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Dictateur le jour, animateur télé la nuit


Jeune Afrique
28-09-2009

Tandis que le bilan des affrontements entre manifestants et forces de l'ordre ne cesse de s'alourdir, on parle de 157 morts, Moussa Dadis Camara a présenté ses excuses. Mais personne n'est dupe. Car les méthodes musclées du chef de la junte au pouvor sont connues de tous les téléspectateurs guinéens.

Un dirigeant africain qui s'en prend aux riches et aux puissants en direct à la télévision, ça marche. Les taux d'audience de son émission le confirment. Toutefois, le capitaine Moussa Dadis Camara, star des animateurs de la télévision publique guinéenne, dispose d'un avantage de taille sur les autres inquisiteurs télévisuels. Dans la journée, il est le président de la Guinée, et si ses techniques d'interview à base de cris et de harcèlement ne donnent rien, la vue de la horde de gardes du corps armés de kalachnikovs qui l'entourent dans le studio contribue certainement à délier les langues.

“Les problèmes liés à la corruption et au trafic de drogue que j'ai découverts dans le précédent gouvernement ont contribué à détruire le pays”, gronde-t-il avant de se lancer dans une tirade contre les méfaits de l'ancienne équipe dirigeante. “Mais nous allons nous battre contre tout ça. Aucun cartel de la drogue ne pourra m'acheter.” C'est ainsi que commence le Dadis Show, émission qui captive les Guinéens depuis que son présentateur a pris le pouvoir, après la mort du vieux dictateur Lansana Conté en décembre 2008. Les aveux que Dadis extorque à ses invités ne sont pas du tout-venant et ne touchent pas seulement le public guinéen. Dans les émissions précédentes, il a révélé avec force détails que l'ancien gouvernement avait été “acheté” dans son intégralité par des barons de la cocaïne latino-américains, pour qui l'Afrique de l'Ouest constitue désormais un point de transit clé pour les exportations vers l'Europe.

Nuit après nuit, les membres de la propre famille de Conté, ainsi que des responsables de la police, de l'armée et des douanes, passent sur le plateau de l'émission pour avouer leur implication dans ce qu'on peut considérer comme le premier “coup d'Etat de la cocaïne” au monde. Un aérodrome spécial avait même été construit dans le nord du pays pour les avions du cartel, avec un hôtel destiné à accueillir les trafiquants. Quand les membres des cartels de Colombie et du Venezuela se rendaient à Conakry, la capitale, ils étaient reçus dans une maison qui appartenait à la première dame du pays. La cocaïne était même expédiée en Europe par la valise diplomatique. A la tête du système, on trouvait le fils aîné du président, Ousmane, qui réceptionnait personnellement la cocaïne à l'aéroport de Conakry, où elle arrivait dans un avion portant l'emblème de la Croix-Rouge. “Je reconnais que j'ai participé au trafic de drogue et je le regrette”, a-t-il déclaré au pays dans des aveux enregistrés. Avec deux de ses frères et les anciens chefs de l'armée et de la police des stupéfiants, il fait partie aujourd'hui des vingt personnalités jadis redoutées de l'ancien régime qui devraient se retrouver devant la justice après avoir subi un “entretien” en direct dans le Dadis Show. Bakary Thermite, l'ancien patron de la police des stupéfiants, a ainsi été accusé d'avoir revendu les marchandises confisquées. Comme il refusait de répondre aux questions, le capitaine Dadis a alors explosé de rage, lui lançant : “Réponds-moi, sinon je pense qu'on va devoir passer toute la nuit ici.” Il s'est exécuté, faute de quoi le pays aurait sans doute eu à suivre l'émission pendant toute la nuit.

Le Dadis Show ne fait que révéler ce qui a longtemps été un secret de polichinelle à Conakry. Une foule de Hummer, de BMW et autres voitures de luxe parcourent les rues de cette ville qui compte parmi les plus pauvres du monde. Jusqu'à récemment, on voyait beaucoup de ces véhicules sur le parking de la police des stupéfiants. Celle-ci touchait des pots-de-vin d'une telle ampleur qu'elle était inondée de demandes de transfert émanant d'autres services de police beaucoup moins riches. “Le trafic de cocaïne en Guinée est devenu une préoccupation majeure, à la fois en ce qui concerne l'approvisionnement de l'Europe et pour l'impact corrupteur qu'il a eu sur le gouvernement et la police du pays”, explique un observateur occidental.

Le trafic a pris de l'ampleur en Guinée et dans les pays voisins comme la Guinée-Bissau, le Liberia et la Sierra Leone, il y a quatre ans, quand il est devenu plus difficile d'importer directement en Europe. Les cartels latinos, qui se heurtaient déjà à la saturation du marché américain, ont fait appel à des intermédiaires nigérians pour rechercher des contacts dans la région et ont trouvé de parfaits partenaires chez les hommes politiques, les policiers et les généraux des capitales côtières de l'Afrique de l'Ouest ruinées ou ravagées par la guerre. On estime à 50 tonnes le volume de cocaïne qui transite chaque année par la région.

Les diatribes du capitaine Dadis contre le trafic passent bien auprès des Guinéens ordinaires, pour qui le spectacle des barons de la drogue latinos buvant et courant les prostituées avec les personnalités officielles dans les lieux nocturnes de Conakry n'est que le dernier chapitre du demi-siècle d'abus qu'a connu le pays depuis son indépendance. Les demandes de changement ont toujours été réprimées brutalement. En 2007, plus de 100 personnes ont été tuées par balle lors de manifestations antigouvernementales. “La Guinée, c'est comme l'enfer”, lâche Diallo Ibrahim, 26 ans, qui vend des DVD – parmi lesquels le coffret Best of the Dadis Show – dans une pauvre cabane en tôle ondulée. “On peut souvent rester trois jours sans gagner le moindre sou et on n'a même pas d'électricité ni d'eau à la maison.”

Quand le groupe du capitaine Dadis a investi les studios de la télévision publique après la mort de Conté et annoncé la mise en place d'un gouvernement de transition, la plupart des gens ont donc considéré que c'était une rupture avec le passé. Même si le capitaine était peu connu à l'époque, sa promesse d'organiser des élections libres et régulières d'ici à 2010 a été accueillie avec joie. Les vidéos du coup d'Etat ont montré ses chars traversant la ville pendant que la foule dansait et que les soldats faisaient semblant de jouer de la guitare sur leur kalachnikov. Depuis, on ne semble pas avoir avancé – et pas seulement parce que la junte a laissé une note de plus de 1 million de dollars à la brasserie locale. Selon ses détracteurs, le capitaine Dadis montre les signes classiques de quelqu'un qui est en train de devenir un “gros poisson”. On voit des affiches avec son portrait dans tout Conakry. Les émissions de radio où les auditeurs peuvent téléphoner pour exprimer leurs critiques à son égard ont été interdites. Il a récemment renoncé à la promesse qu'il avait faite à des diplomates et bailleurs de fonds européens et africains de ne pas se présenter aux élections, ce qui fait craindre un trucage du scrutin.

“Nous apprécions son action contre le trafic de drogue et la corruption, mais nous voulons tous que ce soit un civil qui arrive au pouvoir, et par des élections libres et régulières, pas un soldat. Nous savons que la communauté internationale ne soutiendra qu'un civil, confie Diallo Ibrahim. S'il n'organise pas des élections comme il l'a promis, les gens descendront encore dans la rue, et j'ai peur que ce soit un bain de sang”, ajoute Diallo Abdullah, 30 ans, qui a été blessé par balle à l'estomac lors des manifestations de 2007.