webGuinée
Presse écrite
La Lance

N° 148 — 20 octobre 1999


Interview avec
Dr Saccoh, Ambassadeur de Sierra Leone
Ali Badara Camara, son adjoint, Sammuel Kai Kai, chancelier

Dr. Saccoh

La Lance: M. Foday Sankhon et Johnny Paul, sont enfin rentrés au bercail, pensez-vous que la guerre soit finie?
Dr. Saccoh : Une guerre ne s'arrête pas automatiquement, comme un véhicule que l’on freine. La guerre a duré 10 ans. Donc elle ne peut pas finir comme ça. L’arrivée de Johnny Paul et Foday Sankhon en Sierra Leone est un point positif pour le processus de paix. Je suis sûr que la paix va s’imposer. Rappelez vous que l’accord a été signé le 7 juillet à Lomé. Et Foday Sankhon avait dit qu’il serait à Freetown après 2 semaines. Entre le 7 juillet et le 4 octobre, ça fait plus de deux semaines. Donc personne n’était sûr de l’arrivée de Foday Sankhon. Même son arrivée avait été différé du dimanche au lundi. Personne n’était sûr de cette arrivée. C'est pourquoi à Freetown, la réception à leur intention n’était pas enthousiaste.

Quelle importance accordez-vous au retour définitif des deux chefs de factions ?
Ali Badara Camara: Leur présence va donner confiance à la population. Car après tout, ce sont des leaders d'opinion. Avant de rentrer à Freetown, Foday Sankhon a visité plusieurs capitales de la sous-région, sans passer par Conakry… Cette question est un peu difficile à répondre. Mais sachez que les “Sankhon” sont d’origine guinéenne. D’ailleurs, la dernière fois que Foday Sankhon était venu ici, le chef de protocole et le conseiller personnel du Président se sont retrouvés dans un environnement de famille. Le départ pour le Togo, avait été organisé pour faciliter le processus de paix. S’il est allé voir les autres présidents, je pense que finalement il viendra à Conakry.
Dr. Saccoh: Je crois que Sankhon a eu tort de ne pas venir ici. Il devrait venir en Guinée parce qu’il devrait être bien reçu. Avant d’être emprisonné à Freetown, quand il était venu ici, on lui avait facilité une rencontre avec le chef de l’Etat. Donc après l’accord de Lomé, c’était obligatoire pour lui de venir en Guinée. Ça, c’est mon opinion personnelle. Parce que la Guinée avait joué un rôle positif pour la paix dans notre pays. Et vous pouvez encore vous demander, pourquoi le président Conté n’a pas été invité au Togo à la signature de l’accord de Lomé? Mais la réponse se trouve avec les autorités de Lomé. Pour cela quand mon président est venu du Togo, il est venu ici pour expliquer à son frère ce qui s’est passé au Togo.

Johnny Paul était réfugié au Liberia. Sankhon est passé par Monrovia. Le Président Taylor semble incontournable pour le processus de paix en Sierra Leone…
Dr. Saccoh: Non! C’est vrai que Taylor, finalement, avait joué un rôle positif. Le monde est au courant de cela. Nous sommes contents qu’il ait conseillé et encouragé les deux hommes à rentrer au pays. S’il y a la paix en Sierra Leone, Taylor sait qu’il y aura aussi la paix au Liberia. C’est pour cela que nous sommes fidèles à un président qui respecte son engagement.

Croyez-vous en la sincérité de Johnny Paul Kromah et Foday Sankhon? Vice-Ambassadeur ?
Nous avons écouté les interviews de Foday Sankhon et Johnny Paul Kromah. Tout est positif. Surtout à propos du dernier kidnapping à Okara-Hill. Nous sommes au courant du rôle que Johnny Paul a joué pour la libération des otages. Si Johnny Paul et Sankhon n’étaient pas prêts pour la paix, ils n’allaient pas revenir à Freetown.

Que faites-vous pour encourager le retour des investisseurs en Sierra Leone ?
Le chef de Chancellerie: Je suis sûr que le ministre du commerce avait tenu plusieurs réunions avec les investisseurs et les institutions commerciales. Vu le retour dans le pays de Chankadas et les autres institutions commerciales, le gouvernement commence à marquer des points. Avec le retour de Foday Sankhon, les opérateurs économiques sont prêts à se réinstaller à Freetown. Certaines compagnies aériennes y sont déjà retournées. Le destin de la Sierra Leone est dans les mains des Sierra Léonais. Donc il faut développer le commerce dans notre pays.

Pensez-vous que les victimes dont les membres ont été amputés par les rebelles peuvent pardonner?
Je pense que non! Vous vous souvenez de ce que le président Kabbah avait fait au Togo durant la signature de l’accord de paix. Presque tout le monde a pleuré, lorsqu’il avait montré une petite de 2 ou 3 ans amputée des deux mains. Il a dit que c’est pour cela qu’il va signer l’accord de paix. La communauté internationale avait abandonné la Sierra Leone. Donc, si les enfants et les femmes victimes des atrocités pardonnent, cela peut amener une paix durable dans notre pays. Il a été démontré que les amputations et les atrocités commises en Sierra Leone sont une première dans le monde. Durant la 2è guerre mondiale, plusieurs dizaines de millions de personnes ont perdu leur vie. Mais parmi ces millions, il n’y avait pas d’amputés. En Sierra Leone, à chaque fois que vous rencontrez un amputé, cela vous rappellera la guerre. C’est pour cette raison qu’ils ont dit de pardonner. On peut pardonner, mais on ne peut pas oublier. C’est une situation très triste.

Pourtant M. Foday Sankhon ne veut pas d’une commission de vérité et réconciliation, comme en Afrique du Sud.
Dr. Saccoh: Je ne sais pas ce que vous voulez dire par réconciliation. Déjà il y a réconciliation. Donc si nous oublions, cessons d’accuser le RUF et la Junte pour les faits ou bien l’ECOMOG et les “Kamajors”. Tournons une nouvelle page. Oublions tout!

Kofi Annan (Secrétaire général de l’ONU) avait proposé d’envoyer des observateurs militaires en Sierra Leone, mais Foday Sankhon s’y oppose…
Dr. Saccoh: Ce n’est pas à lui d’accepter. Il est commissaire dans un nouveau poste. Donc il n’a pas le droit de dicter quoi que ce soit au gouvernement. Il est membre du gouvernement et chef du département qu’il dirige. Quand l’accord d’Abidjan a été signé, qui stipule que les Nations Unies devaient envoyer 700 observateurs militaires, il avait refusé. Disant qu’il n’accepte que 100 observateurs militaires. Mais maintenant, c’est au président Kabbah d’apprécier le nombre de ces observateurs. Je crois que cette fois-ci, Foday va accepter les 6 mille observateurs. Bien armés, bien préparés avec des unités, des hélicoptères, et les autres matériels militaires. Actuellement, les combattants sont prêts à être désarmés. Qu’ils soient du RUF, de la Junte militaire ou des Kamajors.

Le président Kabbah, Foday Sankhon et JPK ont récemment animé un atelier “anti-corruption”, de quoi s'est-il agi ?
Vice-ambassadeur: Nous suivons ce qui se passe au Nigeria. Il y a une commission de vérité qui enquête sur les détournements et atrocités commis dans ce pays. Cette action peut même toucher l’actuel président du Nigeria. Cette commission de réconciliation doit examiner la période de 1966 jusqu’au temps de Abdul Salam Abubakar. Donc, c’était essentiel en Sierra Leone de constituer une commission anti-corruption. Parce que cela va obliger le gouvernement à être transparent. Surtout pour ce qui concerne l’argent de l’Etat, donc des citoyens. C’est cela qu’on appelle une bonne gouvernance. Donc je soutiens le président Kabbah pour son initiative pour lutter contre la corruption dans le pays.

Que fait votre ambassade pour le rapatriement des réfugiés?
Dr. Saccoh: Tout récemment dans notre ambassade, il y a eu une réunion avec un haut fonctionnaire du H.C.R. Il nous a dit d’encourager les réfugiés à retourner mais à ne pas rentrer par eux-mêmes. Disant que les réfugiés peuvent aller au camp pour s’inscrire et le H.C.R. viendra les prendre là pour leur village d’origine en Sierra Leone. Ainsi, le H.C.R. pourrait leur apporter une assistance financière. Si vous êtes cultivateur, on vous donne du matériel et vous assiste quelle que soit votre profession. C’est pour cela quand quelqu’un vient disant qu’il est pauvre, il veut quelque chose, on lui donne une lettre pour qu’il aille voir le H.C.R. Quand il arrive là-bas, on l’inscrit et on l’amène au camp.

Il semble que certains détiennent de faux documents établis par des gens dans la rue ?
Chef Chancellerie: Il y a des Léonais qui viennent ici à l’Ambassade. C’est notre devoir de leur donner des documents propres. Mais chacun d’eux est complice avec d’autres Léonais pour leur fabriquer de faux documents de notre ambassade. Comme les cachets, copie de laissez-passer, etc.… Une façon pour eux de se faire de l’argent. Cela a commencé en 1997, au temps de la junte militaire. Beaucoup de gens qui ne sont pas employés de l’ambassade ont été invités à y travailler à cause de l’afflux de réfugiés. Je sais que cette mauvaise pratique avait commencé depuis longtemps. Même en Guinée Bissau, certains Sierra Léonais sont allés sous prétexte d’être des envoyés spéciaux de l’ambassade, pour enregistrer les réfugiés. Ils ont présenté une fausse lettre prétendument écrite par l’ambassade d’ici. Le 6 janvier 1999, on nous a accusé d’avoir donné des visas à des “mercenaires ukrainiens” pour qu’ils entrent en Sierra Leone. Pendant le coup d’Etat, quand je travaillais avec le gouvernement en exil, nous avons fourni des lettres à toutes nos ambassades disant qu’aucun Ukrainien ne doit avoir le visa sierra léonais en même temps que les citoyens d’Israël. Au niveau diplomatique, il y a déficit de confiance entre nous et les autres ambassades. Quand je suis arrivé ici nouvellement, nos collègues du Maroc, du Liban n’étaient pas contents de la façon dont les documents sortaient de notre ambassade. Parfois, ils les rejetaient. Donc quand une administration s’effondre, c’est tout le monde qui va souffrir, c’est pas seulement le gouvernement. Quand un léonais veut aller aux Etats-Unis, il n’y a pas de documents.

Propos recueillis par Prosper Doré et Karim Kamara