"Je ne suis pas surprise. La question est de savoir comment le Général Lansana Conté va concilier l'inconciliable", s'interroge Me Aminata Barry [fille de Barry Diawadou] à propos de la réhabilitation de Sékou Touré.
La Lance : Maître Barry, nous voilà devant la réhabilitation de Sékou Touré. On sait que vous avez mené une lutte acharnée contre cette réhabilitation. comment vous sentez-vous aujourd'hui ?
Me Aminata Barry: Je ne suis pas surprise. Déjà en mars 1990 dans les documents que nous éditions, appelés “la voix des victimes”, nous avions prévu cela. C'est vraiment sans surprise pour moi. Parce qu'en réalité, la seule constante qui a survécu du groupe d'avril 1984, c'est le Général Lansana Conté. Le CMRN n'existe plus. Or lui, il n'a jamais renoncé à séduire le PDG. On avait à l'époque dénoncé le noyautage de l'administration par les éléments du PDG. Ces éléments et le système, rien n'a changé. La seule question que je me pose, c'est comment est-ce que le Général Conté va concilier l'inconciliable. Comment, dans sa logique, il va expliquer qu'il ait donné un boulevard à Diallo Telli, victime du même Sékou Touré qu'il réhabilite. Je m'interroge. Pourquoi avoir alors donné le nom de deux promotions militaires à des victimes telles que le Général Noumandjan Keïta et Kaman Diaby? Cela aussi est une incohérence. Certains parlent de réhabilitation. Moi, je pense que ce n'est pas une réhabilitation puisque le monsieur n'a jamais été jugé. C'est simplement un revirement à 180º. Le Général Conté a pris tout à fait le contre pied de la politique de l'ancien CMRN. Quand on reprend les communiqués de la prise du pouvoir, cela aussi c'est l'histoire. il va falloir qu'on s'explique. Il y a une incohérence totale dans son comportement. Mais j'avoue qu'on l'avait prédit depuis mars 1990.
Qu'aviez-vous prédit exactement en 1990 ?
En 1990, on avait écrit au CMRN d'alors. Dans ce document, on disait que l'indécision du CMRN laissait présager une réhabilitation future de Sékou Touré. On ne s'est jamais leurrés. Maintenant, je voudrais également que le Général Lansana Conté sache que la réconciliation nationale et la concorde nationale se feront sans lui. Parce que de toute façon, on ne bâtit pas un pays dans le but de consolider une paix durable sur du terreau aussi hétéroclite que les victimes des 26 ans et les victimes du 4 Juillet. Il va bien falloir que ces deux terreaux là s'expliquent dans une concorde, pour qu'on puisse bâtir un pays sur du solide. Et cela se fera sans lui.
Selon vous, qu'est ce qui a motivé cette situation de réhabilitation?
Je rectifie encore, parce que mon oreille de juriste ne peut pas accepter cette qualification de réhabilitation. Cette logique là, c'est sa logique à lui. Cela doit être pour des raisons purement personnelles et subjectives, parce qu'il va falloir qu'il s'explique sur les événements du 4 juillet. Ou que, ceux qui se réclameront de lui, s'expliquent sur ces événements, sur la purge des anciens dignitaires que sont Ismael Touré, Siaka Touré et tous les autres, de tous ces hommes qui, certainement, dorment aussi dans les charniers quelque part. Ces gens-là ont derrière eux, d'autres gens qui se réclament d'eux! Il va falloir qu'il s'explique. C'est une page qui ne nous concerne pas. Sauf si nous revenons dans le grand chantier des droits de l'homme. C'est dans ce cadre-là que nous nous inscrivons. Il va falloir prendre en compte toutes les violations qui sont intervenues de 1958 à nos jours. Quand il a donné le nom du Palais “Sékhou-Touréya”, il a parlé en son nom. Il a dit “je m'en fous, tant pis”. De toute façon, pour nous, c'est sans surprise. Nous sommes tout à fait sereins et nous pensons que c'est quelque chose qui se joue à très long terme. Voilà ! Il y aura une explication et elle se fera sans lui.
Vous vous êtes toujours battus pour que la vérité jaillisse. Et maintenant ?
Nous continuons dans le cadre des droits de l'homme. Nous nous acheminons vers un procès. On l'a dit et on va le faire. Parce que l'impunité ne peut pas rester. On ne peut pas faire disparaître plus de 50 mille personnes, produire plus de 2 millions d'exilés comme cela. c'est que quelque chose de très grave s'est passée dans ce pays. Donc, nous continuons à fouiller. En fait, nous n'avons jamais compté sur le Général Lansana Conté, parce qu'à l'époque, on avait eu un entretien avec le secrétaire permanent du CMRN qui était Boubakar N'Diaye. Il nous a demandé de pardonner parce qu'il s'abritait derrière ce que l'on appelle en droit “le commandement de l'autorité légitime”, qui couvre les actes commis par certaines personnes. Notamment les militaires dans le cadre de ce qu'ils appellent “les corvées de bois” pour les exécutions sommaires. On avait compris. Nous détenons beaucoup de choses planquées à l'extérieur. En toute sécurité. A partir de maintenant, nous allons progressivement sortir la liste de tous les disparus. Nous avons les statistiques, ce n'est pas nous qui les avons inventées, c'est Amnesty International qui y a travaillé patiemment. Nous avons tous les ingrédients qui peuvent nous permettre aujourd'hui d'ester en justice le PDG et tous ceux qui se réclament de ce régime-là. Nous pensons que les victimes du 4 juillet également affûtent leurs armes, pour avoir une explication. Pour voir clair dans ce qui s'est passé le 4 juillet. Il ne peut en être autrement.
Mais la justice, c'est la justice du même régime…
Seule la justice est éternelle. Nous n'avons jamais voulu en réalité d'une réhabilitation politique. Parce qu'après un changement de régime, on peut revenir sur tout ce qui s'est passé en se fondant sur la justice du pays. Alors, pourquoi ne pas avoir confiance en la justice du pays? Mais nous comptons plus sur le Tribunal Pénal International, comme celui qui vient d'être mis en place, et puis il y a nous, les victimes, qui demandons à être rétablies dans nos droits qui sont d'ordre moral.
Etes-vous suffisamment organisés pour affronter ce problème face à un TPI ?
C'est un problème qui se joue à long terme. L'essentiel est de pouvoir entamer la procédure. Comme ce tribunal a un droit d'ingérence, la seule condition, c'est qu'il y ait eu génocide. Il y a eu génocide chez nous ! Parce que 50 mille personnes ne peuvent pas disparaître comme ça. Il faut qu'on nous dise pourquoi ils ont été liquidés de cette façon et oà se trouvent leurs restes. Mais nous sommes persuadés également que ce n'est pas ce régime là que va nous dire la vérité. Nous le savions.
Revenons à “Sékhou-Touréya”. Qu'est-ce que vous vous auriez mis là ?
Je pense qu'on a répondu dans l'Indépendant et même dans Le Lynx. Sékhou-Touréya...! Le nom, c'est pas important. Il a surtout banalisé le nom du monsieur. Il aurait pu être plus clair en disant “Palais Ahmed Sékou Touré ”. Moi, en tout cas, si j'appartenais à cette tendance-là je ne me serais pas sentie concernée. Sékhou-Touréya c'est la forme "soussounisée" du nom de Sékou Touré. Chez moi, on appelle là-bas Dianwadouyah. C'est comme ça. Donc, on n' y a pas fait attention. L'envergure qu'on a voulu donner à la chose, on nous l'a banalisée. On a simplement rappelé qu'il y avait un boulevard Diallo Telli. Mais, on n'a pas appelé là-bas "Telliyah". On a vraiment dit le nom du personnage de l'OUA. On n'a pas défiguré son nom. Pour nous, c'est quelque chose de banal et le plus important c'est ce qui reste à venir.
Comment entrevoyez vous la concorde. Est-ce un rapprochement des victimes ?
Si nous restons dans le cadre strict des droits de l'homme, nul ne doit être inquiété en raison de ce qu'il pense. La notion de délinquant d'opinion doit disparaître. C'est ça aussi les droits de l'homme. Malheureusement, dans ce pays, il y a une culture de la peur. Cette culture a été institutionnalisée par l'ancien régime avec les méthodes brutales et rien n'a changé. Ce qui m'étonne, c'est quand les politiciens s'étonnent que cela leur arrive alors que rien n'a changé. Je serais arrêtée aujourd'hui, ce serait sans surprise. Parce que c'est comme ça! Je n'ai pas peur. Je respecte l'autorité, mais je n'ai jamais peur d'assumer ce que je dis. Je dis toujours ce que je pense. Même si on m'assassine aujourd'hui, je partirai avec mon opinion. On ne pourra pas assassiner l'idée que j'ai en moi. J'aurais tellement souhaité qu'il y ait beaucoup de gens de cette catégorie-là. Je pense qu'il y en a, parce que dans toutes les couches, je pense, il y a des convictions inébranlables. Parce qu'il faut bien qu'on s'asseye un jour autour d'une table, et qu'on s'explique. Vous pensez que la famille d'un Diarra Traoré va rester les bras croisés? Avec la bande que l'on connaît, l'humiliation qu'il a subie. Je ne crois pas que c'est en donnant des statuts, en baptisant, qu'on va faire passer cela. C'est trop sérieux, c'est trop grave ! Cette impunité ne va pas se perpétuer. Il va falloir qu'il y ait un jugement en bonne et due forme. Ou en tout cas, qu'on s'explique dans le cadre d'une conférence nationale. Pour ensuite parler d'une concorde nationale. Qu'on appelle cela comme on veut mais les guinéens doivent s'expliquer. Parce que ce pays est le nôtre. Et nous voulons la paix dans ce pays. Nous avons même commencé à avoir des contacts. Parce que nous sommes tous frappés par le même bâton. Celui de la répression. Que ce soit les victimes du 4 juillet ou celles des 26 ans. Nous nous battons pour la même chose. Pour que plus jamais, les libertés publiques ne soient mises en péril, en raison d'une opinion émise. Cela c'est pas faire de la politique. C'est rester dans le cadre strict des droits de l'homme. C'est inscrit dans la loi fondamentale.
Pourquoi ce moment-là?
Mais je pense que les événements de ces derniers temps ont amené le Général Conté à créer l'événement. Tout le monde sait ce qui s'est passé. Cela a peut-être contribué aussi à l'amener à créer l'événement pour donner une occupation aux esprits. C'est de bonne guerre! C'est ce que l'autre [Sékou Touré] avait l'habitude de faire. Quand il avait des problèmes, il fomentait un complot. Des fusillades s'en suivaient, on exécutait des gens puis, on bâillonnait tout le monde. C'est peut-être la stratégie de l'actuel [Lansana Conté]. Et effectivement, les gens ont eu une occupation. Dans les quartiers, on a oublié la hausse du prix de l'essence, on a oublié le prix du transport, on a oublié la cherté de la vie, on a oublié qu'il y a des familles qui ne préparent pas à manger régulièrement. Cela aussi, c'est faire de la politique? Et il dit qu'il est soldat. Qu'il ne fait pas de politique. Il n'y a pas plus grand politicien que lui.
[ Home | Etat | Pays | Société | Bibliothèque | IGRD | Search | BlogGuinée ]
Contact : info@webguine.site
webGuinée, Camp Boiro Memorial, webAfriqa © 1997-2013 Afriq Access & Tierno S. Bah. All rights reserved.
Fulbright Scholar. Rockefeller Foundation Fellow. Internet Society Pioneer. Smithsonian Research Associate.