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Crise généralisée 2007-2008/Le point de non-retour


Cheick Oumar Kanté
Poème
Sympathie pour les Forces en lutte !

Au moment où notre pays se débat pour s'offrir un destin différent de celui que lui ont concocté ses dirigeants successifs, je lui dédie ces quelques poèmes. Pour qu'il sache que les Guinéens — qui n'ont pas souvent choisi de vivre continuellement à l'étranger — lui sont solidaires. Puisse 2007 apporter le changement et le bonheur tant mérités afin que ne coule plus le sang des Guinéens !
Toute ma sympathie pour les forces en lutte !
COK

I — Prendre racine

Aussitôt que j'ai eu mes jouets de fortune rangé
Alors que du lait maternel je perdais juste le goût,
Grave je suis devenu tel que de te fuir j'ai été obligé
Sans imaginer, plus tard, devoir en assumer le coût.

Je t'ai fui, hélas, sans avoir eu le temps de te connaître !
N'ayant pas pris racine dans ces lieux qui m'ont vu naître,
J'ai été ballotté à tous vents pour osciller entre les extrêmes,
Persécuté par la folie furieuse d'un certain Chef Suprême.
J'ai bravé les trous d'air et les pressions aventureuses,
Vogué sans étoile ni boussole sur des mers houleuses.

Atteindrai-je jamais un seul port tranquille
Condamné que je suis à abandonner ma Presqu'île ?
Abeille butineuse et, de toute façon, insatiable,
D'une tentation à l'autre je voltige, instable.
Chassé d'ici, je me pose là, d'où je suis aussitôt chassé.
O, mon pays ! Ce beau pays mien que je n'ai pas étreint assez !

Je te le jure, je te le promets, je reviendrai.
Alors, à ta rencontre, à ta découverte, j'irai.
D'est en ouest, du nord au sud, je te parcourrai.
Chaque fois au centre une courte halte je marquerai,
Parmi mes plus proches, en vue de reprendre haleine.
Les ayant peu connus, je n'imagine pas moins leur peine.

Mes nuits devenues paisibles,
Mes matinées rendues à l'Espérance,
Je dormirai, je me réveillerai au chaud
Près de toi, sur toi, en toi.
J'écouterai battre le rythme de tes pulsations intimes
Et réussirai, enfin, avec toi tous les accords ultimes.

Quand j'aurai conquis ma domiciliation,
Quand, à l'épreuve d'affiliation,
J'aurai avec grand succès passé,
Quand j'aurai ton amertume effacé
Et l'ensemble de tes doléances noté,
Je reprendrai racine en beauté.
En accord avec toi,
En accord avec moi !

II — Chérir son pays...

Je vous aurais menti
Si je vous avais chanté la beauté de mon pays.
Je vous aurais menti
Si je vous avais fredonné le bonheur des miens.
Je vous aurais menti
Si je vous avais raconté le charme de mes sœurs.
Je vous aurais menti
Si je vous avais dit qu'il faisait bon vivre d'où je viens.

Aimer son pays,
Ce n'est pas mentir sur lui.
Ce n'est pas éclairer par ses hallucinations des nuits sans lune.
Ce n'est pas bâtir
Dans les déserts de ses fantasmes des mirages fabuleux.

Chérir son pays,
C'est en vivre partout les misères.
C'est exhaler fort ses odeurs de putréfaction.
C'est porter haut l'étendard de toutes ses blessures...

III — Entendez les coups de canon !

Entendez les coups de canon sur la Côte de Kaloum !
Sifflent les balles, souffrent les blessés.
Fauchent les sabres, rougissent les sables.
Les têtes tombent. Les tombes s'ouvrent et se referment.
Il retombe des corps sur les pierres tombales.

Ce ne sont guère les guerres qu'il y eut naguère.
Ce sont les méchants miliciens et leurs chiens
Qui sèment la mort de ceux qui s'aiment.
Certes, certains cercueils dans le cercle manqueront
Et jetés dans les jetées de Kaloum
Seront ceux qui, jamais, n'en auront.

Entendez les cris aigris des proscrits de Conakry !
Sentez la chaleur et la sueur, le malheur et la rancœur !
La cognée abat les cœurs. À bas le bûcheron d'hommes !
La mer, amère, altère le sang des mères.
Et Dieu, des cieux, des yeux suit, complice actif.

Du tréfonds des bas-fonds fusent les chants qu'ils font
Ces braves cadavres que ravalent les valets.
Apprenez donc l'escrime pour venger les crimes !
Que le malheur chasse la lourdeur et l'ardeur la peur !
Allez ! Tous ensemble, en chantant et même en sang,
À l'assaut de l'empire asservi par le vampire !

IV — L'enfant et le tyran

Dans son regard qui pleure, j'ai lu ta tyrannie.
Du pays, avec sa mère, il avait fui la zizanie.
Avec d'autres, son père, tu l'avais fait arrêter.
Sa sœur, d'une rare beauté, tu en avais fait ta maîtresse
Pour l'absoudre d'avoir été de la Révolution la traîtresse.
Ses frères, tu les avais assignés au pays de toujours rester.

De loin, Tyran, je peux, moi, te tendre un vrai miroir.
Regarde donc sur quel empire tu règnes : un mouroir !
Tes « sujets » cherchaient un pays rassurant où vivre.
À un monde de prédateurs imprévisibles tu les livres !

M'auront hanté les visages de ces proies innocentes
Tant leur destinée ne m'était pas indifférente
Même si, dans la même situation qu'eux,
Je ne pouvais rien, hélas, pour eux !

Ayant trouvé dans une certaine revue, Topic,
Un portrait de gamin au visage épique
Croqué par un célèbre voyageur américain,
Réalisateur d'un reportage sur le littoral africain,
Carnets à spirales et crayons à dessiner en main,
Je l'ai, pendant les années tragiques, accroché
Sur le mur, face à moi, quand je suis couché.
Il regarde dans mon dos un Guernica magnifique
Détaché d'un vieux calendrier pharmaceutique.

Pour venger la mère et l'enfant,
J'ai fait dire au gamin longtemps :
« Lève-toi et marche, Tyran,
De ta grande suffisance imbu.
Et le sang du peuple dont tu t'es repu
Dans tes veines deviendra du pus ! »

V — Regardez, ils se sont tous levés ! ...

D'outre les tombes entrouvertes,
Se sont défaits leurs linceuls !
Des cercueils épuisés de les garder,
Sous l'herbe, même très verte,
Ils se sont levés comme un seul
Sans plus un instant s'attarder !

Vautrés de longue date dans les replis de la nuit
Croyant que les nuages n'étaient plus chargés de pluie,
Les gardiens des morts-vivants, le jour, dormaient.
Debout en sursaut, ils ont cru que les chiens s'aimaient
Que leurs longs et persistants messages lugubres
Étaient de simples nuisances dans les coins insalubres.

C'est alors que s'est produit le miracle
Qui n'a pas démenti le grand oracle !
Regardez, tous se sont très tôt levés !
Après s'être reconnus à mains levées,
Ils ont pris la direction de leur maison
Pour y retrouver leur entière raison.

Mais, qui peuvent être ces gens, donc
S'ils ne sont pas pour vous quelconques ?
Ne sont-ce pas tous ceux qui, de votre vue,
Ont, de façon prématurée, disparu ?
Oui, ce sont les vôtres qui, très amaigris, ont déjà paru
Derrière leurs noms sur des ardoises, dans ce sombre Livre Blanc,
Avant leur détention et leur mise à la diète suggérées par le Plan
De sinistre mémoire par l'étendue des crimes par lui prévus.

Regardez, ils se sont tous levés !
Plus jamais, ils ne se courberont
Ni, non plus, ne marcheront au pas.
Quand ils le voudront, ils se recoucheront
Sans, jamais plus, devoir se confondre en mea culpa.
Regardez, ils se sont pour toujours, bel et bien, levés !

Extraits de Pourquoi, diable, n'ai-je pas été un… poète ? Poésie. Editions Ndze (Cameroun/France). 2010.


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