par Cheikh Yérim Seck
Diplomate chevronné, le nouveau Premier ministre guinéen ne manque ni d’atouts ni d’ambitions pour mener à bien sa mission.
Jamais la nomination d’un chef de gouvernement n’avait suscité pareille liesse populaire. Ni autant d’espoirs. Lansana Kouyaté a été accueilli par des milliers de compatriotes le 27 février, et ovationné de l’aéroport jusqu’à sa résidence privée, à Matoto, dans la banlieue de Conakry, en passant par le palais présidentiel.
« Je suis porté par la volonté populaire », a lâché, ému, celui qui a été désigné la veille, à l’issue d’âpres négociations entre les deux principales centrales syndicales du pays et le chef de l’État, Lansana Conté.
Choisi entre quatre candidats proposés par les syndicats et le Conseil national des organisations de la société civile (Cnosc), doté de pouvoirs importants fixés par décret, Kouyaté est appelé à relever un redoutable défi : redresser, réconcilier et conduire à des élections transparentes un pays déchiré, meurtri par la répression sauvage de « la grève générale et illimitée » (au moins 115 morts et des centaines de blessés), appauvri par une crise économique aiguë et une inflation galopante. Rien ne sera de trop pour mener à bien ce vaste chantier. Ni le carnet d’adresses étoffé du nouveau chef du gouvernement, ni son entregent de diplomate chevronné. Encore moins l’énergie de cet homme massif, qui entretient sa forme par une pratique assidue de la natation.
Lansana Kouyaté n’est pas dépourvu d’atouts pour réussir dans son pays avec lequel il n’a jamais perdu contact bien qu’il en ait été éloigné depuis 1983 par des fonctions internationales. Il a toujours caressé le rêve de revenir en Guinée, et longtemps œuvré pour occuper une position importante sur la terre de ses ancêtres, berceau du peuple et de la culture mandingues dont il est si fier.
Né en 1950 d’un père malinké de Kouroussa et d’une mère soussoue originaire de Koba, petite bourgade de la préfecture de Boffa, située à environ 200 km de la capitale, il a été formé à l’École nationale d’administration de l’université de Conakry. Avant d’assurer, jeune, des responsabilités : directeur de la main-d’œuvre en 1976 ; directeur du commerce, des statistiques et des prix à l’Office de la coordination financière pour l’industrie en 1977 ; directeur général adjoint d’un projet de développement rizicole financé par l’Usaid, la BAD et le Fida en 1982.
L’année suivante, il intègre la diplomatie par le biais d’un poste de conseiller à l’ambassade de Guinée en Côte d’Ivoire. Il n’en sortira plus, reviendra au pays pour diriger le département Afrique et OUA au ministère des Affaires étrangères, de 1985 à 1987, avant de reprendre le large jusqu’à sa nomination à la primature.
En 1987, Kouyaté est ambassadeur en Égypte, au Soudan, en Turquie, en Jordanie, en Syrie et au Liban, avec résidence au Caire. C’est dans cette ville qu’il se lie d’amitié avec le futur secrétaire général des Nations unies, Boutros Boutros-Ghali, alors ministre des Affaires étrangères. Un lien qui aura des répercussions sur la suite de sa carrière. Au cours du séjour cairote de Kouyaté, son épouse, Fanta, devient la confidente de Leia Maria Boutros-Ghali. Un facteur de complicité entre les deux femmes : toutes les deux n’ont jamais eu d’enfant. Si Lansana Kouyaté a deux enfants d’un autre lit, son épouse adoptera une Nigériane à la fin des années 1990. Née Condé, issue d’une famille de hauts dignitaires du régime d’Ahmed Sékou Touré — son père, Lamine Condé, fut ex-gouverneur de la Banque centrale de la République de Guinée, et son frère, Mamady, ancien ambassadeur —, Fanta Kouyaté est une habituée des cercles de pouvoir.
En 1992, son mari devient représentant permanent de la Guinée auprès des Nations unies, à New York. Il profite de cette fonction pour s’attirer les bonnes grâces de nombreux dirigeants africains. Plus tard, il se rapprochera du Nigérian Sani Abacha, un dictateur au ban de la communauté internationale.
Devenu secrétaire général de l’ONU, Boutros-Ghali fait de lui son représentant en Somalie, de février 1993 à janvier 1994, puis secrétaire général adjoint chargé des affaires politiques pour l’Afrique, l’Asie de l’Ouest et le Moyen-Orient.
Lobbyiste hors pair, il convainc Abacha en 1997 de l’aider à devenir secrétaire exécutif de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Le numéro un nigérian se rend lui-même à Conakry et obtient que Conté propose son protégé à ce poste laissé vacant par le Guinéen Edward Benjamin, pour cause de maladie. Nommé, Kouyaté renforce ses liens avec les chefs d’État de la sous-région, notamment avec le Malien Alpha Oumar Konaré. Les deux hommes se croiseront plus tard, quand le premier caresse le rêve d’occuper le fauteuil de président de la Commission de l’Union africaine qui finit par échoir au second.
Après la parenthèse de la Cedeao, Boutros-Ghali, arrivé entre-temps à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), confie à son « ami de longue date » une mission de « facilitateur du Dialogue intertogolais ». Avant que son successeur à l’OIF, Abdou Diouf, lié à Kouyaté depuis les années Cedeao de ce dernier, ne le choisisse comme représentant à Abidjan, en février 2003.
Installé dans la capitale ivoirienne - bien avant sa nomination -, dans une superbe villa qu’il a acquise dans le quartier résidentiel de la Rivieira, il se rapproche de Laurent Gbagbo au fil de la crise. Au point que ce dernier le recommande fortement pour le poste de « Premier ministre de consensus » à son homologue guinéen, et lui donne son avion pour assurer les va-et-vient précédant son adoubement.
L’homme fort d’Abidjan et l’ex-président sénégalais devenu patron de l’OIF ne sont pas les uniques personnalités susceptibles d’aider le nouveau chef du gouvernement guinéen à mener à bien sa mission. Ami de Gnassingbé Eyadéma, Kouyaté joue les misi dominici pour son fils, Faure, qui lui est reconnaissant. Olusegun Obasanjo se méfie toutefois de lui, alors que Blaise Compaoré est réservé à son endroit. Il suscite des avis contrastés d’un palais à un autre. Et certains de ses détracteurs l’accusent d’affairisme.
À l’intérieur de la Guinée, le nouveau chef du gouvernement, de mère soussou, parle la langue de Conté et des « durs » du régime. Une carte non négligeable. Son épouse a de bons rapports avec la première dame, Henriette Conté. Dans l’armée, il peut compter sur son ami, Arafan Camara, chef d’état-major général adjoint. Et, dans l’administration en général, sur ses nombreux amis d’enfance, d’école, « du village », du corps des diplomates…
S’il ne manque donc pas d’atouts pour réussir, Kouyaté doit faire face à un Conté hostile à toute réforme et qui a usé nombre de ses prédécesseurs. S’il réussit là où ces derniers ont échoué, ce diplomate non dépourvu d’ambitions politiques prendra une option sérieuse pour l’avenir au sommet de l’État.
4 mars 2007
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