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Guinée : un Premier ministre de rupture


La nomination d'un premier ministre qui échappe aux classifications habituelles bouleverse la scène politique. La majorité comme l'opposition perdent leurs repères.


Un remaniement ministériel était prévu depuis la mutinerie des 2 et 3 février 1996. La formation d'un nouveau gouvernement était attendu après le passage, en juin, d'une mission de FMI. Mais personne n'imaginait un changement aussi brutal dès le lendemain de cette mission : à l'instar de son homologue beninois, Mathieu Kerekou, le président Lansana Conté crée un poste de Premier Ministre et le confie, le 9 juillet, au financier Sydia Touré, un technocrate qui a toujours vécu en Côte d'Ivoire et que les Ivoiriens eux-mêmes croyaient des leurs. Lansana Conté s'y est résolu, sans doute sous la pression des bailleurs de fonds de la Guinée, lassés de voir un pays aux énormes potentialités économiques continuer à s'enfoncer dans la pauvreté.

A preuve, la décision du FMI de suspendre l'application du FASR (Fonds d'ajustement structurel renforcé), prévu pour la période d'octobre 1995 à septembre 1996. L'économie a certes connu un taux de croissance de l'ordre de 4 % en 1995, grâce essentiellement à l'amélioration de la production dans le secteur minier : plus de 10 millions de tonnes de bauxite pour la Compagnie des Bauxites de Guinée et près de 2 millions pour la Société des Bauxites de Kindia, soit respectivement une augmentation de 10 % et 50 % par rapport à 1994. Mais l'état des finances publiques reste catastrophique et désespère les bailleurs. L'Etat doit au secteur bancaire 92 milliards FG (1FG = 0.5 FCFA), dont 78 milliards à la BCRG, alors que le FMI avait fixé le plafond à 59,4 milliards GNF.

Le 25 janvier 1996, devant le Club de Paris, la Guinée avait obtenu un rééchelonnement de sa dette publique extérieure, porant sur un montant total de 136,66 millions de dollars. Mais l'intendance n'a pas suivi : le budget de l'Etat, loin d'être assaini, n'a enregistré que des dérapages. En raison de mauvais recouvrements, les recettes n'ont été que de 400 milliards GNF contre les 418 milliards prévus. Certains importateurs ayant été exonérés du paiement des taxes sur l'importation du gazole, les recettes budgétaires ont été amputées d'autant. Quant au budget national de développement, il n'a ete exécuté qu'à 45 % dans le secteur rural et à 56 % dans le secteur social.

Bref, l'Etat guinéen a réussi la performance de n'atteindre aucun des objectifs arrêtés avec le FMI et la Banque Mondiale dans le cadre du FASR : augmentation des recettes, grâce à un meilleur recouvrement, et amélioration de l'orientation des dépenses. Les experts du FMI y ont vu « une gestion laxiste des finances publiques » . A cela s'est ajoutée la mutinerie des soldats le 2 février, qui a entrainé à la fois une augmentation brutales des salaires et la paralysie de plusieurs entreprises.

A la fin du mois de mars, une réunion s'est tenue à Washington, avec le FMI et la BM, pour évaluer les nouveaux dégats et établir un cadrage macro-économique de correction afin d'atténuer les conséquences de tous ces dérapages. Las ! La mission du FMI qui s'est rendue à Conakry en juin a constaté que le gouvernement n'avait rien changé dans ses pratiques. Les bailleurs de fonds ont fermement dit au president Conté qu'il était temps de réagir et de rompre avec le passé.

La premiere rupture consistera donc à serrer les vis, à redresser vigoureusement la gestion et, pour ce faire, à regrouper, comme le demandaient le FMI et la Banque Mondiale, les départements chargés de l'Economie et des Finances. C'est ainsi que, dans le gouvernement formé le 9 juillet, deux ministres délégués auprès du PM ont ete nommés : Ousmane Kaba, pour l'Economie les Finances et le Plan, Kassory Fofana, pour le Budget et la Restructuration du secteur parapublic. Et pour que les choses soient encore plus claires, Sydia Touré, outre le poste de Premier Ministre, prend en charge celui de l'Economie, des Finances et du Plan.

La mission du gouvernement est donc de redresser, d'ici à la fin de 1997, l'économie pour que les négociations avec le FMI et la BM puissent reprendre. Il s'agit d'une véritable gageure car les délais sont très courts : déjà, en octobre 1996, c'est-à-dire dans moins de trois mois, une nouvelle mission d'évaluation du FMI viendra à Conakry. On saura alors si Sydia Touré aura été un bon pompier. L'homme ne manque pas d'atouts, à commencer par sa compétence en matière financière et sa rigueur, reconnue par les institutions de Bretton Woods. Et il compte, au FMI, un allié de taille : Alassane Ouattara, directeur général adjoint pour l'Afrique, dont il fut, pendant trois ans, le directeur de cabinet alors que ce dernier était Premier Ministre de Côte d'Ivoire.

Mais l'économiste et entrepreneur Sydia Toure est parachuté dans un champ politique très agité et auquel il est étranger à tous points de vue. Il a fait tout son parcours en Côte d'Ivoire et apparait comme un élément transplanté, n'ayant aucune base politique dans ce qui est censé être son pays. Cela peut être un atout mais son arrivée a entrainé une deuxième rupture : la dépolarisation brutale de l'équipe dirigeante, jusqu'alors dominée par la forte personnalité d'un Alsény René Gomez, tout-puissant ministre de l'Intérieur et de la Sécurité jusqu'au 9 juillet.

L'arrivée à la tête du gouvernement d'un homme au profil aussi atypique semble promettre l'apaisement après un décennie de « complotite » . Depuis la mort de Sékou Touré, en mars 1984, puis l'éxecution, en 1985 de Diarra Traore, le premier Premier Ministre de Lansana Conté, la nomination de Sydia Touré est l'évènement le plus important. Le nouveau Premier Ministre va apparaitre comme un trouble-fête. Il va perturber, par sa seule candeur politique, le désordre établi entre les acteurs de la majorité comme de l'opposition.

Affaibli par la mise à l'ecart de son aile dure, que va faire le parti au pouvoir ? Président de l'Assemblée Nationale, Elhadj Biro Diallo en devient, subitement, la figure la plus marquante. Mais avec l'arrivée de Sydia Touré, le PUP perd son principal argument contre les dirigeants de l'opposition, tels Alpha Condé, Ba Mamadou ou Siradiou Diallo, que Lansana Conté a toujours appelés dédaigneusement « étrangers » . Pour la seule raison qu'ils ont longtemps vécu en exil sous le régime de Sekou Toure. Et voila que le même Lansana Conté fait appel au plus étranger des « étrangers » , un Guinéen qui, après la mort du dictateur, n'a pas jugé opportun de rentrer au pays.

L'opposition elle-même est « déboussolée » : avec le départ d'un Alsény René Gomez, elle n'a plus de « fasciste » à dénoncer et à combattre. La nomination de Sydia Toure risque également d'aggraver ses divisions. Déjà, voici deux mois, l'UGP de Jean-Marie Doré a quitté la Codem. Le RPG d'Alpha Conde suspecte Siradiou Diallo, dirigeant du PRP, d'avoir cherché à devenir Premier Ministre de Lansana Conté. Ba Mamadou, de l'UNR, apparait comme le rival de Siradiou Diallo en tant que chef politique peul de l'opposition. Là encore, la seule présence de Sydia Touré bouleverse les données. L'opposition devra se redéfinir par rapport a ce Premier Ministre qu'on ne peut même pas classer selon les critères ethniques chers aux politiciens guinéens : appartenant au miniscule groupe des Diakhanka, il peut se prévaloir des affinités de ces derniers aussi bien avec les Soussous (ethnie de Lansana Conté) que les Malinkés et meme les Peuls...

L'oppostion perd donc ses repères. Pusique le Premier Ministre n'appartient à aucun parti, puisqu'il n'est même pas politique du tout, contre qui peut-elle encore se dresser ? Contre le seul président de la Republique et son parti ?

Hormis les ruptures évidentes que l'arrivée de Sydia Touré signifie, tout est, pour le moment, incertitude en Guinée. La première inconnue réside dans la manière dont le président laissera son Premier Ministre gouverner.

Peut-on penser que Lansana Conte a l'intention de préparer sa retraite et de ne pas se présenter à l'élection présidentielle de 1998 ? D'ici la, on verra Sydia Touré à l'oeuvre. Il lui faut créer une économie. Et, probablement, partir à la conquête d'une opinion publique que, pour le moment, il ne connait guère. Mais son innocence en politique est certainement une chance pour la Guinée.
La chose publique est condamnée à être mieux gérée et le démarrage de l'économie devrait profiter de la confiance retrouvée auprès des bailleurs de fonds.

Jeune Afrique, 1996


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