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Presse écrite
La Lance

N° 147 — 13 octobre 1999


Baaba Maal.
Le roi du Daande Leñol à Conakry !


La Lance : Baaba Maal, parle-nous de ta carrière musicale ?
Baaba Maal: Tout d'abord, je reviens d'une tournée qui m'a conduit en Europe, aux Etats-Unis et en Australie avec au total 40 concerts. Durant cette dernière tournée, tout a été géré à partir de l'Internet, tous les billets ont été achetés à partir de ce réseau et les gens ont été informés de la qualité des spectacles, du répertoire qu'on présente. Il y a un matériel adéquat aussi, qui nous a permis de présenter au public un produit de qualité. Après la tournée européenne, on a continué sur "Africa Fête" qui est affilié à Chris Blackwell pour imposer la musique africaine. Tous les deux ans, il y a quatre groupes qui sillonnent tous les Etats-Unis pour permettre à la musique africaine de recueillir le maximum de gens qui viennent voir, surtout les jeunes. La majeure partie des concerts a été organisée dans des universités et cela a permis à tous ces jeunes américains qui sont très loin de la musique africaine, d'être proches au moment des concerts. Ils peuvent nous parler et après les concerts, on fait les "work shops", des ateliers pour leur expliquer la conception de nos instruments et comment nous les mettons ensemble.

La Lance: Tu es en Guinée cette fois-ci pour la dédicace de l'album de Thianguel Barry. Comment as-tu-connu cet artiste guinéen?
Baaba Maal: Je suis très connecté avec la musique guinéenne et pratiquement la majeure partie des promoteurs guinéens. La raison, c'est que ces gens savent que le public guinéen m'aime bien et j'aime bien aussi jouer en Guinée. La deuxième raison c'est que, ils savent que je suis très attiré par tout ce qui se fait sur le plan de la musique en Guinée.
Les gens m'envoient les cassettes de toutes les nouveautés. Quand on m'a demandé de faire partie de cette dédicace de Thianguel Barry cela m'a fait plaisir. Il est jeune aussi et moi je suis convaincu quelque part, quand je regarde la montée de la musique africaine, que si on ne travaille pas à la relève actuellement, ce sera que peine perdue, pour avoir fait tout cet effort pour imposer la musique africaine. Comme au Sénégal et en Guinée, il faut tout le temps soutenir les jeunes.

La Lance: Tu as un grand projet après cette dédicace, c'est de te rendre dans la préfecture de Dinguiraye. Pourquoi ?
Baaba Maal: Parce que, El-Hadj Oumar Tall représente quelque chose pour moi. Nous, notre référence spirituelle au niveau du Foutah Toro, c'est El-Hadj Oumar. Il est né à Alouar qui est à quelques kilomètres de ma ville natal, Podor. J'ai grandi sous l'aile de sa famille. Pratiquement dans toutes mes productions, il y a au moins un morceau consacré à El Hadj Oumar. Ça fait partie de nos traditions du Foutah Toro qui est un grand foyer religieux. Pour confirmer cet attachement à El-Hadj Oumar Tall, depuis que j'ai commencé à sortir du Sénégal, j'ai un peu sillonné les places où il est passé, sauf Dinguiraye. Alors que cette ville est une étape très importante de toute sa vie. Je sais aussi qu'il y a beaucoup de hal pular à Dinguiraye qui sont connectés sur le plan familial avec les gens qui sont au Foutah Toro. Moi, en tant qu'homme de culture, qui doit être le lien entre toute cette grande famille, je pense que c'est plus qu'un devoir de me rendre à Dinguiraye.

La Lance: Qu'est-ce que tu comptes tirer de cette visite à Dinguiraye?
Baaba Maal: J'aurai toujours une certaine inspiration et ça c'est particulier à El-Hadj Oumar Tall.
Quand je suis parti au fort de Medina Kasso près de Kayes au Mali, c'est en ce moment que je me suis rendu compte qu'il fallait faire cette cassette dédicace, parler de la vie d'El Hadj Oumar. Je suis sûr qu'une fois à Dinguiraye, l'inspiration peut me permettre d'écrire d'autres chansons sur El-Hadj Oumar Tall.

La Lance: Parle-nous de l'évolution de la musique sénégalaise?
Baaba Maal: La musique sénégalaise se porte très bien. Parfois, je déplore la surproduction, qui n'est pas quand même normale par rapport à la population sénégalais, si peu nombreuse. Avec un aussi grand nombre de musiciens, faire tant de productions, c'est de ne pas permettre au public d'acheter toutes les productions. Et ça ne peut pas aider l'artiste, si tant est que sa musique ne se vend pas bien. Il ne récolte rien avec sa production pour créer aussitôt d'autres productions. Mais sur la composition musicale, je suis sûr que la musique sénégalaise joue un très grand rôle dans la World Music et la musique africaine. Les musiciens sont assez avertis sur le plan professionnel. Rien qu'en voyant Youssou N'Dour, Oumar Pen, Ismaël Lô et moi-même, la façon dont nous nous produisons dans le monde, on est assez bien connecté sur le plan professionnel. L'autre volet que je vois, qui est très important, c'est la montée de la musique rap qui n'est pas à négliger. C'est une autre génération qui se sent beaucoup plus universelle, qui sait ce qui se fait à l'extérieur. Mais, ce qu'il y a de plus important dans les groupes de rap comme Daaraj, Positive Black Soul ou Bambeji Fall, un nouveau groupe, c'est qu'ils font du rap en utilisant les langues traditionnelles. En même temps, ils introduisent tous nos éléments traditionnels, comme nous nous avons eu à introduire nos Koras, nos Tama dans cette musique moderne. Il n'y a qu'avec ce cachet qu'on peut faire la distinction entre la musique africaine et celle du reste du monde, surtout sur la plan de la musique rap. Je suis sûr que la musique de l'Afrique de l'Ouest en général a beaucoup de chances puisqu'on a assez de choses à donner. L'année dernière, j'ai fait deux concerts, pour utiliser mon expérience à l'extérieur, pour aider les professionnels de la musique, à comprendre les structures du show biz, parce que c'est là que le bât blesse en Afrique. Pour que nous soyons à l'aise, il faut qu'on puisse asseoir des structures qui peuvent nous permettre d'élaborer nos produits, d'avoir les liaisons professionnelles avec le reste du monde.

La Lance: En parlant de la musique sénégalaise, on pense à Youssou N'Dour, Oumar Pen, Ismaël Lô et tant d'autres. Dis, quels sont tes rapports avec tous ces musiciens sénégalais?
Baaba Maal: Pratiquement, je n'ai pas de problèmes avec eux. J'ai eu la chance depuis que je suis arrivé sur cette scène de venir avec un autre genre. Je chante une autre langue et la démarche intellectuelle a fait que j'ai beaucoup de respect de la part des musiciens sénégalais. Que ça soit Youssou N'Dour, Oumar Penn, ils répondent toujours à mon appel. La preuve, le 31 décembre passé, j'étais l'invité de la télévision sénégalaise en concert direct-live de musique traditionnelle. Je n'avais invité que Ismaël Lô, parce que je ne voulais pas déranger les autres. Une heure de temps après le démarrage de cette émission, Youssou N'Dour est venu, N'Diaga M'Baye aussi et tous les autres jeunes musiciens sont venus d'eux-mêmes. C'est ce rapport que j'ai avec les musiciens sénégalais.

La Lance: Bientôt la Présidentielle au Sénégal. Le pays est confronté à une série de turbulences politiques. Quel regard portes-tu sur cette situation?
Baaba Maal: Je dis très souvent que le Sénégal doit essayer de mériter le respect que les autres pays portent à son égard. Surtout, ce respect en tant que pays ouvert, démocratique, je ne sais pas si c'est vrai ou faux, les gens pensent quand même c'est un modèle de démocratie et tout. On doit mériter ce respect-là et aborder le troisième millénaire et surtout ces élections avec beaucoup de maturité. Que ça soit au niveau de la population sénégalaise, ou des leaders politiques. Beaucoup de vos confrères me demandent quelle position je prends, je leur ai dit que moi, je suis un citoyen, donc je peux avoir des affinités par rapport au président ou d'autres leaders politiques. Ça c'est personnel. Mais, je ne dois pas utiliser ma notoriété pour attirer un bon nombre de gens, qui m'aiment bien, vers quelqu'un, même si ce n'est pas leur choix. J'ai pas le droit d'utiliser ma notoriété pour canaliser mes fans vers des créneaux politiques. Mais, en tant que citoyen, nous autres musiciens, nous devons faire un effort pour que ce devoir civique que les gens ressentent, que nous nous le respections, que nous allions voter comme tout le monde, ça pourra permettre à tout le monde de voter. Parce que c'est ce vote qui va amener le choix de notre peuple vers qui il veut. Le peuple sénégalais a le devoir maintenant de choisir le leader qu'il veut. Et pour ça, toutes les personnes qui ont un impact doivent montrer un bon exemple en tant que citoyen.

La Lance: Quels sont tes projets?
Baaba Maal: Je suis très ouvert par rapport au développement de la région du fleuve Sénégal, parce que les gens attendent beaucoup de moi. Il est vrai aussi que j'ai des projets sur le plan musical. Mais, comme je prends de l'âge et de la façon dont je dépense l'énergie sur la scène, je suis sûr dans 10 ou 20 ans, je ne pourrai plus dégager cette énergie ou bien je serai assez fatigué. Je vais donc prendre ma retraite et soutenir la musique dans un autre créneau. Je m'investis de plus en plus dans d'autres domaines, sur le plan agricole au niveau du Foutah, sur le plan de hôtellerie, j'ai monté un hôtel au niveau de ma ville natale. Mais, ce qui me tient beaucoup plus à coeur, c'est le label que j'ai monté qui se trouve à Yoff dans "Palm Pictures" au niveau de Londres. Qui me permet de continuer à travailler dans la musique avec des musiciens africains et essayer de prendre mon argent d'investir dedans. Ça se connecte avec plein de choses. Il y a le studio d'enregistrement qu'on est en train de monter et qui est déjà sur place et peut-être, il faudrait décentraliser. Je compte apporter quelque chose en Guinée à Labé où on m'a donné un terrain. C'est un projet qui me tient vraiment à coeur.
Tout autour de ce label, que ça soit la sonorisation, le studio d'enregistrement ou une équipe assez performante qui peut encadrer les musiciens que j'aimerais bien produire.

La Lance: Un dernier mot pour nos lecteurs ?
Baaba Maal: Je salue au passage tous les lecteurs du Lynx et de La Lance tous ceux qui travaillent dans ces organes de presse. De plus en plus, l'avancée des choses nous montre que nous les musiciens, on ne peut pas peaufiner un produit, sortir actuellement quelque chose ici ou à l'extérieur, sans l'apport des médias. Nous sommes tous des communicateurs, des gens qui utilisent la parole. J'aime bien Le Lynx parce que on peut dire des choses pour essayer d'aider les gens à aller de l'avant. Utiliser des trucs satiriques, les gens pensent que c'est pour blesser, mais non ! c'est une façon de s'exprimer: c'est ce qu'on dit qui est important. De toute façon, je suis sûr qu'on est tous là pour construire et participer à l'épanouissement de nos peuples.

Propos recueillis par Azoca Bah