L'Express
29/09/2009
La répression sanglante du meeting de ce lundi jette une lumière crue sur la dérive d'un capitaine putschiste étrangement ménagé par l'Elysée.
Implacable ironie de l'Histoire: le carnage de Conakry a été perpétré le 28 septembre dans l'enceinte et aux abords du Stade du 28-Septembre. Arène ainsi baptisée en mémoire du “Non” guinéen au référendum de 1958, censé instaurer la “Communauté” franco-africaine. Désormais, cette date renvoie moins au cinglant camouflet infligé jadis par Ahmed Sékou Touré au général de Gaulle qu'au sanglant naufrage d'une coterie de putschistes: 87 civils tués lundi par balles, selon une source policière. Autres bilans... L'Organisation guinéenne de défense des droits de l'Homme (OGDH) estime qu'au moins 157 personnes ont été tuées. L'opposition a quant à elle fait état d'au moins 128 morts.
Bilan minimaliste, tant les mili-tueurs se sont employés à soustraire les cadavres au macabre décompte. Le crime des manifestants du “Forum des Forces vives” ainsi fauchés? Avoir osé dénoncer la l'ambition du chef de la junte, le capitaine Moussa Dadis Camara, de “candidater” lors du scrutin présidentiel du 31 janvier 2010, après avoir juré de n'en rien faire et étendu ce serment à tous les membres de son “Comité national pour la démocratie et le développement”(CNDD).
Recalé aux portes de l'Académie militaire de Meknès (Maroc), ce sous-officier aux états de service confidentiels — il orchestrait l'approvisionnement en hydrocarbures de l'armée guinéenne — a hérité le 23 décembre dernier du trône laissé vacant par le défunt autocrate Lansana Conté. Et ce, au prix d'un coup d'Etat mené “sans effusion de sang”, comme se plaisait à le souligner “MDC”.
Son purisme révolutionnaire — haro sur les corrompus et les trafiquants de drogue — aura séduit un temps les Candides, prompts à l'élever à la dignité de fils naturel du Burkinabé Thomas Sankara. Foutaise. Le massacre de lundi offre à ce “forestier”, issue de l'ethnie minoritaire guerzé, l'occasion de donner la pleine mesure de ses “talents”.
“Je suis désolé, très désolé”
Pour preuve, les propos incohérents tenus par un Dadis hagard et déboussolé peu après la tuerie. “Très franchement parlant, je suis très désolé, très désolé”, a-t-il ainsi ânonné dans la soirée sur les ondes de RFI. Peu après avoir confié ceci à la radio sénégalaise RFM: “Je voulais sortir pour aller... tellement que j'étais vraiment écoeuré... je préfère alors mourir, parce que je n'ai pas pris cette Nation pour un affrontement.”
(1) Lire le récit de Cheikh Yérim Seck (Jeune Afrique, 20 septembre 2009).
La dérive du sous-off' lui a déjà valu un terrible sobriquet : Idi Amin Dadis, référence au dément despote Ougandais disparu voilà six ans en son exil saoudien, ainsi qu'une popularité paradoxale de clown tragique dans les pays voisins, où les internautes se ruent sur le “Dadis Show” (1).
Il faut dire que “MDC”, reclus d'ordinaire au camp militaire Alpha-Yaya-Diallo, a plongé son pays, déjà bien mal en point, dans un chaos ubuesque. Colérique, vindicatif, il admoneste, blâme, révoque et humilie publiquement ministres, ambassadeurs et investisseurs, de préférence sous l'oeil des caméras de la Radio-Télévision guinéenne (RTG). Au palmarès de la brimade, l'infamant oscar revient sans nul doute à son Premier ministre, Kabiné Komara, rabroué et désavoué plus souvent qu'à son tour. Guetté par l'autisme, providence des marabouts de toutes obédiences, Dadis s'est peu à peu entouré d'une garde prétorienne où les parents guerzés côtoie les crocodiles galonnés.
Le Quai d'Orsay a comme il se doit condamné avec “la plus grande fermeté” le massacre de Conakry. Reste que l'ancienne puissance coloniale n'est pas plus en Guinée qu'au Gabon, en Mauritanie ou au Niger, exempte de griefs.
Si la France officielle a maintes fois invité le satrape en treillis à respecter sa parole, donc à s'effacer à l'heure des urnes, des entremetteurs très en cour à l'Elysée ont là encore parasité le message. A commencer par l'ineffable Patrick Balkany, intime de Nicolas Sarkozy, dont le bêtisier africain s'enrichit de mois en mois. “La candidature de Moussa Dadis Camara, a ainsi décrété le maire UMP de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), cité par guinee24.com, ne pose pas de problème. C'est un citoyen guinéen comme les autres. Ce qui est important, c'est le respect de la forme. La régularité. La transparence des élections.” Jugement livré au “ministre d'Etat” Boubacar Barry, ami d'enfance de “MDC”et membre d'une délégation reçue à Paris à la mi-septembre, un temps conduite par le général Sékouba Konaté. Lequel Konaté, n°2 de la junte et détenteur du portefeuille de la Défense, a verrouillé l'appareil sécuritaire du “système Dadis”.
Il y a plus grave: déjà fort peu inspiré sur les fronts mauritaniens ou gabonais, le secrétaire général de l'Elysée Claude Guéant a lui aussi traité les envoyés de Conakry avec beaucoup d'égards. Au point de recevoir en audience le même Konaté. Simple fait du hasard? Le groupe de Vincent Bolloré, l'un des capitaines d'industrie préférés de la Sarkozye, persiste à guigner la concession du terminal portuaire de Conakry. Ecarté en mars 2008 au profit de Getma International, Bolloré aurait selon La Lettre du Continent fait parvenir un plaidoyer pro domo de trois pages à l'incoutournable Konaté, lors de sa récente escale sur les bords de Seine.
On connaissait le dadaïsme, défi artistique aux conventions artistiques et littéraires. Voici que, pour son malheur, la Guinée découvre le “dadisme”.
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