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Droits de l'Homme et du Citoyen


Amadou II Diallo
Prison Centrale de Conakry

L'objectif majeur etait de renover les moeurs sociales et politiques en passant par le renforcement de la democratie participative. Notre mouvement entendait egalement

J'avais pris part dans la première quinzaine d'octobre 1992, à la manifestation de revendication organisée par l'opposition qui exigeait la mise en place d'une « commissions nationale électorale indépendante » .

Je tenais là une pancarte avant de tomber dans les filets de la sécurité présidentielle qui faisait des investigations sur les lieux et qui recherchait réellement un revolver qu'elle avait détecté à l'aide d'appareils embarqués tout droit du palais des nations (aujourd'hui calciné).

Dans un interrogatoire musclé pour m'extorquer des aveux, des « Bérets rouges » m'ont roué de coups de bottes, de paires de gifle, de talonnades et couvert d'insultes sans que je sache  ce qu'on me reproche.

Pour me tirer de là, j'ai exigé  qu'on me conduise devant une instance judiciaire. on m'amena dans les locaux de la police criminelle de la présidence, au 3è étage. je me rappelle encore des propos injurieux du capitaine Aguibou Diallo, directeur général de la police criminelle :

« Je viens te faire traverser l'enfer » .

Ainsi dit, presque ainsi fait. les mains et les pieds liés au dos, menotté, on m'accrocha à une barre transversale, calée entre deux bureaux, durant des heures des jours et des semaines,  pour me contraindre à dénoncer des innocents.

Ces genres de tortures, de séquestrations se passaient dans la plus grande discrétion. j'ai été soumis au régime de la diète noire une semaine durant.

C'est dans ces circonstances que Bah Oury a été interpellé pour une première confrontation le 27 octobre 1992. Notre confrontation ? Un coup d'épée donné dans l'eau. Aujourd'hui, Bah Oury ne va certainement pas s'opposer à la tenue d'une autre confrontation, surtout si elle émanait d'une « commission nationale de vérité et réconciliation » à l'image de celle de l'Afrique du Sud.

Le lundi 16 novembre 1992, un matin sombre, j'ai été conduit manu-militari à la maison centrale. J'ai été ensuite accueilli par des éclats de rires  des geôliers, de prisonniers. On respirait la puanteur des avaries. « Ce sont des commandos suicides » plaisantaient certains avec un ton cynique. Les rumeurs les plus folles circulent en prison. C'est un long calvaire qui venait de débuter pour moi et pour tous les compagnons qui ne dissimulaient plus leurs soucis, mais tous ou presque avaient peur de mourir dans ce « Boowal Saamu » . Ce camp de concentration qui a été conçu pour accueillir 200 personnes, triplait le nombre et dégageait une odeur nauséabonde. Tout le monde est là dans cette maison centrale de Conakry, éparpillé entre les trois  couloirs :

La bibliothèque et l'infirmerie sont réservés aux hommes nantis qui, la plupart du temps, sont obligés de cotiser chacun en ce qui le concerne de 5 000 F à 10 000 F par semaine. Ces dits couloirs sont constamment fermés et supervisés par des chefs de couloir qui se présentent ici comme étant de véritables bourreaux du régime. Ils reçoivent l'ordre de matraquer, de frapper, de torturer . Jean Paul Yokossi (Béninois et ex-régisseur de la maison centrale de Cotonou) avait perdu la vie à Kindia. Jean Paul me disait de faire beaucoup attention aux secrets d'instructions sur lesquels les juges d'instructions se basaient pour culpabiliser la plupart des prisonniers.

« Les juges guinéens, ajoutait Jean Paul en substance, ne s'appuient pas sur un élément intentionnel, matériel ou légal pour culpabiliser ou condamner un prévenu mais sur des raisons qui ne sont pas encore élucidés » . Etant donné que la plupart des hommes en uniformes ne savent ni lire ni écrire et qu'ils ne sont pas sensibles aux douleurs et peines de leurs compatriotes. ne disait-on pas qu'un militaire sans formation professionnelle est un criminel en puissance?

A la maison centrale de Conakry, on comptait les morts tous les jours, lavait quelque fois ceux qui ont la chance avant de les expédier drapés dans des linceuls vers le cimetière de Cameroun. On y meurt de faim. D'autres sont victimes des tortures ou de la diète noire à l'intérieur de la prison. on y comptait 3, 4, 5 cadavres par jour et ceci n'inquiétait que nous, pas en tout cas ces professionnels de crime inamendables. Parmi ces morts, il y avait outre des Guinéens, des Sénégalais, qui n'ont pas de famille à Conakry, des Burkinabés, des Maliens, des Léonais et rarement des Ivoiriens.

Mamadou Samba Diallo Taouyah, et Yaya Diallo Koloma étranglés dans la cellule noire par des inconnus dans la première quinzaine du mois de septembre 1994. Je rappelle que si j'ai bonne mémoire du 17 septembre 1994 au 1er janvier 1995, aucun grain de riz n'a été préparé à la maison centrale et nous avons enterré dans cet intervalle 285 morts victimes de famine et de tortures. Les squelettes humains communément appelées « avariées » ne pouvaient plus se tenir debout et commençaient à oublier leurs noms et puis les noms de leurs parents. Déraisonnablement  ils mangeaient « la merde » dans les douches avec une fureur qui pousse à la folie.

Le lendemain matin ces 16 cadavres ont été évacués, sous l'oeil attentif des gardiens

à la fête de la Saint Sylvestre 1994. Il n'est pas exagéré de dire que ces geôliers sont même capables de fermer l'oil sur l'abeille compte tenu de leurs attitudes vis à vis des détenus.

A côté des prisonniers politiques, nous rencontrons à « Kampala » des sadiques invétérés, des violeurs en puissance, des abrutis, des vieux vicieux, des paranoïaques, des obsédés, des malades forcenés.mais, le délit importe peu à « Kampala » (la chinoise puisqu'elle est jaune). Selon Alain Prison, qui a été expulsé dès après sa libération, c'est plutôt le favoritisme, le clientélisme, la corruption, la gabegie, la défaillance et la déviation de l'appareil judiciaire qui en sont les vecteurs et sinon le dénominateur commun. Les va-et-vient de certains récidivistes comme Issiagha Bangoura dit (Niamana-Kenken) en font foi. Plus de 75 procès verbaux en moins de 25 ans. Je me souviens également de ce vieux vicieux, sadique, le vieux Diaré avait été  pris en flagrant délit d'inceste par un de ses fils. Il cria au secours. Son père le foudroya à l'aide d'un revolver. Il meurt ! Deux délits commis en même temps. Figurez-vous que deux ans après, la justice guinéenne s'est arrangée pour le libérer sans aucun procès sous prétexte qu'il est malade mental. D'ailleurs, ce malade  avait un pouvoir absolu sur les autres détenus c'est ça aussi « Kampala » . « un autre monde » .

« Les avariés » ne savaient plus à quel sein se vouer, puisque déjà en plus du budget de la population carcérale, des fonds alloués par diverses organisations, sont devenus « des laissés pour conte » . Les magasins d'alimentation sont souvent vidés de leurs contenus par des prédateurs camouflés sous le nom de sociétés de restauration. Les geôliers revendent les sacs de riz pour trouver le prix des cercueils, des condiments et enfin s'en servir pour des problèmes personnels au détriment, bien sûr, des détenus.

Ah! la Guinée avec son « Kampala. » Les morts se multiplient sans cesse, dans l'indifférence des autorités. Les cellules vont se remplir petit à petit puisque le chômage ne recule pas. Les morts ne diminuent guère le nombre des détenus puisque du lundi au samedi on enregistre des nouveaux venus. C'est ici que tous les problèmes dégénèrent. Des cris d'alarme, des peines, des nouvelles sanctions, des bastonnades, la suspension des pieds en l'air et quelque fois 50 coups de matraque donnés au nouveau détenu avant de le loger dans la cellule « noire » ou celle « extérieure » . Même les femmes prisonnières n'échappent pas à cette réalité. Toutes ces circonstances aggravantes pesaient sur mes amis et moi. Ibrahima Bah dit Judian Abass, le maître de India Kaala, en sait quelque chose.

Heureusement que la presse indépendante a fait un effort pour dénoncer les abus de tous ordres, les violations des droits et autres tergiversations  du régime. Depuis que j'ai recouvré la liberté, j'ai alors décidé de consacrer le reste de mes jours  à la cause des détenus. un combat que je gagnerai difficilement.

« Ce peuple docile et innocent est ce qu'il est, et les gouvernants sont et demeurent ce qu'ils sont. Nous sommes donc prêts à donner notre vie pour trouver ces jeunes arrêtés arbitrairement, détenus, torturés, séquestrés et parfois même assassinés sans aucun procès et dans les conditions les plus désastreuses et inhumaines tout en ayant conscience qu'un héros mort ne sert à rien » .

C'est le ton de notre combat, mes amis et moi. C'est le grand moment de se donner les mains pour un véritable SoS pour la mise en place d'une éventuelle commission nationale de vérité et réconciliation, à défaut d'une conférence nationale souveraine et constitutionnelle afin de faire une étude rétrospective des événements douloureux, de jauger le présent et pouvoir construire l'avenir et aussi et surtout situer les responsabilités de tout un chacun. Le souci de défendre les acquis économiques et stratégiques dans notre pays et dans le reste du monde doit être accompagné d'un souci moral et humanitaire.

Amadou II Diallo