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Répression
157 morts lors d'une manifestation en Guinée


Nouvelobs.com & AFP
29.09.2009

Les forces de l'ordre ont ouvert le feu sur la foule réunie en opposition à la junte au pouvoir après un coup d'Etat. La France condamne avec “fermeté” cette “répression violente”.

L'organisation guinéenne de défense des droits de l'Homme (OGDH) affirme mardi 29 septembre qu'au moins 157 personnes ont été tuées et 1.253 blessés lundi à Conakry lors d'une violente répression d'une manifestation de l'opposition par les forces de sécurité. Un communiqué du parti de l'opposition faisait état d'au moins 128 personnes tuées. un peu plus tôt.
Les forces de l'ordre ont ouvert le feu sur les milliers de manifestants réunis dans un stade en opposition à l'éventuelle candidature du chef de la junte, le capitaine Moussa Dadis Camara, à la présidentielle prévue en janvier. C'est la première fois que la junte écrase une manifestation dans la violence depuis qu'elle a pris le pouvoir il y a neuf mois.
La Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH) a appelé la communauté internationale à “réagir fermement”. Ancienne puissance coloniale, la France a condamné “avec la plus grande fermeté” cette “répression violente” et les Etats-Unis se sont déclarés “profondément inquiets”.

“C'est la boucherie ! Un carnage”

“A la suite de la manifestation (…), on compte déjà 70 morts à l'hôpital Ignace Deen et 58 à l'hôpital Donka”, selon le texte de l'Union des forces républicaines (UFR, opposition).
“De plus, des militaires ont été vus en train de ramasser des corps dans les rues pour les emmener au camp Alpha Yaya Diallo, siège de la junte, probablement pour éviter un comptage précis du nombre de tués qui révèlerait l'ampleur du massacre”. Un médecin du Centre hospitalier universitaire de Donka, lancait dans la matinée : “C'est la boucherie ! Un carnage”. Une autre source médicale, à l'hôpital Ignace Deen de Conakry, a assuré à l'AFP qu'un camion militaire était venu pour ramasser des “dizaines de corps”, emmenés vers “une destination inconnue”. Un membre de la Croix-Rouge a également évoqué “une volonté de dissimuler les corps des victimes”.

Un piège des autorités ?

“D'après des sources sur place, les autorités auraient tendu un piège au peuple massivement rassemblé : l'armée a attendu que le stade soit rempli pour y entrer à son tour et tirer sur la foule”.
“Etant donné que la manifestation était normalement interdite, les Guinéens s'attendaient plutôt à ce que les autorités ferment le stade pour empêcher quiconque d'y pénétrer”.
“Il s'agit donc sans aucun doute d'un assassinat avec préméditation, d'autant plus que l'ordre public n'était en rien menacé: les contestataires manifestaient pacifiquement”, souligne le parti d'opposition.

Des femmes violées par l'armée

Selon l'opposition encore, l'armée guinéenne aurait également violé des femmes pendant les exactions. “Des femmes ont été violées par la garde prétorienne de Dadis Camara (chef de la junte) aux abords du stade où la foule s'était donnée rendez-vous”, affirme l'UFR.
Un responsable d'une organisation des droits de l'Homme fait également état de viols, dans le stade, puis dans des casernes et des commissariats.
“Les viols ont commencé au stade. Des militaires ont violé des femmes”, affirme Mamadi Kaba, président de la branche guinéenne de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l'Homme (Raddho), une ONG basée à Dakar.
“Nous avons des informations très inquiétantes de femmes détenues dans des camps militaires et des commissariats qui sont violées”, a-t-il souligné lors d'un entretien téléphonique avec l'AFP, depuis Dakar.

Poursuite des exactions

L'humanitaire estime également que les exactions se poursuivent ce mardi. “Les militaires entrent aussi dans les quartiers, pillent les biens et violent les femmes. Nous avons ces informations de sources concordantes, de sources policières et proches des militaires”, a-t-il dit, ajoutant : “Beaucoup de militaires et de policiers ne sont pas d'accord avec cela”.
“La peur règne aujourd'hui en Guinée. C'était simplement un rassemblement. Personne ne pouvait imaginer qu'il y aurait de la violence. Le message des militaires, c'est : ‘nous n'acceptons pas de contradiction’”, a-t-il poursuivi.
“Nous avons très peur, les prochaines semaines vont être difficiles, les positions vont se radicaliser. A l'hôpital de Donka, le bilan est catastrophique, c'est un carnage, une boucherie, une scène d'horreur”, a déclaré Mamadi Kaba.

Un adolescent tué

En outre, selon des témoins, un adolescent aurait été tué par les militaires, mardi, dans la banlieue de Conakry. “Nous avons vu des militaires tirer dans le dos des jeunes qui couraient, un a été fauché et est tombé”, a raconté un habitant du quartier de Cosa.
Selon son récit, les habitants se sont ensuite approchés du corps et ont constaté la mort de l'adolescent, âgé d'une quinzaine d'années.

Le chef de l'opposition blessé

L'ex-Premier ministre Cellou Dalein Diallo, candidat à l'élection présidentielle et dirigeant de l'Union des forces démocratiques de Guinée (opposition), raconte également que des militaires lui ont “cassé deux côtes” et l'avaient blessé à la tête “à coups de crosse”. “Il y avait une volonté délibérée de nous éliminer aujourd'hui, nous, les opposants”, a déclaré pour sa part l'ancien chef de gouvernement Sidya Touré, leader de l'Union des forces républicaines, également blessé à la tête. Les deux leaders de l'opposition ont été conduits au camp militaire Alpha Yaya Diallo, siège de la junte, puis transportés dans une clinique pour y être soignés. Leurs maisons ont ensuite été pillées par des militaires, selon des témoins.

“Je suis très désolé, très désolé”

Jusqu'à présent, le capitaine Dadis Camara soulignait volontiers que l'armée avait pris le pouvoir “sans effusion de sang”, le 23 décembre 2008, au lendemain du décès du président Lansana Conté qui régnait sans partage sur la Guinée depuis 1984.
Dans un entretien diffusé lundi soir par Radio France Internationale, le chef de la junte a déclaré attendre “qu'on [lui] donne les chiffres” des tués. “C'est malheureux, c'est dramatique. Effectivement, il y a eu des morts, mais je n'ai pas encore les chiffres. Je suis là et j'attends qu'on me fasse le point de la situation. Très franchement parlant, je suis très désolé, très désolé”, a-t-il ajouté.
Ces violences interviennent au moment où la communauté internationale fait pression sur le chef des putschistes pour qu'il respecte son engagement de ne pas se présenter à la présidentielle.