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Un cauchemar qui n'en finit pas

Courrier International
30.09.2009

Deux jours après le déchaînement de violence contre des manifestants rassemblés dans un stade de Conakry pour dénoncer la possible candidature du chef de la junte à l'élection présidentielle de janvier 2010, des éléments “incontrôlés” de l'armée continuent leurs exactions.

Pour ce qui concerne les pertes en vies humaines, on parle désormais de plus de 150 morts. Pour l'instant. Car, de toute évidence, on devra bientôt réviser le bilan du carnage du 28 septembre à la hausse. Sans compter les violences et autres exactions de toutes sortes : les viols, les maltraitances, les pillages, les humiliations... et on est obligé d'en passer. Et on ne trouve pas de termes suffisamment forts pour qualifier à sa juste mesure ce qui s'est produit en Guinée en cette journée noire du 28 septembre. Elle restera gravée en caractères sombres dans la mémoire de l'histoire guinéenne.

Car elle scelle une époque et ouvre sans doute une nouvelle ère. Le bras de fer qui opposait ouvertement la junte du capitaine Dadis aux forces vives de la nation guinéenne aura débouché sur des événements tragiques. Jusque-là, on s'était contenté de bander les muscles et de proférer des menaces en termes voilés. Mais, à présent, tout est d'une limpidité d'eau de roche. Dadis et sa bande sont disposés à rester au pouvoir, quel qu'en soit le prix, fût-il en vies humaines et en honneur bafoué. Et ils commencent sans doute par marcher sur des cadavres. On ne devrait pas s'attendre à les voir s'arrêter en si bon chemin. Mais, à y voir de près, cette tuerie du stade de Conakry consacre des défaites à répétition du capitaine président. Primo, elle administre la preuve par l'absurde que Dadis n'aura pas réussi à réformer une armée guinéenne longtemps accoutumée aux méthodes sanglantes, brutales et barbares du général Conté, à qui il a succédé à la tête de l'Etat.

Secundo, le président Dadis Camara, sans doute pour se dédouaner et minimiser le sinistre rôle de ses militaires dans l'attaque violente contre des civils aux mains nues, parle volontiers d'éléments “incontrôlés” au sein de son armée. Mais cela ne suffira sans doute pas pour l'absoudre. Bien au contraire, il fournit lui-même la preuve qu'il ne maîtrise pas ses hommes. Auquel cas, lui et ses hommes constituent assurément un danger pour la nation guinéenne. Tertio, Dadis, pour sa propre défense, se sent “désolé” et parle d'événements “dramatiques”. Stratégie pathétique sans doute mais bien puérile. On ne peut pas, alors qu'on se présente comme le chef suprême d'une armée, faire usage de mots faciles pour faire passer par pertes et profits ces victimes directes et collatérales de la barbarie aveugle d'une armée qui, après tout, n'aura fait qu'obéir aux ordres. L'aveuglement de ses éléments aura fait le reste. Dadis, qu'il ait été présent au stade ou non, porte la responsabilité morale de ce massacre de civils, hommes, femmes et enfants guinéens. Et ce péché n'est pas véniel.

Reste à savoir ce qu'il adviendra de la Guinée. Car, a priori, et en dépit de toutes les dénégations du chef de la junte, on ne peut manquer de voir dans ce carnage un message clair lancé à l'opposition et, au-delà, à la communauté internationale dans son ensemble. Dadis et ses hommes sont là, aux commandes, et entendent y rester. On l'avait d'ailleurs soupçonné, depuis un certain temps déjà : des indices se multipliaient qui donnaient à penser que le capitaine président n'était pas venu pour partir. Et on espérait qu'un jour l'Histoire donnerait tort à l'ensemble de ses “détracteurs”. Lui-même avait promis, juré, qu'il n'était en rien intéressé par la permanence au pouvoir. De toute évidence, en se faisant violence. Mais le naturel est revenu. Malheureusement, de la plus mauvaises des manières. Sous quels auspices s'annoncent les relations futures qui lieront l'armée et la nation guinéenne ? Au regard de ce qui vient de se passer, on peut présager qu'à tout le moins elles ne seront pas de confiance. Ailleurs, dans d'autres pays, c'est la Grande Muette qui encadre le peuple lors de ses manifestations de protestation. A Conakry, les militaires auront purement et simplement tendu un guet-apens mortel à des civils sans défense. Cette “lâcheté” des hommes en treillis ne s'effacera pas d'un coup de baguette magique. Les commanditaires de la sale besogne peuvent enfin se délecter, mais ils peuvent aussi se convaincre d'une chose. Ils auront sans doute brisé de l'homme, ce n'est pas sûr qu'ils aient détruit des idées.

L'opposition guinéenne, en maintenant malgré tout sa décision de manifester sa colère, en dépit de l'interdiction de la junte, savait-elle que son initiative s'achèverait dans un bain de sang ? On peut en douter. Elle aura péché en n'obtempérant pas à la décision légale, sans doute. Mais cela ne justifie en rien l'incommensurable brutalité dont ont été victimes des Guinéens qui, après tout, ont quand même le droit de penser que Dadis Camara leur a menti sur toute la ligne quant à ses réelles intentions. Et ce depuis son arrivée au pouvoir, en décembre 2008. Et, au final, se pose la grande question : a-t-on moralement le droit d'autoriser un tel massacre pour assouvir l'ambition d'un homme ? En tout état de cause, Dadis se sera révélé sous ses vraies couleurs. Elles sont voyantes, écarlates, rouge sang, et les mains du capitaine sont désormais teintes de la même couleur.

Pauvre Guinée, décidément. Après les vingt-six années féroces d'un Sékou Touré vinrent les vingt-quatre années sombres du général Conté. Dadis, lui, n'a pas encore bouclé sa première année, mais, à supposer qu'il continue à ce rythme, il dépassera bientôt ses deux prédécesseurs par la droite. Implacable loi des séries qui s'acharne sur un pays décidément bien à plaindre.