Libération
30/09/2009
Un syndicaliste guinéen raconte la sanglante répression de la manifestation de lundi.
La répression s'est poursuivie hier à Conakry, où étaient entendus des tirs sporadiques. Lundi, une manifestation de l'opposition contre la candidature du chef de la junte guinéenne, Dadis Camara (lire page de droite), à la prochaine présidentielle a donné lieu à un carnage commis par l'armée. Selon une ONG de défense des droits de l'homme locale, 157 personnes ont été tuées, vraisemblablement « des centaines » selon des sources diplomatiques. Paris a suspendu sa coopération militaire avec Conakry et appelle à des sanctions. L'ONU, l'Union africaine, l'Union européenne — qui doit tenir une réunion aujourd'hui sur le sujet — et Washington ont condamné la répression. Boubacar Biro Barry, un responsable de l'union syndicale guinéenne, nous a fait le récit, par téléphone, de la journée de lundi.
« Dimanche soir, le ministère de l'Intérieur a interdit toute manifestation au grand stade de Conakry du 28 septembre au 5 octobre. Le lundi matin, les leaders de l'opposition se sont retrouvés chez Jean-Marie Doré, leur porte-parole. Ils ont été rejoints par le commandant Tiéboro Camara, le ministre chargé des services spéciaux, de la lutte contre la drogue et du grand banditisme, qui leur a dit de reporter le meeting au lendemain. Mais c'était déjà trop tard, les gens affluaient au stade par milliers. Le ministre a alors donné consigne d'ouvrir les portes à la foule et de retirer les gendarmes. Il est entré avec les leaders de l'opposition. Quand ils sont descendus sur la pelouse, il s'est éclipsé. Quelques minutes plus tard, les bérets rouges de la garde présidentielle [l'unité dont est issu le chef de la junte, Dadis Camara, ndlr] sont entrés en force. Certains à pied, d'autres à bord de véhicules. Il était midi et demi. Ils se sont dispersés aux quatre coins, c'était comme une attaque commando. Ils ont commencé tiré sans prévenir, à bout portant. C'était horrible, horrible. Des femmes violées, d'autres embrochées à la baïonnette, des blessés achevés… Les chefs des partis ont tenté de parler avec les soldats, ils se sont fait tabasser un à un : Cellou Diallo a eu cinq côtes cassées, François Fall a la main fracturée, Sidya Touré a pris un coup sur la tête. Les militaires avaient perdu la tête. La plupart d'entre eux étaient des Forestiers [le groupe ethnique de Camara, un Guerzé, ndlr].
« La répression s'est poursuivie l'après-midi et la nuit dans les quartiers. J'ai recueilli une jeune femme violée chez moi. Elle n'osait plus traverser la ville. Il y avait des militaires partout. Ils en ont profité pour piller. Les maisons de Cellou Diallo et de Soriba Sorel ont été mises à sac. L'armée à envoyé des soldats pour surveiller les opposants qui étaient allés se faire soigner à l'hôpital. A la morgue de l'université, des soldats ont rempli un camion de cadavres pour les emmener dans un lieu inconnu.
« Aujourd'hui [hier], les troubles se poursuivent. On entend tirer de temps à autre. Les manifestations continuent dans les quartiers de haute banlieue [où habitent nombre de Peuls, une ethnie supposée hostile par le chef de la junte, ndlr].
« On ne sait pas ce qui va se passer. J'ai écouté la déclaration du chef de la junte. Il dit qu'il est « très désolé » pour ce qui s'est passé, il accuse les manifestants d'avoir tiré. C'est faux. Personne n'était armé au stade. Maintenant, les gens disent qu'ils n'ont plus rien à perdre. On leur a demandé de rester à la maison jusqu'à l'enterrement des martyrs. Mais c'est sûr qu'il va se passer quelque chose. Ça ne peut pas en rester là. »