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L'armée tire et provoque un bain de sang en Guinée


Le Monde
29.09.09

Journée sanglante à Conakry, lundi 28 septembre. Des dizaines de manifestants ont été tués dans la capitale guinéenne par les militaires soutenant la junte au pouvoir depuis le 23 décembre 2008. Et plusieurs dirigeants politiques ont été passés à tabac lors du meeting pacifique qu'ils organisaient pour protester contre l'éventuelle candidature du capitaine putschiste, Moussa Dadis Camara, à l'élection présidentielle prévue, en principe, pour le début de l'année 2010.

“C'est une boucherie. Les bérets rouges (les troupes d'élite de l'armée) étaient venus avec la volonté de tuer, nous, les hommes politiques et les manifestants. C'est sans précédent”, a témoigné l'ancien premier ministre (1996-1999) Sidya Touré, président de l'Union des forces républicaines (UFR), joint lundi soir au téléphone dans la chambre de la clinique Pasteur de Conakry, où il était soigné, “sous la garde de militaires”, pour des contusions à la tête provoquées par un coup de crosse.

Un autre ancien chef de gouvernement, Cellou Dallein Diallo, a été blessé aux côtes. Les deux hommes, traités dans le même établissement hospitalier, avaient tout d'abord été arrêtés par les militaires qui les avaient emmenés dans le camp Alpha Yaya Diallo, le siège de la junte, avant de les transporter à la clinique.

Dans un entretien diffusé mardi matin par Radio France Internationale (RFI), le capitaine Camara a toutefois promis qu'ils “sortiront librement”. Mais lundi soir, plusieurs personnalités de la société civile préféraient se cacher hors de chez eux, de peur d'être arrêtés.

La manifestation prévue de longue date avait été interdite au dernier moment par la junte. Bravant cette interdiction — et la pluie —, des dizaines de milliers de personnes étaient descendues des quartiers populaires, tôt lundi matin, en direction du stade du 28-Septembre aux cris de “Non à Dadis !”, “A bas l'armée au pouvoir !”.

“Ils ont déferlé en plusieurs vagues incendiant un commissariat au passage. C'était une véritable marée humaine, plus grande qu'en 2007”, raconte au Monde un témoin, Aziz Diop, le directeur du Conseil national des organisations de la société civile guinéenne.

En janvier 2007, un mouvement de grève avait été noyé dans le sang par le régime finissant de Lansana Conté, au pouvoir de 1984 jusqu'à sa mort en décembre 2008. Plusieurs centaines de morts avaient été dénombrés.

Les circonstances du drame de lundi restent confuses. “Les gens affluaient au stade, ils ont défoncé la porte pour y rentrer. Vers 10 heures, le mouvement est devenu incontrôlé, débordant les forces de l'ordre. Puis elles ont tiré, tiré”, témoigne Aziz Diop. En fin de journée des tirs sporadiques trouaient le silence d'une ville paralysée, quadrillée par des patrouilles de l'armée.

Confusément, sur les ondes de RFI, le “capitaine Dadis” a évoqué “un accrochage, une bousculade”. “On m'a dit que des gens ont tiré, mais je n'étais pas sur le terrain. (…) J'attends les statistiques. Qui a tiré ? Combien de blessés et de morts ? C'est dramatique, je suis désolé, très désolé.”

D'autres témoins affirment que les “bérets rouges, une unité commandée par Claude Pivi, dit “Terminator“, proche de Dadis, ont débarqué comme un commando et tiré sur tout ce qui bougeait, parfois à bout portant”, confie au Monde un témoin sous couvert d'anonymat. “J'ai dénombré 27 corps, avec des traces de balles, couchés dans le stade”, affirme quant à lui Hamza, un journaliste. “Des femmes ont été violées par des soldats, sur le stade. Je les ai vus”, affirme de son côté l'ex-premier ministre Sidya Touré.

Selon un décompte établi auprès des hôpitaux par des agences de presse, au mois 90 personnes ont été tuées. Mais le bilan pourrait être beaucoup plus lourd. Une source médicale de l'hôpital Ignace Deen de Conakry, citée par l'AFP, affirme que des camions militaires sont venus pour “ramasser des dizaines de corps et les emmener vers une destination inconnue”. Un membre de la Croix-Rouge locale évoque “la volonté des militaires de dissimuler les corps des victimes”. Ce ne serait pas une première : en 2007, aucune enquête locale sérieuse n'avait établi les circonstances et les responsabilités des responsables des tueries.

Choquée par la violence subite de la répression de lundi, l'opposition redoute la suite des événements. “C'est un tournant. Le pays est devenu ingouvernable alors que les gens ont montré leur détermination : ils sortent de plus de quarante ans de dictature militaire (des présidents Sékou Touré puis Lansana Conté). Ils n'en veulent plus”, explique Boubacar Biro Barry, conseiller à l'Intercentrale syndicale guinéenne.

Plus que jamais, l'opposition exige que les militaires mettent au plus vite un terme à cette transition, devenue de moins en moins démocratique, conduite par la junte militaire du Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD). Les opposants unis essentiellement par “l'anti-Dadis” réclament l'organisation d'une élection présidentielle libre et démocratique. Ce serait une première dans l'histoire de ce pays devenu indépendant de la France en 1958.

Mais, mardi matin, Dadis Camara laissait toujours planer le doute sur son éventuelle candidature. Il a annoncé vouloir organiser une tournée de “toutes les préfectures du pays” pour sonder le coeur des Guinéens. “Une partie d'entre eux veulent le ‘président Dadis’, d'autres non. C'est la démocratie”, a-t-il expliqué. Mais pour l'opposition, cette “démocratie” sortie des casernes, entachée de la tuerie de lundi, porte surtout les ferments d'une guerre civile.