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Guinée : Dadis court-il à sa perte ?


Gabon Eco & L'Observateur du Burkina Faso
28 septembre 2009

C'était à en rêver, et les premiers moments le furent presque. C'est en sauveur qu'une partie non négligeable de Guinéens, voire des pays de la sous-région et la communauté internationale ont accueilli l'avènement du capitaine Dadis Camara et de ses amis de la junte militaire au pouvoir depuis le 23 décembre 2008 à Conakry.

Avec le défunt colonel Lansana Conté, le pays n'avait cessé de faire du surplace en dépit de ses grandes potentialités économiques. Ce château d'Afrique de l'Ouest a toujours manqué de leaders capables d'impulser un bien-être pour la population.

D'abord, ce fut Ahmed Sékou Touré, le premier président, qui a occupé le devant de la scène de 1958 à 1984 par des discours fleuve où il clouait à longueur de journée « l'impérialisme et ses valets locaux » et qui n'avait que la terreur comme système de gouvernement.

Le contradicteur du général de Gaulle en 1958 était plus occupé à détecter les comploteurs ou prétendus tels et à les faire fusiller ou envoyer mourir par suite de diète noire au tristement célèbre Camp Boiro que, même un tant soit peu, des leviers de l'économie. Ceux qui pouvaient encore fuir le pays n'ont pas hésité à aller voir ailleurs pour au moins sauver leur peau.

Ainsi, avec Sékou Touré, ce fut 26 ans de perdu. A sa mort le 26 mars 1984 à Cleveland dans l'État d'Ohio aux USA de suite d'une chirurgie cardiaque, un de ses hommes liges, en l'occurrence le colonel Lansana Conté, ne s'est embarrassé d'autres formes de convenances — en dépit du deuil national qui avait été décrété — pour perpétrer un coup de force et prendre le pouvoir au débonnaire président par intérim, Lansana Béavogui.

Officier sac au dos, avec de grandes carences de culture politique, le nouvel homme fort manquait de vision pour son pays et son leadership était presque nul. Il géra le pays comme on le fait pour une épicerie de quartier. A sa mort le 22 décembre 2008, il aura passé 24 ans à la tête de l'Etat, sans même que les analystes ne retiennent de lui la moindre réalisation tangible pour son pays qui en a pourtant tant besoin.

Conséquence : 24 autres années de perdu pour le développement et le progrès de la Guinée. Du célèbre NON du 28 septembre 1958 de l'employé des postes qu'était Ahmed Sékou Touré, au 22 décembre 2008, date de la mort du grabataire Lansana Conté, la Guinée aura perdu 50 ans. Et 50 ans, c'est trop ! Même pour un pays !

Après s'être emmitouflé dans ses habits neufs de sauveur, le capitaine Dadis Camara, qui aurait eu tout intérêt à organiser des élections propres et partir (quitte à se faire plébisciter peu après tel un ATT au Mali) est en train de glisser dangereusement mais inéluctablement vers un régime autoritaire tel que les Guinéens l'ont vécu sous le tortionnaire Sékou Touré et avec le grabataire de Wawa pendant longtemps, Lansana Conté. Plus que tout, ce sont les dérapages verbaux, les multiples improvisations du nouveau maître de Conakry qui donnent du tournis.

Au Camp Alpha Yaya Diallo, le quartier général du capitaine Moussa Dadis Camara depuis le putsch du 23 décembre 2008, tout se passe dit-on à partir de 23 heures. Les ministres arrivent les uns après les autres, le pas alerte. Ils attendront des heures durant comme des mendiants leur patron de président dont on raconte qu'il ne ferme pas l'œil de la nuit pour parer à toute éventualité, même à un coup de force.

Ainsi, intrigants de tout poil, membres du gouvernement et présidents d'institutions se bousculent au portillon, dans un cafouillage indescriptible pour un hypothétique entretien avec le maître des lieux. Ce qui a fait dire à certains que pendant que partout l'heure est à la bonne gouvernance, Dadis, lui, a inventé la « non-gouvernance ».

C'est dans cette ambiance que le nouvel homme fort de Conakry tente, vaille que vaille, de faire acte de candidature à la présidentielle du 31 janvier 2010. Mais en Guinée, les forces vives n'entendent aucunement se laisser compter et se disent déterminées à s'opposer par tous les moyens à cette candidature.

Elles n'excluent d'ailleurs pas à recourir à la rue comme nous l'avons vu la semaine écoulée à Labé dans le Fouta-Djalon qui passe pour être le fief de l'opposition guinéenne où des milliers de manifestants sont sortis pour dire NON à la probable candidature de ce capitaine, autoproclamé président de la République.

Pour un homme qui se dit honnête et qui dit respecter la parole donnée, cette candidature annoncée est presque une forfaiture. Décidément, la parole n'a aucun sens pour certains, ce qui se paye, bien de fois, au prix fort. On se souvient que tout comme Dadis aujourd'hui, le général Robert Guéhi en Côte d'Ivoire avait juré la main sur le cœur n'être venu au pouvoir que pour balayer la maison et s'en aller. N'ayant pas respecté sa promesse, il a connu naturellement cette fin tragique.

On se souvient que Dadis également à son arrivée aux affaires en décembre 2008, n'avait cessé de répéter, à qui voulait l'entendre, n'être aucunement intéressé par les lambris du pouvoir et que ni lui ni les autres membres de la junte ne se porteraient candidats à la prochaine présidentielle. Mais quelques jours après son accession à la magistrature suprême, bien d'indices indiquaient que Dadis ne tiendrait pas parole.

En effet, au lieu de se préoccuper à une organisation transparente des élections et quitter le pouvoir en héros, le successeur du général Conté s'est engagé, avec une certaine désinvolture, dans de grands chantiers qui sont, quoi qu'on dise, des oeuvres de longue haleine. Ainsi en est-il de cette nébuleuse lutte contre la corruption et les « narco-trafiquants » comme Dadis se plaît à appeler ces marchands de drogue qui ont fini d'ankyloser l'appareil politico-administratif de la Guinée.

Même lâché par l'Union africaine qui l'a sommé de notifier par écrit que ni lui ni un autre membre de la junte ne serait candidat à la prochaine présidentielle, sous peine de gel de financement pour son pays, Dadis semble ne pas en démordre : il sera candidat car, dit-il, « ce n'est pas la communauté internationale qui m'a mis là où je suis, c'est le peuple guinéen, et c'est à lui de décider ». Une phrase qui ne laisse aucun doute sur ses réelles ambitions. Des ambitions qui risquent pourtant de le perdre.