Je ne condamne même pas les Guinéens à la tête de cette affaire, parce que réellement les Guinéens avaient cette organisation pour essayer de virer Sékou Touré. Mais on a été pris de court par les Portugais dont les intérêts majeurs se trouvaient à Mamou et à Conakry avec les grosses têtes portugaises. Qu'il fallait absolument libérer. Ce qui a été fait.

La Lance: Sékou Touré en avait profité pour se débarrasser de ses adversaires, ses ennemis…
Charles Diané: Bien sûr ! Sékou Touré était un fin politicien. Il en a profité pour faire une purge extraordinaire, ameuter l'ONU, faire venir des gens à droite à gauche pour dire qu'on a agressé la Guinée! Ce qui était tout à fait vrai. Les gens avaient débarqué. Il a dit qu'il y a eu 300 morts. Ce n'est pas tellement vrai, il n' y a pas eu 300 morts mais les gens sont arrivés, ils ont débarqué et effectivement M. Sékou Touré en avait arrêté un ou deux ou trois qui ont témoigné en sa faveur. En disant: « Oui! Nous avons été recrutés, on nous a payés à Dakar. Nous avons débarqué à Conakry pour liquider le régime ».

La Lance Est-ce Sékou Touré savait clairement ce que vous lui reprochez?
Charles Diané: Bien sûr. Ce que j'ai reproché fondamentalement au président Sékou Touré, je l'ai écrit. Mais ce qui était extrêmement grave, c'était les pendaisons publiques, les tueries, le Camp Boiro. Et je le lui ai dit. Il savait cela. J'ai dit que je n'accepte pas ces pratiques. C'était la première fois qu'on voit en Afrique des gens condamnés qu'on pendait sur la place publique. Avec des gens qui assistaient. …

La Lance: Finalement, on a décapité tous les intellectuels et le pays a du mal à se relever…
Charles Diané: Ecoutez ! la Guinée a été complètement amputée. M Sékou Touré pensait qu'il suffisait de rendre quelqu'un responsable par le parti politique pour que ça marche. Mais ce n'était pas vrai. Il y a une façon de voir les choses. Il y a des possibilités et les capacités des cadres et les intellectuels. Sékou Touré a complètement éliminé les intellectuels. Il a donné le pouvoir à des gens qui n'étaient pas capables de gérer ce pays. Et ce pays est allé à la dérive tranquillement. On s'est retrouvé après la mort de Sékou Touré [avec] rien. Absolument sans rien. Ce pays a vécu grâce aux secours des uns et des autres. Ça vous le savez ! Autant que moi!

La Lance: Comment entrevoyez-vous l'avenir de la Guinée?
Charles Diané: Je trouve que l'avenir de ce pays est merveilleux. Je suis revenu depuis 4 ans. Je vis en paix. Je suis tranquille et c'est essentiel. Ce pays a des difficultés comme tous les pays aux environs. Nous n'avons pas réussi à avoir les investissements que nous souhaitions mais je trouve que le pays évolue correctement, tranquillement à son rythme. Ce qui est essentiel aujourd'hui en Guinée, ce que c'est un havre de paix dans la sous-région. Malgré tout ce qu'on peut dire…

Propos recueillis par Benn Pepito