Jeune Afrique
14/10/2009
Malgré un calme apparent, la tension est palpable. La population demande des comptes sur le massacre du 28 septembre. Dadis semble perdre la main, le camp Alpha-Yaya se déchire. Et maintenant ?
À Conakry, la vie semble reprendre son cours normal, près de deux semaines après la tuerie du 28 septembre. Aux alentours du stade devenu tristement célèbre et qualifié par certains journaux locaux d'« abattoir de la junte », les magasins ont rouvert. À l'intérieur, deux soudeurs, seuls dans les tribunes officielles, réparent des sièges sans doute arrachés lors de la répression. À l'entrée principale, des agents de sécurité repeignent les grands portails rouges, comme pour effacer les traces du carnage.
Sous ces apparences paisibles, le feu couve. Et il peut repartir à tout moment. Un signe en dit long : le lycée et le consulat français restent fermés. On redoute un soulèvement — et un nouveau un bain de sang. « La Guinée est le pays des extrêmes. La situation actuelle ne présage rien de bon », commente un diplomate. Ces bâtiments, objectent certains, sont fermés de peur que des sympathisants de la junte ne les prennent pour cible, après les propos très critiques de Bernard Kouchner, le ministre français des Affaires étrangères, à l'égard du capitaine Moussa Dadis Camara. Ils n'ont peut-être pas tort.
Ce qui est sûr, en revanche, c'est que la déception, l'amertume et, surtout, la colère des habitants de Conakry sont réelles. Ils réclament avec de plus en plus de véhémence le départ de Dadis. Keita N'Famara, coordonnateur du Congrès national des jeunes de Guinée et rescapé du massacre, est formel : « La junte a perdu le peu de crédibilité qui lui restait aux yeux de ceux qui voulaient encore croire en son honnêteté. Il est grand temps qu'elle cède le pouvoir aux civils. » Alors que, jusque-là, les critiques portaient essentiellement sur l'éventualité de la candidature du chef de la junte à la présidentielle de janvier 2010, les Guinéens exigent désormais qu'il réponde des crimes commis par ses troupes. L'hostilité vis-à-vis du pouvoir militaire basé au camp Alpha-Yaya se ressent surtout dans la banlieue de Conakry, où la tension est palpable.
Outre les rivalités ethniques et les appétits de pouvoir, les incertitudes qui pèsent sur le sort des disparus du 28 septembre pourraient mettre le feu aux poudres. « Si leurs parents et leurs proches ne reçoivent aucune réponse, ils risquent de redescendre dans la rue pour s'en prendre à ceux qu'ils considèrent comme responsables de ces crimes », prédit un chef d'entreprise. Des survivants affirment que les bilans avancés, aussi bien par le gouvernement que par les ONG, sont largement sous-estimés. Selon eux, près de trois cents personnes auraient été tuées. Ces cadavres qui demeurent introuvables auraient été jetés dans des fosses communes ou à la mer. « Des corps ont été retrouvés jusque sur des plages de la Sierra Leone, d'autres à Conakry même, à Kaloum », s'indigne un fonctionnaire. Difficile, dans ce climat, de faire la part entre la vérité et les rumeurs. Seule certitude, les Guinéens attendent beaucoup de la communauté internationale, qui, espèrent-ils, aidera à faire la lumière sur cette affaire.
Les leaders de l'opposition nourrissent peu ou prou les mêmes attentes. La stratégie du Forum des forces vives de Guinée (FFVG) est claire : gagner du temps, pour laisser la junte subir un maximum de pressions de l'extérieur. Les conditions préalables à tout dialogue avec le Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD) à Ouagadougou « ne constituent pas un rejet de la médiation du président Blaise Compaoré », explique François Lonseny Fall, leader du Front uni pour la démocratie et le changement (Fudec). Mais accepter tout de suite la main tendue du CNDD détournerait l'attention de la communauté internationale. « Et puis ce serait trahir tous ces militants qui se sont fait tuer, bastonner, violer. Tant que les responsabilités des auteurs de ces actes ne seront pas clairement établies, aucun dialogue n'est envisageable », déclare Sidya Touré, ancien Premier ministre et président de l'Union des forces républicaines (UFR).
En réalité, les Forces vives attendaient l'échéance du 12 octobre, date fixée à Dadis par le Groupe international de contact pour se prononcer, à Abuja (Nigeria), sur son éventuelle candidature à la prochaine élection présidentielle. S'il renonçait, la situation s'en trouverait clarifiée : une fois les militaires écartés de la course à la magistrature suprême, l'on pourrait envisager la mise en place d'une autorité de transition chargée de créer les conditions d'un scrutin transparent et démocratique.
Si l'opposition semble plutôt tirer avantage de cette nouvelle donne, Moussa Dadis Camara, lui, se retrouve au pied du mur. Un plébiscite lui semblait acquis. Il en est désormais réduit à tenter de prouver son innocence. En vain. Ses opérations de communication en direction de ses compatriotes comme des médias internationaux n'ont pas abouti aux résultats escomptés. Sa proposition de créer une commission d'enquête s'est elle aussi heurtée au refus de l'opposition. « La panique gagne la maison », soupire un proche collaborateur du gouvernement. La perspective, peu réjouissante, de voir certains de ses membres traduits devant la justice internationale pousse la junte à faire sauter quelques fusibles.
Moussa Tiegboro Camara, ministre chargé des services spéciaux, de la lutte contre le trafic de drogue et le grand banditisme, et le lieutenant Aboubacar « Toumba » Diakité, tous deux considérés comme les orchestrateurs de la tuerie du 28 septembre, sont dans le collimateur. Le capitaine Claude Pivi, le bras armé de la junte, aurait reçu la mission de faire arrêter « Toumba ». Mais chaque gradé étant à la tête de sa propre petite armée, les hommes de Diakité ont fait front. Reste que, le 7 octobre, la tension est montée à tel point au camp Alpha-Yaya qu'on a été à deux doigts de l'implosion.
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