Recueilli par Momar Dieng
lequotidien.sn
3 octobre 2009
Mme Sy née Mariama Diallo, membre de la Société civile guinéenne et du Bureau de coordination des Forces vives, chef d'entreprise, raconte l'épreuve de mort qu'elle a traversée lors de la fameuse journée du 28 septembre dernier.
Attirés au stade du 28 septembre, puis enfermés à l'intérieur, des milliers de ses compatriotes sont tombés sous les balles de Dadis Camara et de la junte militaire. Dans le tréfonds psychologique de cette forte personnalité, épouse d'un Sénégalais, demeurent cependant les scènes de viols à ciel ouvert perpétrés sur des femmes prises en otage et étalées sur un sol boueux.
Ironie d'une histoire tragique, elle a eu la vie sauve grâce à un jeune militaire un peu moins cruel que ses collègues. Histoire vraie qui rappelle les drames survenus en Bosnie Herzégovine quinze ans plus tôt.
« Les militaires sont venus pour empêcher une manifestation pacifique organisée par les Forces vives. Nous avions établi un plan d'actions car le Président Dadis nous a montré qu'il était prêt à se présenter à l'élection présidentielle de janvier 2010. Alors, nous n'étions plus sur la même longueur d'onde que lui. Sans arrêt, ce sont des comités de soutien qu'il fait organiser avec l'aide du gouverneur de Conakry et ses acolytes. Il fait envoyer aux femmes des tissus Wax, on met des bus à leur disposition avec un peu d'argent. Ces gens là vont de quartier en quartier pour dire et crier qu'ils soutiennent la candidature de Dadis. Il veut faire croire que c'est le peuple qui veut de lui. En réalité, il se cherche une légitimité. C'est pourquoi il n'arrête pas de dire que la communauté internationale n'a pas à exiger de lui qu'il ne se présente pas à l'élection présidentielle. Or, s'il a été soutenu comme il l'a été jusqu'à récemment, c'est bien parce qu'il avait promis de remettre le Pouvoir aux civils par l'organisation d'élections libres, transparentes et crédibles dans lesquelles ni lui ni le Premier ministre ni aucun membre du gouvernement ou du Conseil national pour la démocratie et le développement (Cndd) ne se présenterait. Il a violé ce pacte. Et, Dadis empêche systématiquement tout meeting des leaders de l'opposition. Cellou Dalein Diallo, notamment, a été empêché de faire une tournée à Kankan, on l'a même empêché d'y passer la nuit.
Pour une fois en Guinée, les leaders politiques sont coalisés pour créer le Forum des forces vives sous la pression des militants qui leur reprochaient de ne rien faire. C'est cela qui a provoqué l'organisation du grand meeting populaire le 28 septembre à Conakry. Cette manifestation a été annoncée dans tous les médias privés à travers de nombreux communiqués et même lors d'une conférence de presse. Mais la veille, Dadis a subitement décrété que ce 28 septembre serait un jour férié, ce qui n'était jamais arrivé !
Evidemment, le coup était déjà parti, il nous était impossible d'annuler le rassemblement. Nous avions convenu que si le stade en tant que tel nous était interdit, nous irions sur l'esplanade du même édifice.
Mais, dès 6 heures du matin, les militaires tiraient déjà dans les quartiers, tapaient les enfants… Quand un de ses ministres est allé rencontrer les leaders au cours de la marche pour leur demander de faire arrêter la…marche, il lui a été répondu que ce n'était pas possible. Et quand les jeunes ont appris que leurs leaders avaient été arrêtés pour les empêcher d'arriver au stade, ils ont brisé les barrages et ont affronté les policiers, ils ont cassé les locaux de la Police du quartier et sont arrivés au stade. Quand le Premier ministre a vu que la marée humaine le dépassait, c'est lui-même qui a pris la décision de faire entrer les leaders dans le stade. Et, à partir de ce moment, nous nous sommes dits qu'il n'y aurait plus rien de grave, que les risques étaient écartés. Le calme était revenu, les jeunes dansaient, chantaient dans le stade, sur les gradins, tout cela pendant un tour d'horloge. C'est à cet instant que les portes du stade du 28 septembre ont été fermées. »
« Fermées pour tirer sur la population, sur tout ce qui bougeait. C'était une opération préméditée. C'était le sauve-qui-peut ! Des militaires tiraient et tuaient, d'autres tapaient et battaient des personnes désarmées. Des soldats égorgeaient des gens comme on le ferait avec des animaux, d'autres préféraient violer des femmes qu'ils déshabillaient auparavant ou pas, sur le sol boueux. Demandez-moi par quel miracle je suis sortie vivante du stade, je ne vous le dirai pas car je ne le sais pas jusqu'à présent. Franchement !
Ils tiraient de tous les côtés, comme au cinéma. C'était organisé pour tuer, et surtout tuer le maximum de personnes. Vous avez entendu un militaire dire sur la radio Rfi : c'était tuer ou se faire tuer. C'est rigoureusement exact. Tous les hommes armés que j'ai vus de mes yeux à l'intérieur du stade tiraient pour tuer, sinon ils avaient des gourdins et se servaient de leur matraque pour tuer.
Quand les hommes de Dadis ont commencé à tirer, tous les leaders se sont regroupés sur la pelouse du stade, à une même place. Aucun d'eux n'a cherché à fuir ! Ils se sont regroupés en formant un bloc. Et, de manière générale, les personnes les moins sévèrement blessées sont celles qui s'étaient regroupées en masses compactes. Mais, Sidya Touré (Ndlr. ancien Premier ministre) et Cellou Dalein Diallo (Ndlr. lui aussi ancien Premier ministre) sont ceux qui ont reçu le plus de coups ! Cellou particulièrement, Dadis lui en veut à mort ; je vous assure qu'il lui voue une haine certaine.
Pourquoi ? Je ne le sais pas. C'est une haine féroce. Ce qui est inquiétant, c'est que cette haine est en train de dépasser le cadre des deux hommes pour déboucher sur une confrontation ethnique violente et dangereuse.
A l'heure où je vous parle, des informations indiquent qu'à Labé par exemple, tous les forestiers sont en train d'aller se cacher au camp militaire de la ville pour éviter d'être lynchés et que dans les quartiers peuls de Conakry, les forestiers sont également en train d'être évacués par leur famille afin qu'ils rejoignent leur famille forestière. En Guinée aujourd'hui, nous sommes au bord de la guerre civile ethnique. C'est extrêmement grave !
« A l'intérieur du stade, j'ai été piétinée par deux fois car je courais dans tous les sens. J'étais habillée d'un jean noir très solide, et c'est en partie grâce à cet accoutrement que j'ai survécu. Toutes les femmes qui portaient des pagnes ou tenues légères, je les voyais courir les seins nus car leurs vêtements s'étaient déchirés ! Les militaires ont déshabillé de grandes dames, ils les ont violées devant tous ceux qui étaient capables de les voir, au milieu de tout et de rien. Ils jetaient les femmes par terre et montaient sur elles pour faire leurs sales besognes. Au milieu de tout le monde ! Ils tiraient des coups de feu sur les parties génitales de ces femmes, ou bien ils y introduisaient des poignards. Ces images me hantent et me traumatisent jusqu'à présent. Je vous assure que je n'arrive pas à dormir convenablement. Parfois, j'éclate en sanglots. Plusieurs dizaines de personnes me sont tombées dessus quand j'étais à terre. Cela m'a causé des ecchymoses partout sur le corps.
J'ignore par quel miracle je suis là en face de vous, en train de raconter ce qui s'est passé au stade du 28 septembre. Je ne sais pas !
Quand je courais et qu'en même temps je criais au secours, les gens étaient en train d'être fauchés par les mitraillettes des militaires, à gauche, à droite, sur tous les côtés. Ils tombaient comme des mouches. Je suis tombée une deuxième fois, mais je ne pouvais pas me relever à cause de la boue. Je glissais, je bougeais, mais j'étais comme scotchée au sol. C'était à cause de la pluie tombée le matin.
A cet instant, je me suis dit que c'était fini pour moi. Irrémédiablement. Un moment, je me suis dit que Dieu n'allait quand même pas me laisser mourir là, sur ce champ de patates, moi qui me bats pour mon pays par conviction depuis tant d'années. En une fraction de seconde, j'ai revu ma famille, mes enfants, mon mari… Et, lorsque j'ai revu tous ces êtres en images, cela m'a donné le courage de refuser de succomber. »
Je ne sais d'où m'est venue cette force extraordinaire qui m'a permise de me relever. C'est peut-être dû au fait que je répétais sans arrêt : « La illaha illa lah, mouhamadou rassoulillah » (Ndlr : Il n'y a de Dieu qu'Allah, Mouhamad est son messager). Je prononçais ces mots pendant tout le temps que je courais dans le stade.
Le drame est que, en courant, personne ne savait où aller. On mitraillait de partout et toutes les issues étaient cernées, les portes du stade hermétiquement fermées. C'était franchement un carnage ! Quand j'entends les militaires dire qu'il n'y a eu que cinquante morts… (Ndlr : elle ne termine pas sa phrase). Il n'a pas pu y avoir moins de deux cents personnes tuées. En fait, il n'y avait nulle part où il était possible de se cacher pour quelqu'un. Il ne me restait que la foule, et comme je ne voulais pas subir de viol, j'ai toujours fait en sorte d'être là où il y avait beaucoup de monde, une foule compacte. Ma devise était simple : ou je mourais, ou c'est celui qui était à côté de moi qui y passait. C'est exactement ainsi que les choses se sont déroulées.
Quand je me suis relevée de la deuxième fois où j'étais au sol, et que j'ai constaté qu'il n'y avait aucune issue, j'ai remarqué un jeune militaire qui était très propre par rapport à ses collègues. Il était à cent mètres de moi. J'ai fait le suprême effort de me traîner jusqu'à lui, je me suis jetée sur lui comme ça (Ndlr : elle tend ses bras comme pour supplier) et je lui ai dit :
— Mon fils, sauve-moi ou tue-moi.
Il m'a demandé :
— Mme, vous êtes journaliste ?
Je lui ai répondu :
— Oui, je suis journaliste. Prends tout mon argent, mais sauve-moi.
Je lui ai ouvert le sac que j'avais autour du cou. Il l'a pris, et au moment où il cherchait ce qu'il y avait dedans, ses copains nous ont aperçus et sont venus nous rejoindre.
— Mais c'est qui celle là, demande l'un d'entre eux, qui braquait son arme sur moi ?
Le jeune soldat prit ma défense après avoir récupéré tout l'argent :
— Non il ne faut pas la tuer, c'est une journaliste, dit-il.
Alors, l'autre a commencé à me frapper avec son arme sur le corps. Moi je me protégeais la tête avec mes bras, c'est cela qui m'importait. Un autre avait un gros gourdin. »
Le jeune militaire m'a quand même sauvée en m'extirpant des griffes de ses collègues, il m'a jetée dans la cour d'une maison juste en face du stade. J'étais en lambeaux. La famille qui était là m'a récupérée. Ce qui est terrible et qui n'a pas été dit à ma connaissance, c'est qu'on a demandé aux jeunes qui avaient survécu aux massacres de ramasser les corps et de les mettre dans les camions des militaires. C'est une femme de cette famille qui est venue nous le dire à l'intérieur de la maison. Après, il faut voir si ces jeunes n'ont pas été tués pour qu'ils n'aillent pas raconter ce qu'ils ont vu et ce qu'on leur a demandé de faire.
Par chance, une voiture de la Croix-rouge est passée devant la maison. J'ai pu y prendre place tout en craignant d'être amenée dans un camp militaire. Je tenais à peine debout, mes pieds étaient déchirés car j'ai marché pieds nus depuis le début des pogroms. A l'hôpital, il n'y avait presque rien comme médicament. Même pas de compresse pour les soins, encore moins de seringues pour les piqûres. C'est ici que j'ai d'ailleurs appris que les militaires faisaient le tour des structures hospitalières pour ramasser les blessés, et amener les femmes pour les violer encore.
Donc j'ai appelé ma sœur, elle est venue rapidement car elle n'habite pas loin. C'était pour avertir mon mari à Dakar. Il m'a envoyé un billet d'avion pour que je rapplique sur la capitale sénégalaise. Pour quitter Conakry, j'ai dû bénéficier de complicités certaines (Ndlr : qu'elle nous a détaillées mais avec la demande de ne pas les rapporter ici pour des raisons de sécurité).
Tout à l'heure, quelqu'un m'a dit depuis la Guinée que les gens se demandent encore comment j'ai pu sortir du territoire. Dadis et les militaires me connaissent bien, ils savent que je ne vais pas me taire. Tant que ce régime assassin gouvernera la Guinée, je n'y retournerais pas. »
« Nous allons continuer de mettre la pression là où il faut afin que Dadis et ses amis soient traduits devant la Cour pénale internationale. Il est impératif de mettre en place une Commission d'enquête internationale indépendante pour juger tous les crimes commis en Guinée. Aussi, nous allons nous battre pour qu'il y ait une force d'interposition en Guinée. Quand Dadis dit lui-même qu'il ne peut contrôler son Armée, il est impensable de lui confier une Armée et encore moins un pays.
Donc, il faut une ingérence humanitaire dans notre pays. C'est clair. Nous allons demander la création d'un Haut conseil de la République qui sera chargé de gérer la transition en Guinée, d'organiser une sorte de conférence nationale pour la vérité, la justice et la réconciliation. Il pourrait même être dirigé par Monseigneur Sarah. Ce qui a eu lieu au Libéria, en Afrique du Sud, au Bénin et j'en passe est inévitable en Guinée. Aujourd'hui, il y a trop de haine entre les Guinéens.
Les victimes du Camp Boiro, victimes du régime communiste de Sékou Touré réclament justice jusqu'à présent. Ils ne savent pas où leurs parents ont été enterrés et veulent qu'ils soient réhabilités. Ils ont raison ! Quand Conté est venu, il en a rajouté. Lui aussi a tué des officiers malinkés. Et c'est le tour de Dadis maintenant. Vous pensez qu'il est possible de construire quelque chose sur le mensonge, l'injustice ? Il faut arrêter cela ! Donc, il faut absolument que les Guinéens se parlent. Il faut absolument que l'on règle les problèmes ethniques.
Il faut que la communauté internationale prenne ses responsabilités en nous aidant à mettre en place une nouvelle Guinée. Elle doit faire vite car le pays ne peut pas attendre plus encore. »
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