Jean-Marie Doré, dirigeant de l'UPG a reçu La Lance à son domicile de Donka, le 21 octobre, au lendemain de sa rencontre avec le Président Lansana Conté. Il estime que son entretien avec celui-ci a été charcuté par les médias d'Etat. Il démissionne de la Codem et balise un espace de dialogue avec le Président Conté. Il s'en explique.
La Lance : Pourquoi avez-vous avez rencontré le chef de l'Etat ?
Jean-Marie Doré : Devant la dégradation continuelle de la vie politique et sociale de notre pays, qui sont l'expression de quelques problèmes d'ordre économique, j'ai pensé que quand on est leader d'un parti et parlementaire on a le devoir de prendre en charge ses responsabilités et de contribuer à une meilleure approche des problèmes nationaux. Aujourd'hui le mot clé de toute approche de solution c'est le dialogue. Comme je l'ai dit au chef de l'Etat, il est le point de départ et le point d'arrivée de la vie nationale, puisque nous sommes dans un régime essentiellement présidentiel. Que ceux qui le soutiennent comme ceux qui prétendent le combattre dans l'opposition le sachent. En réalité la lutte est une lutte pragmatique et non une lutte dirigée contre sa personne. Il faut de temps en temps la possibilité de l'approcher, pour lui faire part de leur façon de voir les problèmes nationaux, cela éviterait des problèmes.
Vous avez démissionné de la CODEM suite à l'admission d'un nouveau membre et vous avez rencontré le président de la République…
Je ne suis pas contre l'admission d'un tiers. Mais c'est contre la nature et la manière d'admission qui sont absolument inacceptables. Qui prouvent que les partenaires de la CODEM sont déloyaux. J'ai déposé la demande de rendez-vous avec le Président de la République le 3 août 1999. Et j'en ai informé tous les membres de la CODEM. A commencer par le Président du groupe parlementaire et les responsables de l'UPR. Il ne faut faire aucun rapprochement entre la rencontre avec le Président de la République et mon départ de la CODEM. Mon départ de la CODEM s'articule surtout sur le fait que nous avions quitté la CODEM en 1996. Pour des raisons graves. Et c'est suite à la démarche des jeunes et des femmes de la CODEM, mais surtout de mon ami Siradiou Diallo, que j'avais fini par accepter de revenir. Mais ce qui m'a le plus choqué, c'est que lui qui est un ami par delà les problèmes, il a assisté à cette admission contre l'UPG et il ne s'est pas levé pour protester. Dans la CODEM on nage à contre sens du courant et volontairement. C'est pourquoi j'ai le sentiment que continuer à vivre dans ce rassemblement hétéroclite, on ne pourra rien faire. Mais c'est pas partir voir le Président de la République pour lui demander quelque chose de personnel. Je suis de l'opposition aussi longtemps que les raisons pour lesquelles je suis dans l'opposition demeureront.
Quelles sont ces raisons ?
Je n'ai aucun contentieux personnel avec le Président Conté, mais la façon dont notre pays est géré. Les processus de prises de décisions, les méthodes d'application des décisions, la gestion de l'administration générale, la gestion de nos ressources financières, posent des problèmes à la conscience de tout leader politique. Il y a une certaine vision, une certaine conviction. On n'approche pas un régime ou on ne le combat pas par plaisir.
Le Président Conté vous a dit que les portes sont ouvertes, êtes-vous prêt à entrer ?
La phrase est coupée de son contexte. Les portes sont ouvertes pour le dialogue. Je n'ai pas compris autrement. Et il ne s'est pas adressé à moi seulement. Mais à tous ceux qui veulent aller chez lui pour discuter de façon responsable et de ne pas l'insulter. Vous savez que l'essentiel de l'entretien n'est pas passé à la radio et à la télévision. Je le regrette beaucoup. Mais nous parlions de l'approche. Et pendant au moins 10 minutes, il m'a expliqué qu'il y a certains qu'il pensait être de véritables interlocuteurs. Qui viennent le voir ou bien voir ses ministres. Ils parlent bien et quand ils sont dehors, ils disent exactement le contraire. Il m'a dit:
— “M. Doré, moi je suis très très têtu. Je ne peux pas accepter que dans le même espace de temps on puisse dire une chose et son contraire. Alors dans ce cas, moi, au lieu d'aller aussi insulter les gens, je reste dans mon coin. Je ne reçois plus les personnes”.
Donnez-nous l'essentiel de votre entretien qui n'est pas passé.
C'est cette analyse de la totalité de la vie nationale et des points sur lesquels les solutions achoppent: le manque de dialogue. Que ce soit sur les plans diplomatique, militaire, scolaire, de la vie des ONG, des relations avec les partis politiques, des escarmouches à nos frontières. C'est parce qu'il n'y a pas eu de dialogue au moment voulu. Hier on a vu seulement que j'ai dit que le Président de la République était le chef de la Nation, et que l'eau n'est potable qu'à la source. C'est pas comme cela. On a exposé le problème concrètement. Et le Président m'a dit qu'il a compris, que j'ai raison. Qu'il va voir comment organiser et ordonner le dialogue national. J'ai donné un exemple au Président:
— “Regardez ce qui se passe actuellement avec les enfants et les transporteurs”.
Je lui ai dit que cela n'aurait pas dû avoir lieu. J'ai démontré en disant au Président:
— “La mission des institutions financières internationales est venue. C'est dans le cadre de leur mission qu'ils ont proposé la hausse des prix. A commencer par le carburant. Les ministres savent que nous ne sommes pas dans un régime révolutionnaire ni dans un régime à économie dirigée. Nous sommes dans une économie de marché. Il faut tout négocier. Le gouvernement est contraint de faire une augmentation. Il appelle les pétroliers, les transporteurs, les usagers, l'association des parents d'élèves. il leur dit “regardez les chiffres! La Banque Mondiale me dit que si je n'augmente pas le prix du carburant, il ne me donnera pas les 15 millions, les 20 millions ou les 60 millions de dollars”.
Je ne vois pas de Guinéen qui pourrait dire non. Même si les usagers disaient non, le fait de la diffusion de cette rencontre au niveau de la population amènerait les uns et les autres à réfléchir avant de passer à l'action. Mais un matin on se réveille, on dit que le prix du carburant a augmenté… M. Le Président c'est très difficile. C'est pourquoi moi je pense que même à défaut de la rencontre entre les transporteurs et les usagers, un discours de votre part à la Nation pour expliquer les difficultés devant lesquelles nous nous trouvons pourrait éviter ces mouvements de rue aux conséquences toujours imprévisibles”.
Au lendemain de cette rencontre avez-vous changé, êtes-vous satisfait ?
Vous savez ce genre d'entretien, ce n'est pas au sortir de l'audience que l'on en tire les leçons. Mais je suis éternellement optimiste. Quand, en 1992-1993, cela n'allait pas ici, j'ai fait la même démarche auprès du Président. Cela avait abouti à la rencontre des partis avec lui. Mais malheureusement la pédagogie de l'époque était une pédagogie d'affrontement. Au lieu qu'on rentre dans la salle sans faire des discours académiques, que chacun pose des questions au Président. On a rédigé un document polémique et le président aussi a réagi d'une manière polémique. C'était une erreur. Il est toujours possible en Guinée d'éviter d'aller à l'affrontement.
Le discours est aujourd'hui au niveau du développement d'un nouveau climat de confiance. Ceux qui veulent être opposants le seront toujours. Mais ils le seront avec un langage, une démarche qui montre à l'autre qu'on ne vient pas l'agresser. Et qui leur donne aussi la confiance lorsqu'ils sont bien reçus par le chef de l'Etat que celui-ci tienne compte de la constitution, qu'il respecte les partis. Les partis politiques sont une des dimensions des institutions de la République, parce que sans les partis politiques il n'y a pas de vie démocratique. Je crois que celui qui dirige un parti a droit de la part de ceux qui gouvernent à une certaine considération. Alors si de part et d'autre celui qui est institutionnellement le responsable de l'exécutif a le sentiment que les partis ne le respectent pas. Si les partis ont le sentiment qu'on les crée seulement pour le dialogue avec les bailleurs de fonds, on va aller dans l'impasse.
Il y a une chose qui n'a pas passé. Nous avons discuté de la nécessité d'organiser, de faire en sorte que les partis se rencontrent pour rencontrer le gouvernement. Et là le Président a été très sévère à mon endroit et l'endroit des partis politiques en général. Il a dit:
— “Je vous avais dit si tous les partis qui sont agrées se rencontrent et prennent une décision sur une plate forme minimum, qu'ils viennent. Le gouvernement sera obligé d'appliquer. Mais vous, vous êtes partis faire un rassemblement en dehors du PUP. Le PUP est le parti qui me soutient. Vous, vous l'excluez”.
C'est vrai cela. Parce que les états généraux des partis c'est en réalité le président Lansana Conté qui en avait pris l'initiative. Quand j'ai été le voir le 11 janvier 1993, il m'a dit :
— “Les gens revendiquent dans le désordre. Tout ce que vous demandez là si c'est le point de vue de tous les partis qui viennent d'être agrées, mais je vais vous donner satisfaction. Si ce n'est pas totalement contraire à la ligne politique qui est la mienne”.
Beaucoup de partis politiques (UNR, PRP, UPG, UNP) étaient d'accord. Mais il y avait une poignée de partis qui avaient dit :
— “Jamais nous ne nous asseyons sur une table de négociation avec le PUP”.
En définitive le rassemblement s'est beaucoup agité et on n'a rien obtenu.
Que vont être dorénavant vos relations avec l'opposition?
Si la ligne de mon parti recoupe la ligne d'un parti qui se réclame de l'opposition il n'y a pas de raison de ne pas faire des actions communes. Mais si on continue de faire des louvoiements, de se piéger comme on fait à la CODEM, alors jamais on ne recoupera le chemin de quelqu'un. J'ai été agréé par un arrêté tout seul. Je suis de l'opposition. Moi je crois que je suis un vrai opposant. Je vois ce qui est essentiel, ce qui ne l'est pas. Moi, je ne suis pas un salarié de l'opposition pour crier toujours “non, non” comme cela. L'UPG n'a pas besoin de label, d'une alliance ou d'un groupe de parti pour être de l'opposition. Le jour où nous estimons en conscience que le gouvernement s'achemine vers une voie qui recoupe la nôtre, pourquoi vous pensez que je serai un homme politique normal de continuer à dire “non”?
Vous dites que vous n'êtes pas allés rencontrer le chef de l'Etat pour lui demander quelque chose. A supposer maintenant qu'il vous propose l'entrée au gouvernement…
(A haute voix!) Je crois que c'est un faux problème. Le problème guinéen n'est pas d'entrer au gouvernement ou d'en sortir. L'entrée au gouvernement est conditionnée par l'acceptation du programme de gouvernement, la méthode de mise en oeuvre du programme. Donc la question est complètement fausse. Ce problème d'avoir le poste c'est un autre discours. S'il s'agissait de revendiquer, de faire un gouvernement d'union nationale, la logique de gouvernement d'union nationale c'est que celui qui mène la barque tiendrait compte de l'arrivée des gens aux visions différentes de celles des gens qui sont là. Et en ce moment ils feraient des confusions là-bas. Mais vous quittez comme cela verticalement pour rentrer au gouvernement. Non! vous n'êtes pas logique. Mais si les débats que nous faisons comme cela, nous prions le chef de l'Etat parce qu'il faut le prier.
C'est un concept gigantesque: chef de l'Etat. En Guinée le chef de l'Etat a quelque chose de particulier. Il a les attributions de l'empereur de Rome. Il détient la protesta et l'imperium. Il est tout puissant. Il est le président du concept de la magistrature. Il a un pied dans chacune des institutions. Aujourd'hui c'est une erreur pour un opposant s'il est conséquent de demander comme cela de but en blanc à entrer au gouvernement. Notre parti n'a jamais envisagé cela. Mais si demain le président Lansana Conté imprimait à sa politique une démarche, une expression qui nous donne le sentiment fort que cela recoupe notre propre démarche et notre vision, nous cesserions d'être de l'opposition. Mais cesser d'être de l'opposition ne veut pas dire forcément qu'on entre dans le gouvernement. Je crois qu'on peut être d'accord avec un gouvernement sans être ministre de ce gouvernement.
Et là j'ai expliqué au président ce que c'est qu'une bonne Assemblée nationale. Parce que ce que nous avons actuellement n'est pas une Assemblée. C'est n'importe quoi! Que le gouvernement ait déposé le projet de loi dans les délais ou pas on continue de rouler. J'ai dit :
— “Monsieur le président, vous vous rappelez, j'avais crié très fort pour vous demander de dissoudre l'Assemblée nationale. Mais je crois que je n'ai pas été entendu. Ou bien vous m'avez entendu et vous n'avez rien voulu faire. Et aujourd'hui ce que j'ai dit à cette époque continue de valoir. Nous sommes rentrés au parlement. On roule. On continue de nous payer mais nous ne faisons pas le travail...”
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