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Presse écrite
La Lance

N° 148 — 20 octobre 1999


Entretien
M. Fodé Moussa Sylla , Directeur National des services de Police:
« On n'apprend pas à un vieux singe à faire de la grimace ! »


Le lundi 11 octobre nous avons rencontré à la Direction Nationale de la police M. Fodé Moussa Sylla, le Directeur . L'entretien n'a pas porté que sur la manifestation des élèves. d'autres sujets d'intérêts ont également été abordés. La question du vieillissement de la police du pays. Rajeunir pour rajeunir… , les relations tendues avec M. Goureissy Condé, ministre de la sécurité. En exclusivité M. Fodé Moussa Sylla nous livre ses sentiments.

LA LANCE : Les élèves ont manifesté dans la rue le lundi 11 octobre…
M. Fodé M. Sylla: Nous avions des informations selon lesquelles les élèves allaient descendre dans la rue et protester contre l'augmentation du prix de transport. Quoique je sache, cet argent ne vient pas de la poche des élèves. Plutôt, peut-être, celles de leurs parents. C'est donc dire que les élèves, pour une raison ou pour une autre, ou sur instruction ou sur manipulation, ont envahi les rues de la capitale le matin du 11 octobre. Nous avions organisé ce qu'on appelle généralement le rétablissement de l'ordre public. Parce que, si les fonctionnaires qui se lèvent le matin pour aller au travail sont empêchés, cela ne va plus. S'ils avaient peut-être l'intention de ne pas aller, c'est autre chose, mais nous avions mis des dispositifs au niveau de chaque commune et particulièrement à des endroits précis: Enta, Sangoyah, Yimbaya…. le matin, la plupart des élèves étaient dans les classes, sauf dans les secteurs que je viens de citer, d'où ils sont descendus dans la rue. Avec des jets de pierres. Ce qui a occasionné des dégâts. Les chauffeurs de Magbanas au départ, étaient dans la rue. Mais avec les jets de pierres, ils ont complètement disparu.
Donc cela continué comme ça avec des décentes de rue, des jets de pierres sur les policiers et sur les autres usagers de la route. Finalement on a réussi à rétablir l'ordre. Mais quand on finissait un peu vers Sangoyah, Matoto, les gens de Kipé aussi étaient sortis. Mais là, c'était moins grave; parce qu'il n'y a pas eu de jets de pierres. Les enfants ont simplement quitté les cours pour rentrer chez eux.
Au bilan, il y a eu effectivement beaucoup de dégâts, des vitres cassés et même des blessés. Des blessés des deux côtés. Parce que nous, généralement, nous utilisons les grenades lacrymogènes. Mais nous avons actuellement une espèce de grenade qui fait tellement de bruit que quand on la lance ici, si tu n'es pas habitué, tu détaleras tout de suite. Nous l'avons utilisée pour pouvoir disperser.

Pensez-vous vraiment que des éléments étrangers ont infiltré le mouvement des élèves?
Je suis formel qu'ils ont été infiltrés. Pourquoi je le dis? Parce qu'au niveau de la « casse » de Dixinn où il n'y a aucune école aux alentours, ils sont sortis pour mettre des barrages allumés. Et là, nos agents ont dégagé quatre fois. La cinquième fois, ils ont pourchassé les gens et ont procédé à des arrestations. Ce qui me fait plaisir.
Pas le plaisir d'avoir arrêté des gens, mais les circonstances. Parce que la presse était là. Si le cameraman de l'ORTG a été très actif, il aurait pu filmer ça. Vous savez, il y a 5 ou 6 ans, on pouvait faire banalement une heure pour traverser l'axe Dixinn-Gare-Carrefour Constantin. Mais aujourd'hui, c'est complètement dégagé.
Mais les gens de la « Casse » , parce qu'il leur a été indiqué un endroit pour s'établir, au niveau de Sonfonia, ont préféré rentrer dans le quartier. Ce sont ces gens-là qui sortent. Je suis à peu près certain de vous dire qu'à ce niveau tout le monde connaît, quand on dégageait« la casse » , il y avait le drapeau du RPG là-bas. Les gens tapaient sur leur tambour et j'ai jusqu'à présent le tambour à CMIS. C'est vous dire que là-bas, il y a eu manipulation. Parce que vraiment c'était quelque chose qui ne les concernait pas spécialement. Les élèves protestent contre l'augmentation du prix du transport. Et les autres viennent les aider… On n'a pas beaucoup apprécié cela.
En tout cas pas au niveau de la direction générale de la police.

Vous n'avez pas encore confirmé la mort des deux élèves.
Je vais confirmer quand je vais me rendre à l'évidence, quand je vais recevoir un rapport de police qui l'indique. Il y a aucun problème je le dirai. Je communiquerai même les noms.

Est-ce que cette manifestation n'était pas prévisible avec l'augmentation du prix du carburant ?
Les transporteurs et leur syndicat, l'union, se sont tous retrouvés au ministère du commerce pour envisager la possibilité d'augmenter le prix du transport. Mais il faut toujours dire qu'à de pareilles occasions, tout est prévisible et tout est possible. Parce qu'il y a aujourd'hui des gens qui attendent une simple occasion pour sauter là-dessus. Sinon, je vous dis, trois jours après l'augmentation, pour moi il n'était plus prévisible que les gens descendent dans la rue. Parce que cela devait être spontané. Mais la réaction ici, c'est qu'il y aurait plus eu de changement. Donc il fallait qu'on manifeste. parce que c'est le premier jour qu'on peut revenir sur une décision. Mais quand elle est appliquée, c'est difficile qu'on revienne là- dessus.

Ne pensez-vous pas que cette augmentation du prix du transport a excédé les élèves qui se déplacent d'un bout à l'autre de la ville pour aller à l'école ?
C'est ce que je viens de vous dire. Nous avons demandé à ce que le ministère des transports et du commerce se retrouvent avec les transporteurs, l'union et le syndicat pour jouer carte sur table. C'est ce qu'on appelle les mesures d'accompagnement. Pour éviter ce qu'on a connu aujourd'hui. Mais, pour nous, que les élèves descendent dans la rue, s'explique très peu. Parce que les élèves ne sortent pas l'argent de leurs poches. Pourquoi alors eux? Parce que c'est la partie la plus sensible de la population. Quand vous touchez à un élève, vous touchez à son père, à sa mère. Donc, vous touchez la population. Et si cette population ne peut pas sortir parce qu'elle n'a pas d'arguments, on peut jeter les enfants dans la rue. C'est trop criminel d'envoyer les élèves dans la rue. J'aurais compris que le syndicat descende dans la rue avec des pancartes pour dire « descendez les prix. A bas ceci, à bas cela » . N'est-ce pas? Mais les élèves ! Quel est le motif réel ? Il n'y a pas de motif. Si on me disait que les élèves disaient que la rentrée a été dure parce qu'on a fait payer de l'argent supplémentaire. Ou on a scandaleusement augmenté le prix des fournitures… Mais, ils ne peuvent pas le dire. Parce que les fournitures étaient bien payées, pour tous les parents organisés, depuis un mois déjà. Parce que moi qui sais que mon enfant rentre à l'école en octobre, dès le 15 septembre je commence à me préparer ! vous voyez ce que je veux dire. Donc cela ne rentre pas en ligne de compte. Dire que c'est par rapport à l'augmentation du prix des fournitures. Je veux vous dire que tout cela, c'est pour vous dégager l'idée que la descente des élèves est un prétexte. Cela, je ne l'ai pas prévu. Mes services, non plus. Mais les rumeurs recoupées après, ont indiqué que les élèves descendaient
dans la rue le lundi. Nos gens avaient ces informations depuis samedi.

Que représente pour vous la police
Bien. La police, si on se réfère à Larousse, c'est l'administration, la gestion de la cité. La police? C'est un tout pour moi, qui vous parle. Je suis allé à l'école de police à 20 ans. Tout ce qui est à moi, je l'ai eu dans la police. Parce que j'y crois. Pourquoi j'y crois? Parce que pour moi la police c'est un peu la défense de celui qui est léger. C'est ça l'expression de la police pour moi. Si je fais le rétablissement de l'ordre public.

Votre carrière, alors ?
C'est ce que je suis en train de faire maintenant. Etre à un niveau où je peux prendre une décision et écouter.

Vous étiez absent de la conférence de presse tenue par le ministre de la sécurité « sur l'insécurité en Guinée »
Vous savez, que je sois présent ou pas cela n'a pas de signification. L'essentiel est qu'il parle au nom de la police nationale. Dans l'ensemble du pays. Comparaison n'est jamais raison. Mais il faut avouer que la police dans mon pays évolue bien. Parce que par rapport aux effectifs, par rapport aux moyens que nous avons vraiment, je félicite les hommes de la police.
Il faut que les gens comprennent et acceptent que la police, c'est ce monsieur qui est sollicité à une heure de la nuit, à 2 heures de la nuit, à 4 heures de la nuit, quand tout le monde dort. C'est cela la noblesse de ce travail.

On parle beaucoup de "la corruption" de vos hommes.
Je voudrais qu'on me dise un peu ce qu'on appelle ici corruption. C'est un concept qu'il faut qu'on discute un jour. Je vais vous dire une chose qui va vous frapper. Je me suis amusé plus d'une fois ; je viens, je tombe sur les agents, ils sont cinq. Je leur dis. « Je ne passe pas, donnez-moi 1000FG » . Ils fouillent tous dans leurs poches, ils ne trouvent pas. Je ne les crois pas. Je viens. Je mets la main dans leurs poches. Vous savez le maximum que je retrouve? Cela ne fait pas 800FG. On peut appeler cela corruption? Corruption par définition c'est quoi? C'est de faire le travail pour lequel on est payé, moyennant quelque chose d'autre. Par exemple, je suis en infraction. Je ferme les yeux sur l'infraction parce que vous m'avez donné l'argent. Mais il faudrait que ce que vous me donnez soit susceptible de m'arranger par rapport à l'infraction commise. Les agents et les chauffeurs de minibus « magbanas » sont des habitués. C'est à dire ce sont des gens qui sont devenus de véritables Sanakous. Que je pourrais traduire par des cousins à plaisanterie.

Propos recueillis par Benn Pepito