Propos recueillis par Cheikh Yérim Seck
Pressé par les syndicats, soutenu par les pays voisins, le Premier ministre guinéen doit aussi composer avec un président réfractaire aux réformes. A-t-il vraiment les coudées franches ?
Rarement dans sa carrière, Lansana Kouyaté n’a été aussi occupé qu’en ce mois d’avril. Depuis la formation du « gouvernement de consensus », le 28 mars, le Premier ministre guinéen multiplie les contacts, reçoit les ministres, fixe les orientations… Se rend à Dakar pour son premier voyage officiel, à l’occasion de l’investiture du président Abdoulaye Wade, et débarque à Paris le 14 avril, puis à Bruxelles, pour relancer la coopération avec la France et l’Union européenne. Nommé le 26 février pour sortir la Guinée de la plus grave crise politique de son histoire - la répression des manifestations organisées lors de la grève générale de janvier et février 2007 a fait 123 morts et des centaines de blessés -, Kouyaté n’économise pas son énergie.
Il se lève dès les premières lueurs de l’aube, vers 5 h 30, plonge dans ses dossiers aussitôt après avoir honoré la prière de l’aurore, procède aux signatures, peaufine les instructions à donner… Désireux de mener à bien sa mission, le Premier ministre ne laisse rien au hasard. Avant de prendre la moindre décision, il n’hésite pas à passer plusieurs heures au téléphone avec des chefs d’État de l’Afrique de l’Ouest pour leur demander conseil. À 57 ans, cet homme à la carrure impressionnante, qui entretient sa forme par une pratique assidue de la natation, ne semble jamais s’arrêter. Ou très peu. Le chef du gouvernement s’accorde en fait une journée de pause hebdomadaire : tous les samedis, il se retire dans son exploitation agricole à Koba, sa bourgade natale, située à 130 km au nord-ouest de la capitale.
Près de deux mois après sa nomination, les dossiers prioritaires ne semblent pas avoir de secrets pour lui. De l’inflation au déficit d’approvisionnement du pays en électricité en passant par les défaillances du réseau de distribution d’eau… Kouyaté discute déjà avec ses collaborateurs et les bailleurs des moyens de résoudre les problèmes qui rongent la Guinée.
Pourtant, rien ne disposait ce diplomate - conseiller à l’ambassade de Guinée en Côte d’Ivoire en 1983, il devient sous-secrétaire général des Nations unies en 1994 - à la gestion quotidienne de son pays. Davantage habitué à la résolution des conflits et aux tractations secrètes, l’ex-secrétaire exécutif de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) de 1997 à 2001, devenu représentant spécial du secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) de 2003 à 2007, se débat depuis deux mois dans les eaux tumultueuses du marigot politique guinéen. Finira-t-il dans l’estomac des crocodiles ? Réussira-t-il là où nombre de ses prédécesseurs ont échoué ?
Sous le regard de son épouse Fanta, née Condé, il se prête sans aucune note à l’exercice de l’interview. Dans sa somptueuse villa de Matoto, un quartier périphérique de Conakry, le Premier ministre guinéen évoque ses inquiétudes et ses espoirs, sa mission et ses choix. « Je veux dire ce que je ressens au plus profond de moi-même pour décrire l’aventure que j’entreprends avec mes compatriotes », indique-t-il d’entrée.
Jeune Afrique : Qu’est-ce qui vous a persuadé d’accepter le
poste de Premier ministre ?
Lansana Kouyaté : J’ai voulu modestement faire acte d’engagement
patriotique. Mon pays est en danger. Il y a une profonde fissure entre le pouvoir
et la population. La Guinée a frôlé l’embrasement. Au
cours des manifestations de janvier dernier, mes compatriotes se sont arrêtés
de justesse sur la ligne rouge. Après les morts et les drames que nous avons
vécus, il fallait un nouveau départ. Je n’avais pas le droit
de me dérober après le choix porté sur ma personne.
Pensez-vous
pouvoir réussir là où tous vos ?prédécesseurs
ont échoué ?
Je crois en la chance. Elle est une condition sine
qua non de la réussite.
Mais il s’est également passé un événement inédit
depuis l’accession de notre pays à l’indépendance : le
soulèvement de vingt-huit préfectures pour exprimer un profond ras-le-bol
et réclamer un changement. J’arrive donc dans un contexte que n’a
connu aucun de mes prédécesseurs.
Vous êtes issu d’une révolte populaire et non de la seule volonté du
président Lansana Conté. Allez-vous jouer cette carte pour jouir
d’une totale liberté d’action ?
J’ai été choisi par le président parmi une liste de
personnalités retenues après consultations entre les syndicats, les
organisations de la société civile et les institutions républicaines.
Je fonde ma légitimité sur l’aspiration des forces qui ont
renversé le précédent gouvernement. Mais aussi sur le soutien
du chef de l’État.
Conté n’est pas réputé commode. Il a usé nombre
de Premiers ministres, qui lui reprochent tous d’être allergique aux
réformes. Comment ferez-vous pour échapper à cette règle
?
Il est difficile de lire l’avenir. Le chef de l’État est certes
un militaire qui s’accommode difficilement de la contestation qui va avec
la démocratie. Mais tout le monde change. Je suis certain que le président
est conscient que la Guinée a amorcé un tournant.
Un ancien Premier
ministre attribue cette phrase à Conté : « Je
suis comme une branche d’arbre morte. On ne peut pas me redresser, à moins
de me casser. »
Je me méfie des citations. Rien ne prouve que cette phrase soit sortie
de la bouche du président. Je constate cependant qu’une branche morte
peut être redressée si elle est ramollie par une pluie abondante.
Est-il
facile de cohabiter au quotidien avec Conté ?
Je ne me plains pas. Je
passe des moments agréables avec lui. Son côté terroir
m’intéresse. Son franc-parler ne me déplaît pas. Il est,
d’une certaine manière, attachant.
Comment avez-vous réussi à faire accepter votre gouvernement, qui
exclut des proches du président ?
Conté est au pouvoir depuis vingt-trois ans. Il a eu par moments des ministres
réputés tout-puissants, mais qui n’en ont pas moins été limogés.
Ceux qui faisaient croire que le chef de l’État ne peut pas se séparer
d’eux se sont trompés de personne et de contexte. Les temps ont changé,
et Conté est réaliste.
Dans quel état avez-vous trouvé la Guinée
?
Dans un état chaotique. Un seul chiffre suffit pour illustrer la descente
aux enfers de notre pays : l’inflation est passée de 1,8 % en 2000 à 36
% aujourd’hui. La Guinée est confrontée à trois fléaux
: une grave régression économique, une justice défaillante
et un État moribond.
Par où allez-vous commencer pour redresser le
pays ?
Tout est urgent. Mais j’ai déjà commencé. Après
le décret de restructuration du gouvernement et la formation d’une
nouvelle équipe, j’ai, dès la première réunion
de cabinet, donné l’orientation générale. Contrairement à une
pratique antérieure, je ne ferai pas des lettres de mission. Je donnerai
un délai aux ministres pour se familiariser avec les dossiers. Après
quoi, un séminaire gouvernemental permettra à chacun d’entre
eux d’exposer ses propositions. Puis, ensemble, nous définirons axes
prioritaires et modalités d’action. Avec, pour boussole, ces objectifs
généraux qui sont la promotion de la jeunesse, la réconciliation
nationale, le règlement des urgences sociales : fourniture d’eau et
d’électricité, lutte contre l’inflation, restauration
du pouvoir d’achat…
Quelques mois plus tard, chaque ministre sera évalué sur la base
du degré de réalisation de la feuille de route que nous aurons élaborée
ensemble.
Avez-vous un moyen pour stopper l’inflation qui a laminé le pouvoir
d’achat, affamé la population et suscité la révolte
?
Bien sûr. Déjà, l’effet psychologique de la nouvelle
donne commence à se faire sentir. Il y a un début de décrue
des prix ; le franc guinéen s’est réapprécié.
Au cours des deux premières semaines qui ont suivi la mise en place du gouvernement,
le dollar est passé de 6 000 à 3 900 francs guinéens. Alors
qu’aucune action particulière n’a encore été entreprise,
le regain de confiance des consommateurs a créé une embellie, que
nos actions futures chercheront à consolider. La seule mesure que j’ai
prise à mon arrivée c’est d’interdire à la Banque
centrale d’intervenir dans l’achat de devises sur le marché libre.
Je veux éviter que la pression sur la demande de monnaies étrangères
fasse monter leur valeur par rapport au franc guinéen et donc renchérisse
les prix.
Quelle solution comptez-vous apporter au problème de l’approvisionnement
en électricité, qui est une préoccupation majeure pour les
Guinéens ?
Cette question me préoccupe. Je ne supporte pas que mes compatriotes n’aient
pas accès à l’électricité, une commodité devenue
banale dans presque tous les pays. J’ai commencé à m’occuper
du dossier avant même la formation du gouvernement. Je peux rassurer les
Guinéens. Ils accéderont tous à l’électricité d’ici à quelques
mois.
Qu’avez-vous à dire à la jeunesse, fer de lance de la révolte,
qui est impatiente de voir le changement ?
Je veux d’abord dire qu’elle a eu raison de se mobiliser pour son
avenir. J’en profite d’ailleurs pour rendre hommage à tous ceux
qui ont perdu leur vie au cours des dramatiques événements que notre
pays a connus. J’invite tous les jeunes de mon pays à la rigueur.
Ceux d’entre eux qui émigrent en Europe et aux États-Unis ne
refusent aucun job, du lavage de voitures à l’activité de docker.
Il n’y a pas de sot métier. L’État trouvera les fonds
nécessaires pour financer leur insertion professionnelle.
Votre arrivée dans un contexte de fin de règne fait de vous, de
facto, un rival pour les prétendants à la succession aussi bien dans
le camp présidentiel que du côté de l’opposition. Comment
comptez-vous gérer une telle situation ?
Ce qui est aujourd’hui en jeu est sans aucune commune mesure avec des calculs
politiciens. Pour une fois, l’unanimité doit être faite autour
d’un impératif : sauver la Guinée du chaos. Je suis résolument
dévoué à cette tâche et ne regarde nullement ailleurs.
Je crois que tous les prétendants doivent faire ce sursaut patriotique.
Le moment sera venu pour eux d’en découdre, à l’occasion
d’élections transparentes.
Quels sont vos rapports avec les leaders de
l’opposition, notamment avec
Alpha Condé dont certains prétendent qu’il est votre « parrain » ?
J’ai les mêmes rapports, courtois, avec tous les opposants. J’ai
connu Bâ Mamadou et Sidya Touré bien avant Alpha Condé, que
j’ai rencontré pour la première fois en 1999, alors qu’il était
en détention. J’ai avec lui des relations tout à fait normales.
Mais je ne suis l’homme de personne. J’ai connu Sidya Touré au
début des années 1980. Quand j’étais conseiller à l’ambassade
de Guinée à Abidjan, il était directeur de cabinet du ministre
Séri Gnoléba. En 1987, comme ambassadeur en Égypte, j’ai
organisé au Caire une réception en l’honneur de Bâ Mamadou,
en dépit de certaines réticences. Je n’ai donc, au total, aucun
problème avec l’opposition qui, par définition, doit s’opposer.
Quant à moi, j’ai une mission : régler les problèmes
des Guinéens.
Arrive-t-il aux leaders syndicaux, qui vous ont imposé à la tête
d’un gouvernement de transition, d’essayer de vous donner des ordres
?
Il y a eu quelques velléités au départ. Avant que je publie
la structure du gouvernement, les leaders syndicaux m’en ont adressé une
qui prévoyait une équipe de trente membres. Je ne pouvais retenir
cette formule qui était éloignée de mon projet de dix-neuf
ministres. Au moment de choisir les hommes, les mêmes leaders m’ont
envoyé des CV. Je les ai reçus pour leur dire ceci : « Le consensus
ne veut pas dire que je dois me servir de vos yeux, de vos oreilles et de votre
tête. Il signifie que je dois choisir des hommes et des femmes acceptables
par tous. » Au sortir de l’audience, Hadja Rabiatou Sérah Diallo,
secrétaire générale de la Confédération nationale
des travailleurs de Guinée (CNTG), a publiquement déclaré,
au nom de ses pairs, qu’ils me soumettraient des propositions, mais qu’ils
ne tenteraient pas de m’imposer qui que ce soit. Nous nous sommes compris.
Pourquoi
avoir, dès votre arrivée, commandité des audits
sur la gestion des ministres sortants. Préparez-vous une chasse aux sorcières
?
Ce sont des mesures conservatoires que je ne pouvais pas ne pas prendre, au
risque de voir s’aggraver les dérapages. J’ai sorti une première
instruction pour mettre un terme aux dépenses inconsidérées
que s’empressaient d’engager des ministres sortants, une deuxième
pour arrêter les affectations intempestives de fonctionnaires, et une troisième
pour demander un audit du matériel roulant, informatique, bureautique de
l’État.
Allez-vous tirer des conséquences de ces audits ?
Il n’y a aucun doute. Quiconque est épinglé répondra
devant la justice. Je ne veux pas fouiller dans les poubelles, mais je ne peux
pas non plus ignorer ce qui s’est passé sous mes yeux. Je ne tolère
pas que des ministres sur le départ emportent avec eux jusqu’aux rideaux
de leur bureau !
L’issue des poursuites engagées contre Elhadj Mamadou Sylla, président
du patronat, intéresse l’opinion au plus haut point. Quel sort entendez-vous
lui faire ?
Un sort judiciaire. La justice est un maillon important du système que
je veux mettre en place. Le dossier dont vous parlez est une affaire comme toutes
les autres. Elle doit être traitée sereinement.
Allez-vous, pour faire
plaisir aux syndicats, agir pour que Sylla, dont la libération
par Conté lui-même a déclenché la révolte, retourne
en prison ?
Je n’ai vocation à mettre personne en prison. Je ne suis pas juge.
Il y a beaucoup de passion autour de ce dossier. La justice décidera calmement.
À cause de ses démêlés judiciaires, Sylla est contesté au
sein du Conseil national du patronat, qui s’est scindé en deux. Avec
quelle tendance votre gouvernement va-t-il travailler ?
Il faut que le secteur
privé guinéen soit enfin « privatisé ».
Il s’est comporté jusqu’ici en appendice de l’État,
une sorte d’excroissance du secteur public. Cela crée une confusion
des genres qui ne peut plus durer. Les affaires sont entremêlées entre
l’État et le patronat. Il faut casser cet embrouillamini. En tant
que Premier ministre, je n’ai pas vocation à me mêler d’une
affaire interne au patronat. Je suppose que celui-ci est régi par des textes.
Si leur application ne parvient pas à régler le différend,
l’État n’a aucun problème pour coopérer avec plusieurs
organisations patronales, à condition qu’elles soient représentatives
et crédibles. J’ai, en revanche, une idée précise sur
la meilleure manière de promouvoir le dynamisme économique dans notre
pays, qui doit être fondée sur la liberté d’entreprendre,
l’éthique et le soutien de la puissance publique aux initiatives privées.
Toujours
au chapitre des affaires, il y a la commission d’enquête
internationale réclamée pour faire la lumière sur les exactions
commises pendant la révolte…
Avant que l’on parle de commission d’enquête internationale,
une commission nationale avait été formée. Jusqu’à preuve
du contraire, je fais confiance à cette structure interne, fruit d’un
accord entre l’État et la société civile qui en sont
les deux composantes. Je ne suis pas de ceux des Africains qui pensent que nous
sommes incapables de justice et de vérité. Il faut que la commission
nationale aille jusqu’au bout pour répondre à une question
précise : qui a fait quoi ? Ce n’est que si son rapport est insatisfaisant
qu’une commission internationale pourrait intervenir. Ne faisons pas une
politique de deux poids deux mesures. Quand des atrocités sont commises
dans les grands pays, nul n’exige de commission internationale pour les élucider.
Ce n’est pas parce que nous sommes sous-développés que nous
ne pouvons pas trouver des ressources humaines et morales pour mener une enquête.
Dès mon arrivée, je me suis impliqué pour que le Patrimoine
bâti affecte à la commission nationale un endroit pour abriter ses
travaux. Et la ministre de la Justice connaît le prix que j’attache à ce
que la lumière se fasse sur tout ce qui s’est passé.
Les syndicats
ont déposé plainte contre Ousmane Conté, fils
du chef de l’État. Ne vont-ils braquer ce dernier et donc faire courir
des risques à l’activité du gouvernement ?
Je ne veux pas
me lancer dans des conjectures. La justice va se faire, mais elle doit attendre que
les choses s’apaisent pour être sereine et débarrassée
de toute passion. Tout ce que je puis affirmer, c’est que ses décisions
seront appliquées.
Votre nomination est intervenue au moment où l’image de votre pays
s’est fortement dégradée sur la scène internationale.
Qu’allez-vous faire pour redonner du souffle à la diplomatie guinéenne
?
La vraie diplomatie, c’est la défense des intérêts du
pays. Ma vision repose sur une idée simple : il n’y a pas une bonne
diplomatie sans de bons diplomates. Le principal problème de notre pays,
c’est qu’il n’existe pas sur les grandes questions internationales
de positions (officielle et officieuse) clairement définies et connues de
nos représentants. Nous avons un problème d’hommes. Les structures
doivent être repensées et les meilleurs hommes, placés aux
positions les plus stratégiques.
La Constitution guinéenne — qui n’est pas suspendue — dispose
que le chef de l’État nomme aux emplois civils et militaires. Comment
allez-vous procéder pour choisir les hommes et les femmes qu’il convient
?
Je verrai cela avec les juristes et avec le chef de l’État.
Vous
avez été secrétaire exécutif de la Cedeao. Comment
comptez-vous procéder pour accroître l’influence, en net recul,
de votre pays au sein de cette organisation ?
La voix de notre pays n’était plus audible pour une raison simple
: nous envoyions dans les rencontres internationales des représentants,
qui, soit ne maîtrisaient pas suffisamment leurs dossiers, soit ne parvenaient
pas à défendre correctement la position de la Guinée. Étaient-ils
intimidés ou simplement incompétents ? En tout état de cause,
j’entends clore l’ère des diplomates qui récoltent per
diem et frais de voyage sans obligation de résultats.
L’absence de Conté dans les réunions internationales a dû aussi
faire son effet…
Le chef de l’État est le symbole de la diplomatie. L’animation
de celle-ci peut toutefois être parfaitement assurée en son absence
par un ministre des Affaires étrangères ou un ministre de la Coopération
performant.
Comment comptez-vous renouer le dialogue avec les bailleurs de fonds internationaux
et les institutions de financement ?
La nomination de Ousmane Doré, haut fonctionnaire du Fonds monétaire
international (FMI), à la tête du département de l’Économie
et des Finances me semble être un pas dans cette direction. J’ai moi-même
des relations au sein des institutions de Bretton Woods et de l’Union européenne.
Cette dernière avait amorcé une reprise de la coopération
stoppée par la crise. J’ai déjà reçu le nouveau
représentant de la Banque mondiale en Guinée. Une mission du FMI
va séjourner dans notre pays. Au courant du mois de mai, nous nous rendrons à Washington
et à Bruxelles pour relancer la coopération avec ces différentes
institutions.
Qui vous aide parmi vos amis ? Abdou Diouf, votre ex-patron à la
Francophonie ?
Le président Diouf m’aide énormément. Fin mars, il
a envoyé Ousmane Paye et Christine Desouches, ses plus proches conseillers,
auprès de Conté et des principaux acteurs politiques de notre pays.
Abdou Diouf est un creuset de sagesse et de pondération. Chaque fois que
je suis à bout, je m’inspire de son exemple pour relativiser. Il met
son réseau de relations à ma portée. Je ne me prive pas d’y
puiser.
On vous dit également proche de beaucoup de chefs d’État de
l’Afrique de l’Ouest…
Je connais tous les chefs d’État de la région que j’ai
côtoyés dans le cadre de mes fonctions de sous-secrétaire général
des Nations unies, puis de secrétaire exécutif de la Cedeao. Ils
m’assistent tous, chacun à sa manière. Le président
Adoulaye Wade, par exemple, a fait l’honneur à la Guinée d’y
venir dès le lendemain de ma nomination. Il m’a ouvert son vaste carnet
d’adresses.
Depuis votre nomination, vous voyagez à bord d’un avion de la flotte
présidentielle ivoirienne. Qu’est-ce qui fait la particularité de
vos rapports avec Laurent Gbagbo ?
Ils sont aussi bons que ceux que j’entretiens avec Guillaume Soro, Charles
Konan Banny, Alassane Dramane Ouattara ou Henri Konan Bédié. Cela étonne
d’ailleurs. Mais c’est là un principe élémentaire
de la médiation : avoir accès à tous les protagonistes. Il
m’est arrivé de dire au président Gbagbo de dures vérités
qu’il a acceptées.
Du fait de votre connaissance du dossier ivoirien,
allez-vous continuer à y
jouer un rôle ? Que pensez-vous, par exemple, des résultats du dialogue
direct de Ouagadougou ?
Il faut croire au dialogue direct. Au Mozambique comme
en Angola, on est arrivé à la
paix au bout de plusieurs accords. Je continue certes à jouer un rôle,
mais dorénavant en tant que responsable d’un pays voisin. Le président
Conté me pose très souvent des questions sur l’évolution
de la situation en Côte d’Ivoire. Les premiers signes à Abidjan
sont prometteurs : le centre de commandement intégré a été mis
en place, le nouveau gouvernement a été nommé, une relation
de confiance règne entre Gbagbo et Soro… Les deux m’ont d’ailleurs
appelé alors qu’ils étaient ensemble. J’ai senti une
synergie entre eux. Il faut souhaiter qu’elle dure. La suite du processus
de paix en dépend.
Comment voyez-vous votre pays dans un avenir proche ?
Je rêve d’un pays qui s’est réconcilié avec lui-même,
qui répond aux attentes des Guinéens, compte sur la scène
internationale, accueille des investissements à la hauteur de ses énormes
potentialités, fonctionne suivant les principes de justice et d’équité.
Nous pouvons réaliser cette métamorphose en un temps record. Le Ghana
des années 1980 était plus arriéré que la Guinée
d’aujourd’hui. Il a fait de grands pas en peu de temps. La Tanzanie
a progressé après avoir été soumise à un régime
centralisé et inefficace. J’appelle tous les Guinéens à partager
ce rêve réaliste d’une Guinée qui se relève.
Beaucoup
d’observateurs estiment que la réussite de votre mission
pourrait vous ouvrir un grand boulevard vers le palais présidentiel…
Les
palais sont hantés, et j’ai peur des mauvais esprits [rires].
Plus sérieusement, je n’ai pas le regard rivé sur l’horizon.
Pour l’heure, je me préoccupe de sortir la Guinée de ses difficultés
pour en faire un pays normal, dans lequel les citoyens bénéficient
de commodités élémentaires comme l’eau courante et l’électricité.
Une fois ce redressement accompli, le destin se jouera.
Conakry, 22 avril 2007.
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