Consultant indépendant
Ancien analyste politique, International Crisis Group, Bureau Afrique de l'Ouest
Afrik.com
2 octobre 2009
L'option d'une mission internationale avec une composante militaire dissuasive doit être envisagée Il y a des moments où les longues analyses sont superflues et la litanie de condamnations verbales lassante. Lorsque des militaires ouvrent le feu sur des civils non armés rassemblés dans un stade, tabassent des leaders politiques et violent des femmes avec le canon de leurs fusils, il convient d'aller à l'essentiel.
De jeter aux orties les arguments fallacieux qui visent à diluer les responsabilités des coupables. De dénoncer et de couvrir d'opprobre les personnalités civiles qui continuent à faire équipe avec la junte de Moussa Dadis Camara. Et de concentrer tous les efforts sur la définition d'une stratégie pour faire partir la junte et protéger la population guinéenne de son armée.
Que le capitaine Dadis Camara multiplie les interventions médiatiques pour dire qu'« il ne contrôle pas toutes les activités de cette armée » et dénoncer les leaders de l'opposition qui auraient « poussé les enfants à la boucherie » n'étonne pas vraiment. La couarde tactique qui consiste pour les bourreaux à transférer la responsabilité de leurs actes et de ceux de leurs affidés sur le dos de leurs victimes est aussi vieille que le monde. Cela permet d'instiller un léger doute dans quelques esprits fragiles qui peuvent commencer à se demander si les responsabilités ne sont pas effectivement partagées. La manœuvre est pourtant grossière. Entendre quelques voix en Guinée et en dehors évoquer l'irresponsabilité des leaders de l'opposition et de la société civile qui ont maintenu la manifestation pacifique dans le stade du 28 septembre malgré l'interdiction décidée par la junte est affligeant.
Les groupes de partisans de Dadis arrosés de billets de banque peuvent donc manifester quand bon leur semble, mais pas les autres. Si ces derniers bravent l'interdiction des « autorités » et se font massacrer par des militaires nullement en danger, il s'agirait donc d'un suicide collectif. Ce serait bien sûr leur faute sinon celle des leaders qui les ont mobilisés. Le raisonnement est d'autant plus spécieux que, cette fois, presque toutes les personnalités politiques de l'opposition étaient venues participer au rassemblement se sont fait amocher par les militaires et embarquer comme des malpropres. Elles ont pris le risque d'accompagner à l'abattoir leurs « enfants », une cinquantaine de milliers de personnes tout de même.
Dadis a-t-il envoyé ses hommes avec l'intention d'effrayer les manifestants en tirant en l'air, d'en tuer juste quelques-uns pour donner un signal fort ? D'en éliminer une cinquantaine ? Une centaine ? De dénuder et de violer quelques femmes qui ne respectent pas l'autorité des militaires ? Contrôle t-il son armée ou est-il dépassé et pris en otage ? En réalité, la réponse à cette question a très peu d'intérêt. C'est son problème à lui. Epiloguer sur ces interrogations ne fait que divertir de ce qui devrait constituer l'objectif principal : faire partir cette junte le plus tôt possible.
Où sont les membres civils du gouvernement guinéen ? Quelqu'un a-t-il entendu une déclaration du Premier ministre Kabiné Komara ? Qu'attendent les ministres civils pour donner leur démission ? Ils pouvaient jusque-là justifier leur association avec la junte par les engagements honorables et démagogiques initialement pris par cette dernière mais les masques ne sont-ils pas maintenant tombés ? À quel moment réaliseront-ils que les costumes soyeux que leur garantit leur participation au pouvoir commencent à être tachés des gouttelettes de sang des victimes massacrées par les galonnés qu'ils servent avec déférence ?
Ne tombons pas dans le piège de la confusion des responsabilités dénoncé plus haut. Les personnalités civiles du gouvernement ne sont pas responsables des tueries du 28 septembre. Elles ne s'imaginaient sans doute pas que la première grande manifestation contre la junte s'achèverait dans un tel bain de sang. Maintenant, elles savent. Elles savent non seulement que les militaires ont l'intention de conserver le pouvoir avec ou sans élections mais également qu'ils sont prêts à marcher sur les cadavres de leurs compatriotes pour y arriver.
Si les anciens fonctionnaires internationaux et autres « élites » associés au gouvernement actuel continuent à servir d'alibi civil à la junte en conservant leurs positions, ils seront de facto complices de tous les actes futurs de Dadis et devront être traités comme tels. Les forces politiques et sociales guinéennes meurtries par la répression doivent cesser de se montrer accommodantes envers celles et ceux qui sont prêts à servir tous les pouvoirs aussi brutaux et médiocres soient-ils, et à défendre, toute honte bue, l'indéfendable. Voici venu le moment de choisir : le confort matériel des fonctions ministérielles et le déshonneur ou la démission et l'association au front du refus de l'imposture kaki.
C'est le défi le plus rude. Il n'y a pas de solution facile à la crise guinéenne. Le pourrissement de la situation, et en particulier celui de l'armée, a atteint un tel degré qu'il est aujourd'hui atrocement compliqué de proposer une stratégie viable aux acteurs guinéens et aux acteurs internationaux. Deux buts doivent en effet être simultanément poursuivis : le départ le plus tôt possible de la junte dirigée par Dadis Camara et l'éloignement durable des militaires du pouvoir politique. La tuerie du 28 septembre est en effet le résultat d'au moins deux facteurs distincts. L'un est conjoncturel. C'est la détermination des chefs de l'actuelle junte à s'accrocher au pouvoir. L'autre est structurel. Il s'agit de cette culture de violence, d'impunité et de toute puissance de l'armée qui constitue le pire cadeau empoisonné de Lansana Conté à son pays. Point d'espoir pour la Guinée si on ne s'attaque pas à ces deux problèmes.
Comment faire partir la junte actuelle ? Le rapport de forces interne est clair : des dizaines de milliers de Guinéennes et des Guinéens au mieux armés de bâtons face à des unités de militaires et une meute de miliciens dotés d'armes automatiques et de stocks de munitions. Imaginons un instant un déferlement monstrueux de plusieurs milliers de manifestants sur le camp militaire Alpha Yaya Diallo de Conakry qui sert également de palais présidentiel pour Dadis. Un tel mouvement pourrait emporter la junte mais ferait sans doute plusieurs centaines de morts et plongerait la capitale, voire tout le pays dans une sanglante anarchie pendant plusieurs semaines. Une alternative moins chaotique serait le renversement de l'actuelle junte par une autre. Outre le fait qu'un tel scénario se traduirait probablement par un carnage au sein de l'armée, le nouvel homme fort aurait autant de chances d'être meilleur que Dadis que d'être pire que ce dernier (oui cela est possible).
Même dans le sous-scénario le plus optimiste, celui d'une prise de pouvoir par un groupe de militaires totalement alignés sur la position des leaders politiques, il leur serait extrêmement difficile de reprendre le contrôle de tous les soldats enivrés par leur monopole du droit de tuer. De plus, un contre coup d'Etat militaire, fût-il mené par un officier « gentil » convaincu de ce que devrait être le rôle d'une armée en démocratie, ne résoudra pas le problème structurel. Si par miracle une élection présidentielle crédible était organisée en Guinée dans les prochains mois par un gouvernement civil ou militaire et qu'un chef d'Etat civil se faisait élire, quelle serait son espérance de vie au pouvoir face à l'armée ? Il faut se débarrasser de Dadis certes, mais cela ne suffira pas à délivrer la Guinée du cycle de la violence et de l'instabilité.
Toutes les organisations internationales et les grands pays du monde ont rivalisé de mots forts pour exprimer leur indignation. La France a suspendu sa coopération militaire. Avant le massacre, l'Union africaine (UA) avait déjà promis des sanctions à la junte si Dadis ne renonçait pas par écrit à sa volonté de se porter candidat. La Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) durcit également le ton. Il en était temps. L'Union européenne se prépare à prendre des sanctions ciblées. Tout cela est bel et bien. Il faut tout essayer pour isoler la junte.
Les appels à la création d'une commission d'enquête internationale sur les évènements du 28 septembre font cependant rire jaune. Le temps que New York, Genève, Addis Abeba, Abuja et Conakry s'entendent sur les modalités de la mise en place d'une telle commission, on sera au mieux dans le troisième trimestre 2010, sinon en 2011. Le capitaine Camara le sait tellement bien qu'il n'arrête pas d'appeler lui-même à la constitution d'une commission. Le défunt Lansana Conté avait accepté le principe d'une commission d'enquête indépendante nationale sur les tueries de janvier et février 2007 qui n'a jamais pu débuter ses travaux. Quant à la perspective d'une saisine de la Cour pénale internationale, elle effraie sans doute davantage mais il faudra aller chercher les criminels présumés et surarmés à Conakry.
C'est toujours avec une certaine consternation qu'on se trouve contraint de recommander une opération militaire internationale de plus dans un pays africain. C'est avec une tristesse encore plus grande qu'on le fait pour le premier pays africain francophone à avoir réclamé son indépendance. La situation de la Guinée aujourd'hui l'exige pourtant. Les acteurs guinéens et extérieurs doivent utiliser tous les moyens pour obtenir le départ de Dadis. Mais s'ils veulent donner une chance à la Guinée d'échapper au coup d'Etat permanent, la CEDEAO, l'UA et l'ONU doivent aller plus loin et décider dès maintenant de l'envoi d'une mission qui inclut une composante militaire dissuasive, en comprimant au maximum les délais habituels de préparation. Ce n'est pas tant le fait d'envoyer des troupes sur le terrain que le message qui serait donné par l'annonce d'une telle décision qui pourrait faire bouger les lignes à Conakry.
L'armée guinéenne restera une menace pour la sécurité des populations civiles pendant un bon moment. Il faudra vivre avec cette armée et créer progressivement les conditions de sa réforme profonde. Cela prendra du temps et de formidables efforts. Le premier préalable est d'envoyer sur place une force extérieure armée pour atténuer le sentiment de toute puissance des tueurs. La majorité des décideurs africains et non africains ont horreur des propositions « radicales » décrétées irréalistes et préfèrent le type de solutions que vient de proposer sans vergogne Camara : une commission d'enquête, un « sage » président africain comme médiateur et un gouvernement d'union nationale. Dans la même déclaration « d'apaisement », le capitaine menace les leaders politiques et interdit tout « regroupement à caractère subversif ». Avaler de telles couleuvres, c'est consentir à voir s'amonceler à intervalles réguliers les cadavres défigurés de centaines de Guinéennes et de Guinéens.
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