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Alexandre Bellity
Guinée : Ultimatum pour Moussa Dadis Camara


Paris Match
Mercredi 14 Octobre 2009

La Communauté Économique des États d'Afrique de l'Ouest a exigé le départ des militaires au pouvoir mardi, et réclame la mise en place d'un gouvernement de transition et l'envoi d'une mission internationale en Guinée.

Le divorce entre la junte de Moussa Dadis Camara, au pouvoir depuis décembre 2008, et le peuple guinéen est définitivement acté depuis le 28 septembre dernier, lorsque les bérets rouges du président ont tiré sur la foule de manifestants dans le stade de Conakry, capitale de la Guinée. Un massacre qui a officiellement fait 157 morts et plus de 1200 blessés, et durant lequel des femmes ont été violées par les militaires. La communauté internationale ne cesse depuis de réclamer le départ de la junte, et l'assurance que ses leaders ne se présenteront pas à l'élection présidentielle prévue en 2010. Lors de sa prise de pouvoir, à la mort de Lansana Conte, président sans partage depuis 1984, Dadis Camara avait assuré que sa volonté n'était pas de rester chef de l'État après les élections de 2010, mais bel et bien d'assurer la transition. Sauf que l'homme a plusieurs fois laissé entendre depuis qu'il pourrait finalement se présenter. En réalité, Dadis Camara a surtout montré ces neuf derniers mois une certaine incompétence à diriger le pays, entre dérapages verbaux, décisions à l'emporte-pièce et retour de l'autoritarisme. «Le culte de la personnalité et l'ivresse du pouvoir se sont emparés du soldat Dadis. Il avait promis la rupture avec les dérives du passé. C'est l'équilibre de la Guinée qu'il risque de rompre», s'inquiétait le journal «Jeune Afrique» le 28 septembre dernier au matin, quelques heures avant la sanglante répression. Bilan des victimes sous-évalué selon les survivants

Réunis hier à Abuja au Nigéria, les membres de la Communauté Économique des États d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et des représentants internationaux (constituant le groupe international de contact sur la Guinée) ont exigé hier le départ des militaires au pouvoir, la mise en place d'un gouvernement de transition, l'envoi d'une mission internationale d'observation et de protection, et une enquête sur le drame du 28 septembre. Ils appellent aussi les différents partenaires à préparer des sanctions ciblées contre les auteurs des massacres, qui devront répondre de leurs actes, soit devant une juridiction guinéenne compétente, soit devant la cour pénale internationale. Si le bilan officiel fait état de 157 morts, certains survivants sont persuadés que celui-ci est sous-évalué, aussi bien par le gouvernement que les ONG. Des dépouilles restent introuvables, et les militaires auraient jeté des cadavres à la mer et dans des fosses communes afin d'éviter un comptage précis des victimes. «Des corps ont été retrouvés jusque sur des plages de la Sierra Leone, d'autres à Conakry même, à Kaloum», s'est indigné un haut fonctionnaire guinéen anonyme dans les colonnes de «Jeune Afrique.» Le groupe de contact recommande également à la communauté internationale de mettre en place un embargo sur les armes à destination de la Guinée. Ultimatum fixé au 17 Octobre

A Conakry, la situation est revenue au calme depuis le 28 septembre, mais la colère est bien présente dans la population. Alors que les Guinéens souhaitaient jusque là un simple engagement qu'aucun représentant de la junte ne brigue le poste de président en 2010, ils réclament maintenant le départ immédiat de Dadis Camara et de ses hommes. Le chef de la junte, tenu pour responsable du drame du 28 septembre, jure quant à lui ne pas avoir donné l'ordre de «bastonner» ou de tirer sur les manifestants. «Il s'agit d'un mouvement incontrôlé, même [le chef de l'Etat] ne peut pas contrôler ce mouvement», déclarait-il à «RFI» le premier octobre dernier. C'est la raison évoquée par Dadis Camara pour justifier sa possible volonté de rester au pouvoir après les élections. «Aujourd'hui, je n'ai pas encore déclaré si je dois être candidat. Je suis dans un dilemme. Est-ce qu'un civil pourra gérer les militaires dans une armée qui n'est pas structurée ? Je suis dans un dilemme», expliquait t-il à l'époque. Le caractère ingérable des militaires guinéens semble être une réalité, le chef de la junte n'ayant même pas réussi à faire arrêter le lieutenant Aboubacar « Toumba » Diakité, considéré comme l'un des responsables de la tuerie. «Chaque gradé étant à la tête de sa propre petite armée, les hommes de Diakité ont fait front», rapporte le site de «Jeune Afrique». Le groupe international de contact sur la Guinée, ainsi que l'Union Africaine laissent jusqu'au 17 octobre à Dadis Camara pour s'engager à ce que ni lui, ni un autre membre de la junte ne se présente à l'élection présidentielle. Alexandre Cece Loua, le chef de la diplomatie guinéenne, a assuré que le gouvernement comptait répondre à l'ultimatum. Une nouvelle réunion de la CEDEAO est d'ores et déjà programmée samedi prochain 17 octobre. Point final.