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Presse écrite


Après les élections, quel premier ministre pour la Guinée ?

L'Indépendant

Quel premier ministre pour la Guinée ? L'heure est aux luttes de clans, exacerbées par la perspective du remaniement ministériel. Mais la question qui suscite le débat est celle relative à la nomination du Premier ministre En dépit d'une réelle volonté de changement — le score de l'opposition le prouve à suffisance —, plusieurs personnes estiment qu'il n'est pas exclu que le général-président reconduise en partie l'équipe actuelle. D'où sortira alors le premier ministre si il doit y avoir ?

Mic mac autour d'un poste

A défaut de pouvoir décrire exactement le profil du nouveau premier ministre, il faut dire que dans les coulisses on avance des noms. En attendant que le chef de l'Etat ne tranche. Parmi les « premiers ministrables » , en plus de Sidya Touré bien évidemment, on avance des noms tels que Thierno Cellou Diallo, directeur de campagne du candidat Lansana Conté, Ibrahima Kassory Fofana, ministre des Finances. Mais aussi, de ce compatriote des Nations-Unies, Issa Ben Diallo.

Des noms et des profils...,

Après la réélection du général Conté, le très probable remaniement du gouvernement qui devrait suivre est l'objet de maintes supputations au sein de l'opinion. Notamment, à propos de l'identité du Premier ministre qui devra coordonner les actions gouvernementales, dans l'optique des changements préconisés par le chef de l'Etat. Les noms qui reviennent le plus souvent ?

Sidya Touré : le « sauveur » venu d'Abidjan

Pour : Sa nomination au poste de Premier ministre, le 9 juillet 1996, est perçue comme une véritable opération de sauvetage de l'économie guinéenne. En effet, au moment où cet ancien directeur de cabinet d'un Premier ministre de la Côte d'Ivoire (Alhassane Ouattara) venait occuper la Primature en Guinée, son pays d'origine, tous les indicateurs économiques étaient au rouge, et il n'existait pas de programme avec le Fonds monétaire international (FMI). Les mesures d'assainissement qu'il annoncera, dès sa prise de fonction, et les premières missions qu'il menera pour rassurer les différents bailleurs de fonds ne seront pas vaines. Dès septembre 1996, le pays décrochera, auprès du FMI, un programme triennal dans le cadre de la Facilité d'ajustement structurel renforcé (Fas-r). Depuis, selon les affirmations des différentes missions du Fmi et de la Banque mondiale qui sont passées à Conakry, la Guinée est créditée d'une bonne tenue des indicateurs macro-économiques (croissance d'environ 5%, inflation maîtrisée, etc...). Sans oublier que Sidya Touré s'est positivement impliqué dans la campagne pour la réélection du président Conté. Toujours au compte des atouts de l'actuel Premier ministre, on peut parler de cette imagerie populaire qui, par rapport à ses contre-performances, le dédouane en invoquant une marge de manoeuvre que le pouvoir aurait réduite par le décret du 14 février 1997. Enfin, dans un contexte marqué par un certain antagonisme entre les grands groupes ethniques, le fait d'appartenir à une minorité (les Diakhankés) lui fait jouer, malgré lui, un rôle d'homme consensuel au sein de l'opinion.

Contre : Pour de nombreux Guinéens, s'il est évident que les réformes initiées ont amélioré la santé de l'économie du pays, il serait injuste d'en attribuer le mérite au seul Sidya Touré. Pis, ceux-ci lui reprochent de n'avoir pas eu suffisamment de poigne. Sinon, selon eux, les résultats auraient été meilleurs. Il n'aurait pas réussi, avant même le décret du 14 février 1997, à faire appliquer certaines de ses décisions prises au lendemain de sa nomination :

Certains jugent incompatibles ses fonctions de Premier ministre et ses activités d'homme d'affaire. Il est actionnaire, entre autres, de :

D'autres lui attribuent des propriétés immobilières acquises seulement après sa nomination. Enfin, il y a un autre problème non moins important, et qui concerne le véritable statut de Sidya Touré : est-il un fonctionnaire guinéen à part entière ou un fonctionnaire ivoirien détaché en Guinée?

Thierno M. Cellou Diallo : la « mascotte » qui fait gagner

Pour : Quand en 1993, il s'est agi de trouver un directeur de campagne pour le général Conté, candidat du Parti de l'unité et du progrès — Pup —, ils n'étaient pas nombreux ceux qui misaient sur celui qu'on appelait à l'époque tout simplement Cellou Dalein. Pourtant, c'est cet homme qui n'était pas parmi les plus en vue du Pup qui dirigera la campagne victorieuse du candidat Lansana Conté. C'est donc tout naturellement que, cinq ans après, l'actuel chef de l'Etat ne jugera pas nécessaire de changer sa « mascotte » porte-bonheur pour briguer un deuxième (ou second ?) mandat. Avec 56,11% des suffrages valablement exprimés, contre un peu plus de 51% en 1993, cette deuxième victoire prend presque des allures de triomphe. Pour beaucoup, ce sera l'occasion, à travers un discours réussi au « Petit palais » et ses conférences de presse, de découvrir son grand talent de communicateur. Les seuls n'ayant pas été surpris, étant ceux qui ont suivi son passage au ministère de l'Agriculture. Où déjà, en tant que secrétaire général, le personnage s'est forgé une réputation de cadre compétent . Modéré, il pourrait constituer pour le général Conté un appui sérieux pour contrer les réflexes autoritaristes des extrémistes évoluant au sein de la mouvance présidentielle.

Contre : Sa présence au ministère du Plan où, à cause d'une certaine répartition des tâches au sein du gouvernement, il n'a pas eu tellement l'occasion de se mettre en vedette. Notamment sur le plan médiatique. En parlant justement de médias, les rares fois où Cellou Diallo est apparu sur le petit écran, il lui est arrivé de choquer plus d'un à cause de certaines expressions jugées trop familières, voire vulgaires. Dans un point de presse organisé conjointement par des missionnaires du Fmi et les ministres du Plan et de l'Economie et des finances, n'assimilait-il pas cette institution financière internationale à « une jolie fille qu'il faut draguer » ? Il devra, en outre, à l'image de tout cadre guinéen n'ayant évolué que dans l'administration du pays, affronter le préjugé selon lequel, celui qui n'a connu que les méthodes de gestion en cours chez nous ne saurait être incapable d'opérer les mutations attendues.

Issa Ben Yacine Diallo : l'expérience des Nations Unies

Pour : Depuis la mise en veilleuse du poste en 1985, jusqu'à la nomination de Sidya Touré en 1996, le nom d'Issa Diallo a été toujours évoqué, dans les milieux politiques guinéens, comme celui d'un futur Premier ministre. Fonctionnaire international, Issa Diallo est certainement l'un des Guinéens qui auront le plus fait bonne impression aux Nations-unies. Actuellement envoyé spécial du secrétaire général de l'ONU, Koffi Annan, en Angola, ce fils de Yacine Diallo — premier député guinéen — a eu aussi à diriger , en tant qu'intérimaire, la Commission économique pour l'Afrique (CEA) de l'Organisation des Nations-unies. Après la prise du pouvoir par l'armée en 1984, Issa Diallo n'est pas rentré définitivement en Guinée, préférant poursuivre sa carrière de fonctionnaire international. Mais, régulièrement, il y effectue des séjours sans faire trop de bruit. Mettant plutôt l'occasion à profit pour s'occuper de ses projets sur place et s'entretenir avec la classe politique, les citoyens et les gouvernants. C'est ainsi qu'il aura le privilège de rencontrer à plusieurs reprises le général Conté pour lequel il ne tarit pas d'éloges. Ayant longtemps évolué dans des structures aux méthodes de gestion éprouvées, certainement que la tâche de Premier ministre dans son pays constituerait un défi majeur pour lui. Autre avantage, l'important réseau d'amitiés et de relations tissé grâce à son expérience sur le plan international.

Contre : Une certaine méconnaissance de l'administration guinéenne et le fait d'être inconnu du grand public.

Ibrahima Kassory Fofana « l'Homme fort » du moment

Pour : Après une progression fulgurante au sein de l'administration publique, cet ancien patron de l'Acgp (Administration et contrôle des grands projets) passe aujourd'hui pour celui à qui (avec Sidya Touré) on doit le satisfecit du FMI et de la Banque Mondiale. Il a engagé une lutte farouche contre les auteurs de détournements et autres malversations au préjudice de l'Etat. En réussissant un assainissement non négligeable du circuit des dépenses publiques, même si certaines démarches ne sont pas exemptes de toute critique. Egalement, Ibrahima Kassory Fofana a pour lui le fait qu'il symbolise, à un certain égard, l'émergence à de hauts postes de l'Etat de jeunes cadres formés par l'université guinéenne. Sans compter sa très grande influence au sein du gouvernement dont certains membres lui vouent un respect proche de l'allégeance. Ce qui pourrait présumer de ses qualités pour une éventuelle coordination des actions gouvernementales.

Contre : Rigueur pour les uns, « dictature » pour les autres, on ne manque pas de mots pour qualifier les rapports souvent tendus entre le ministre et ses proches collaborateurs. Une situation qui a valu à Kassory Fofana la réputation « d'invivable » , et qui expliquerait la mise à la touche de cadres compétents. Pour reparler assainissement, on parle, à tort ou à raison, d'une certaine villa, à la Cité ministérielle, "chèrement" rénovée pour être "modiquement" rachetée. Mais le plus grand handicap pour Kassory serait cet ethnocentrisme ambiant qui poussent de nombreux Guinéens à juger tout acte de l'Etat sous l'angle de l'appartenance (ou de l'antagonisme) ethnique. Surtout que les leaders de l'opposition, en mal de slogans mobilisateurs, tirent souvent sur cette fibre en parlant de ce qu'ils qualifient d'un pouvoir d'une ethnie ou d'un clan.

De l'avis presque général, le perchoir de la primature se jouera entre ces personnes. A moins que le chef de l'Etat ne lorgne vers le Pup, histoire de satisfaire à la demande du Secrétaire général de ce parti qui reprenait, lors de la présentation des vux, le slogan de campagne désormais célèbre : « avec le général ce sera ton pied mon pied » . Mais, quoi qu'il en soit, il y aura une question de crédibilité, de force de caractère, d'efficacité et de notoriété internationale, entre autres critères. Précisement et à coup sûr, ce premier ministre devra disposer de la double possibilité d'avoir l'assentiment des bailleurs de fonds pour conduire les contraignantes réformes auxquelles le pays est assujetti, et de faire l'unanimité au sein de la population qui devrait continuer à en subir les conséquences. S'il est probable comme le disent les observateurs, que Lansana Conté fasse appel à l'opposition pour le futur gouvernement, il n'est pas évident que le premier ministre sorte de ses rangs. Le chef de l'Etat qui a un quinquennat à défendre évitera certainement de choisir un opposant pour être le premier de ses ministres. Au besoin, il voudra peut-être choisir une solution médiane, avec un leader un peu plus proche de la mouvance présidentielle. Une main tendue à l'opposition, peut être Mais il faut bien compter sur le fait que l'homme est des plus imprévisibles et qu'il sorte un de ses coups dont lui seul a le secret. Pour trouver un premier ministre à même de décrisper l'atmosphère préélectorale il pourra alors en prendre dans le sérail del'opposition. Dans tous les cas, la tâche est aussi difficile que de construire une église en Arabie Saoudite. Ce qui renvoie à l'opportunité ou non d'un premier ministre dans les circonstances actuelles, et des problèmes que ce dernier ne manquera pas de rencontrer s'il n'est pas issu du clan qu'on estime, à tort ou à raison, avoir le vent en poupe en ce moment. Sidya Touré ne dira pas le contraire. Le nouveau premier ministre n'aura de pouvoir réel que si les prérogatives retirées à Sidya — ou qu'il s'est laissé retirer — lui étaient confiées. A l'heure des bilans, l'homme de la rue ne bénéficie pas encore des performances macro-économiques dont on parle tant, et la constitutionnalité du poste de premier ministre est reléguée au calendes grecques. Ce qui a fait dire à plusieurs observateurs que la primature est aujourd'hui une coquille vide. Dans ces conditions, quel sera le rôle ou le poids du nouveau premier ministre ? Ce poste étant tout simplement honorifique. Il faudra alors chercher le nouveau premier ministre ailleurs. Dans ce cas l'opposition pourrait alors bien faire l'affaire. Dans la mesure où la nomination d'un opposant à la primature décrispera l'atmosphère préélectorale et n'entachera en rien le quinquennat présidentiel.

Bakary Koné et O. Musa


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