Par une alchimie qui échappe aux paramètres de l'histoire des relations entre la Côte d'Ivoire et la Guinée, Henri Konan Bédié et Lansana Conté ont célébré le 5 décembre leur identité de vues sous la forme d'un communiqué commun pourfendant « l'ingérence dans les affaires intérieures des états » . Dans un style qui rappelle la période pas très lointaine oł la « dénonciation du complot intemational » était monnaie courante, les chefs d'état ivoirien et guinéen ont fait implicitement référence aux nombreuses réprobations qu'ont soulevées à travers le monde ce qu'il faut appeler l'affaire Alassane Ouattara et l'emprisonnement depuis un an, sans aucune forme de procès, d'Alpha Condé. Histoire de se conforter dans leurs certitudes que ces réactions intemationales ne sont « que des feux de paille » artificiellement entretenus par les « Blancs et leurs acolytes » , les deux présidents n'ont pas hésité à recourir à de vieiIles recettes.
La méthode prêterait à sourire si elle n'aboutissait à sceller une union inattendue entre deux pouvoirs qu'on croyait jusque-là totalement antinomiques.
Il y a toujours eu loin, en effet, de la Côte d'Ivoire d'Houphouët-Boigny ouverte sur le monde, à la Guinée de Sékou Touré enfermée dans une schizophrénie politique et en quête permanente d'ennemis extérieurs. étrange ironie de l'Histoire, le premier président de la République de Côte d'Ivoire a longtemps été la cible de son homologue guinéen qui voyait en lui l'exécuteur de tous les complots, vrais ou faux, ourdis contre lui par l'Occident et principalement par l'ancienne puissance coloniale.
à première vue, tout oppose les deux pays.
A côté d'une Côte d'Ivoire qui occupe une place essentielle sur l'échiquier ouest-africain et dont la diplomatie a pris un grand essor au cours des dernières années, la Guinée fait figure d'acteur international secondaire, réduit le plus souvent à subir les événements plutôt qu'à les anticiper et a fortiori les maîtriser. Leurs chefs d'état actuels ont eux-mêmes des parcours et des formations qui ne les prédisposent pas à avoir une même vision des relations internationales, sinon sur le minimum exigé par les usages diplomatiques et le voisinage immédiat.
De toute évidence, cette entente contre nature est de « circonstance » , et elle ne s'explique que par la similitude des difficultés que rencontrent les deux chefs d'état avec leurs oppositions internes. En croisant ainsi leur desfin pour le meilleur comme pour le pire, Henri Konan Bédié et Lansana Conté étalent au grand jour la fragilité du socle sur lequel ils sont assis et l'inanité des expédients politiques et judiciaires auxquels ils ont recours, pour se maintenir au pouvoir.
Dans cette alliance, Lansana Conté a certainement plus à gagner que son pair ivoirien : en s'afficant publiquement avec lui, il peut escompter tirer un crédi t que la gestion chaotique et arbitraire de son pays lui a fait perdre depuis bien longtemps. A l'inverse, Henri Konan Bédié, qui semblait soucieux de donner de son mode de gouvernement l'expression d'une « démocratie apaisée » s'expose au danger d'être idenfifié à un chef d'état n'ayant cure des règles les plus élémentaires du pluralisme. En s'associant à un Lansana Conté qui « a pris en otage » son principal opposant il jette définitivement le doute sur les procédures judiciaires engagées contre Ouattara et sur la légalité des arrestations des dirigeants du Rassemblement des républicains (RDR).
Il reste que la Côte d'Ivoire n'est pas la Guinée et qu'à vouloir manifester sa sofidarité avec le général Conté, Henri Konan Bédié court le risque d'un discrédit qui viderait de tout sens l'élection présidentielle de l'an prochain. Il doit en effet garder à l'esprit que, si Alpha Condé croupit en prison depuis le 16 décembre 1998, son geôlier incarne définitivement l'image d'un président peu « fréquentable » .
Albert Bourgi