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Jeune Afrique


Côte d'Ivoire. — Que peut faire N'Golo Coulibaly ?

n° 2035 11-17 janvier


L'ex-« monsieur Dette » du gouvernement Ouattara est choisi à l'unanimité pour prendre la tête de l'économie et des Finances dans la nouvelle équipe au pouvoir. Il devra redoubler d'imagination pour sortir son pays de l'impasse dans laquelle l'a laissé l'ancien régime.

Lors des négociations entre les dirigeants du Comité national de salut public (CNSP) et les partis politiques (3 et 4 décembre), l'attribution du portefeuille du ministère de l'économie et des Finances a été la plus rapide et la plus consensuelle. Un seul nom s'est imposé dès le départ et a fait l'unanimité parmi les participants : N'Golo Coulibaly, président du groupe parlementaire du Rassemblement des républicains (RDR), le parti d'Alassane Dramane Ouattara (ADO) et, surtout, ancien directeur général de la Comptabilité publique et du Trésor (1986-1991).
— Il est l'homme de la situation, dit de lui un dirigeant du RDR.
— C'est un bon gestionnaire et un bon technicien, renchérit un membre du CNSP.
Plutôt réservé, voire timide, Coulibaly, 55 ans, est en effet de loin le meilleur spécialiste de l'économie publique en Côte d'Ivoire. Originaire du Nord — il est né à M'Bengué —, le nouveau grand argentier de la Côte d'Ivoire est titulaire d'un MBA de la George Washington University. Un diplôme qui lui a ouvert les portes de la Caisse autonome d'amortissement (CAA), organisme public chargé de la gestion de la dette publique. De simple chargé d'études en 1974, Coulibaly devient deux ans plus tard directeur de la dette publique. À ce poste, qu'il a occupé jusqu'à la crise des matières premières de 1986, il a assisté, impuissant, aux premiers dérapages budgétaires de l'ère Houphouët. Le miracle ivoirien de 1975 et les grands travaux qu'il a engendrés ont précipité la Côte d'Ivoire dans la spirale de l'endettement. De 7,45 milliards de F CFA en 1980, l'encours de la dette publique avoisinait les 13 milliards en 1987. En décidant de suspendre la même année le paiement du servi ce de la dette du pays pour cause d'effondrement des cours internationaux du café et du cacao, l'ancien président Houphouët-Boigny n'a pas facilité la tâche de N'Golo Coulibaly, qu'il venait de nommer directeur de la Comptabilité publique et du Trésor.
De ce poste stratégique, Coulibaly n'avait pas pu contenir l'hémorragie. Lorsqu'il a quitté le Trésor en 1991 pour la direction générale de la CAA, sur proposition d'Alassane Dramane Ouattara, qui dirigeait le gouvernement à l'époque, l'ardoise de l'état auprès de ses créanciers frôlait les 17,5 milliards de F CFA, contre 14 milliards seulement trois ans plus tôt.
Libéré de toute tutelle, hormis bien sûr celle du Premier ministre qui avait également le portefeuille des Finances, le patron de la CAA a pu (enfin) mettre en application sa propre stratégie. En 1993, deux ans seulement après sa nomination, l'encours total de la dette publique s'établit à 14,9 milliards de F CFA. Il était de 18 milliards un an plus tôt.
Mais « monsieur Dette » du gouvernement Ouattara, comme on le surnommait, va, comme de nombreux cadres du Nord, faire les frais de la guerre de succession entre Henri Konan Bédié et ADO. En 1994, Bédié, à l'époque président de la République par intérim, l'évince de la direction générale de la CAA. En guise de compensation, il le désigne président du conseil d'administration de la moribonde Air Ivoire. Un placard où il fera long feu. En 1995, il abandonne l'administration pour la politique en se faisant élire député RDR dans sa région. Mais il est resté le véritable « monsieur économie » du parti de Ouattara, dont il est membre du secrétariat depuis avril 1998. Quels que soient ses qualités et son sérieux, le nouveau ministre de l'économie et des Finances doit redoubler d'imagination pour sortir son pays de l'impasse dans laquelle l'a laissé l'ancien régime. L'équation, pourtant à une seule inconnue, qu'il est censé résoudre est, dans la situation actuelle de la Côte d'Ivoire, tout simplement insoluble. Comment, avec des caisses pratiquement vides, peut-on assurer les traitements des fonctionnaires tout en continuant à servir la dette ? Ces deux postes, les plus sensibles du budget, représentent à eux seuls 60 % des dépenses de l'état. La position de N'Golo Coulibaly est d'autant plus inconfortable qu'il hérite d'une loi de finances 2000 pour le moins irréaliste. Ce texte élaboré avec l'aide des institutions financières internationales, et approuvé par l'Assemblée nationale, aujourd'hui dissoute, table sur des recettes de l'ordre de 1 600 milliards de F CFA et des dépenses d'un peu plus de 1 900 milliards, dont 757 milliards au titre du service de la dette (intérieure et extérieure) et 743 milliards pour les dépenses de fonctionnement. Côté recettes, le projet de budget prévoit 1 400 milliards de F CFA de revenus internes et 209 milliards d'aide extérieure.
Au nom du principe de la continuité de l'état, le gouvernement de transition est tenu de respecter les lignes de ce budget. Mais où trouver l'argent ? Selon des sources proches du CNSP, le décompte des régies financières de l'état (direction des impôts, douanes, Caisse de stabilisation, etc.), le 24 décembre, laisse apparaître un solde créditeur de... 5 milliards de F CFA ! Autant dire que l'objectif en matière de recettes relève de l'utopie. Le nouveau gouvernement l'a bien compris qui vient de décider de suspendre le remboursement de la dette publique (environ 400 milliards de F CFA en 2000). Ce choix qui n'est pas du tout du goût des bailleurs de fonds, qui ont déjà suspendu leur coopération avec la Côte d'Ivoire voici un an, risque tout simplement d'accélérer l'isolement d'Abidjan. Mais le président Robert Gueï et le gouvernement de transition, à forte connotation RDR, compte sur Alassane Ouattara, le président de cette formation et surtout ancien directeur général adjoint du FMI, pour débloquer la situation.

Assou Massou, envoyé spécial


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