webGuinée/Régime du Président Alpha Condé
Reporters sans frontières
Niger / Guinée
« Une page se tourne »
Espoirs pour la liberté de la presse au Niger et en Guinée
Rapport de mission. Juillet 2011
Enquête menée par Ambroise Pierre, Bureau Afrique.
Avec Gilles Lordet, coordinateur de la recherche, en Guinée
Jean-Louis Saporito, journaliste, membre du conseil
d'administration de Reporters sans frontières, au Niger
Présidents Alpha Condé (Guinée) et Mahamadou Issoufou (Niger)
Sommaire
- Des paysages médiatiques libres et pluralistes
- La liberté de la presse au temps des transitions
- Sékouba Konaté et Salou Djibo, deux promoteurs de la liberté de la presse
- Même volonté chez les présidents actuels ?
- Les défis d'aujourd'hui et de demain
- Conclusion
- Recommandations
En Guinée, le Conseil national de transition (CNT) que présidait le général Sékouba Konaté a conduit à l'organisation, en 2010, de la première élection libre et transparente de l'histoire de la Guinée, que l'opposant historique Alpha Condé a remportée. Au Niger, le coup d'Etat militaire du 18 février 2010 a sonné le glas du « coup d'Etat institutionnel» orchestré par le président Mamadou Tandja pour se maintenir au pouvoir, et a ouvert la voie à une transition, menée par le Conseil suprême pour la restauration de la démocratie (CSCSRD), ayant débouché sur l'élection, début 2011, de Mahamadou Issoufou.
En Guinée et au Niger, où Reporters sans frontières s'est rendue respectivement du 22 au 27 mai 2011 et du 26 au 30 juin 2011, la transition démocratique a été marquée par une nette amélioration de la liberté de la presse et a fait naître de sérieux espoirs pour la situation des médias et la condition des journalistes. C'est cet espoir que l'organisation a voulu mesurer.
A Conakry, la délégation de Reporters sans frontières a été reçue par des responsables des ministères de la Communication et de l'Administration du territoire et de la décentralisation, par le ministre de la Justice, Maître Christian Sow, et par le secrétaire général du gouvernement, Fodé Kissi Camara.
La délégation a également rencontré le collège du Conseil national de la communication (CNC), le président de la Cour suprême, Mamadou Sylla, la présidente du Conseil national de transition (CNT), Hadja Rabiatou Sera Diallo, un représentant de l'Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG, opposition), ainsi que les principaux acteurs de la presse et plusieurs associations de journalistes, notamment l'Association guinéenne des éditeurs de la presse indépendante (Agepi), l'Union des radios et télévisions libres de Guinée (Urtelgui) et l'Association guinéenne de la presse en ligne (Aguipel).A Niamey, les représentants de l'organisation ont notamment été reçus par le Premier ministre, Brigi Rafini, le ministre de la Communication, Salifou Labo Bouché, le ministre de la Justice, Marou Amadou, l'ancien président du Conseil suprême pour la restauration de la démocratie (CSCSRD) et chef d'Etat pendant la transition, le général Salou Djibo, et plusieurs diplomates en poste au Niger.
Ils se sont également entretenus avec des représentants du parti Mouvement national pour la société de développement (MNSD, opposition), et ont rencontré les responsables de l'Observatoire national de la communication (ONC, instance de régulation), de l'Observatoire nigérien indépendant des médias pour l'éthique et la déontologie (Onimed, instance d'autorégulation), et de la Maison de la presse. Enfin, ils ont visité l'Institut de formation aux techniques de l'information et de la communication (IFTIC) ainsi que la grande majorité des médias de Niamey.
Des paysages médiatiques libres et pluralistes
La Guinée compte, en 2011, plus d'une trentaine de journaux, autant de radios privées, deux chaînes de télévision privées et plus d'une cinquantaine de sites Internet. Ces médias ne sont pas concentrés uniquement dans la capitale, Conakry, mais ont également des antennes à l'intérieur du pays.
Bénéficiant d'une libéralisation des ondes récente, la radio est en Guinée le média le plus populaire, comme c'est le cas dans beaucoup de pays d'Afrique. Les émissions interactives comme « Les Grandes Gueules » sur Espace FM, « Zone libre » sur Nostalgie, « La grogne » sur Soleil « Société débat » sur Familia, et « Défoulez-vous » sur Sabari FM connaissent un fort succès.
Libéralisé depuis une vingtaine d'années, le secteur de la presse et de la communication au Niger se caractérise par sa diversité. Le pays compte une cinquantaine de publications hebdomadaires et mensuelles diffusée surtout dans les milieux urbains, une trentaine de stations de radio, sept chaînes de télévision (deux publiques et cinq privées) et à peu près cent vingt radios communautaires. La presse en ligne, en revanche, demeure presque inexistante.
Dans les deux pays, les médias jouissent d'une grande liberté de ton. Au Niger, la presse s'apparente même à une presse d'opinion. Les organes de presse écrite, notamment les titres satiriques tels que le très emblématique Le Lynx en Guinée ou La Griffe au Niger, pratiquent la critique, voire la caricature.
Mais l'environnement économique des médias reste difficile. Au Niger, un seul quotidien (Le Sahel, public) a les moyens de paraître régulièrement. Pratiquement aucun journaliste ne dispose d'un contrat professionnel, il n'existe pas de salaire minimum.
Enfin, les clivages ethniques traversent les médias guinéens. Hassane Kaba, président de l'Association guinéenne des éditeurs de la presse indépendante (Agepi), estime :
« Ici, la lecture d'un article commence par le bas. On regarde la signature. Qui est l'auteur ? A quelle ethnie appartient-il ? » Cette situation n'a pas d'équivalent au Niger.
La liberté de la presse au temps des transitions
L'accession du général Sékouba Konaté au pouvoir en Guinée, en décembre 2009, et le coup d'Etat militaire du 18 février 2010, au Niger, ont mis fin à une période de dictature et d'anarchie politique. Les transitions menées, dans le premier pays, par le Conseil national de transition (CNT) et, dans le second, par le Conseil suprême pour la restauration de la démocratie (CSCSRD) ont été des périodes favorables à la liberté de la presse.
De nouveaux textes dépénalisant les délits de presse
Dans les deux pays, les cadres juridiques ont été entièrement révisés, donnant naissance à de nouveaux textes protégeant la liberté de la presse, redéfinissant les attributions des organes de régulation des médias et les modes de désignation de leurs membres, et garantissant l'accès à l'information publique. Les nouvelles lois ont également consacré le principe de la dépénalisation des délits de presse.
Dans l'avant-propos du recueil de lois et règlements sur la presse et la communication au Niger, publié par l'Observatoire national de la communication, Abdourahamane Ousmane, ancien président de la Maison de la presse du Niger et actuel président de l'ONC, qualifie de « révolutionnaire » la transition assurée par le CSCSRD. Il souligne l'importance des réformes juridiques et institutionnelles effectuées à l'époque.
Or, Abdourahamane Ousmane poursuit : « Le premier pilier de cet édifice [juridique et institutionnel] a été sans conteste la tenue des Etats généraux de la presse, en mars 2010, avant même la mise en place de la plupart des institutions de la transition.»
Les participants aux Etats généraux de la presse ont validé un avant-projet de texte, qui a servi plus tard de base à l'adoption de l'ordonnance 2010-035 du 4 juin 2010 portant régime de la liberté de la presse. De ce fait, le Niger est entré de plain-pied dans l'ère de la dépénalisation des délits de presse».
L'ordonnance n° 2010-35 du 4 juin 2010, portant régime de la liberté de la presse, supprime en effet les peines de prison pour les journalistes en cas de diffamation ou de propagation de fausses nouvelles, les remplace par des sanctions plus justes et adaptées, et introduit le principe de l'autorégulation.
A côté de ce texte, l'ordonnance n° 2010-18 du 15 avril 2010, portant composition, attributions et fonctionnement de l'Observatoire national de la communication (ONC), crée un nouvel organe de régulation des médias, en lieu et place du Conseil supérieur de la communication (CSC).
Enfin, l'ordonnance n° 2011-22 du 23 février 2011, portant Charte d'accès à l'information publique et aux documents administratifs, complète l'arsenal législatif adopté pendant la transition. Ce document vise à améliorer la transparence et l'accès des citoyens à l'information publique. Il doit contribuer à modifier à la fois la culture de l'administration, qui a tendance à cultiver le secret, et celle des journalistes, incités à rompre avec le « journalisme assis ».
En Guinée, un travail similaire a été effectué par la « Commission Communication » du Conseil national de transition (CNT). Il apparaissait important d'adapter le cadre juridique au nouvel environnement médiatique, de combler le vide juridique sur la presse électronique, et d'en finir ainsi avec des textes dépassés (datant de 1991) et liberticides.
Le principe de la liberté de la presse est désormais inscrit dans la Constitution guinéenne.
La loi organique L/2010/002/CNT du 6 mai 2010, portant sur la liberté de la presse, consacre la dépénalisation des délits de presse. Le texte prévoit des amendes, parfois lourdes, mais n'impose plus de peines de prison pour les journalistes coupables de délits de presse. Il prend désormais en compte la presse audiovisuelle publique et privée et la presse en ligne. Il apporte également des précisions fondamentales au délit de diffamation, et assure la liberté de création des journaux, en stipulant que leur gestion doit être confiée à des professionnels.
La loi organique L/2010/03/CNT du 21 mai 2010, portant attributions, organisation, composition et fonctionnement de la Haute Autorité de la Communication (HAC), prévoit la création d'un nouvel organe de régulation des médias. Celui-ci est composé de onze membres, contre neuf dans l'ancien Conseil national de la communication (CNC). Cinq d'entre eux sont nommés par des associations de presse et le président est désormais élu par ses pairs, alors qu'il l'était directement par le président de la République auparavant. La HAC délivre les cartes de presse, en concertation avec les associations des médias, et est consultée par le ministre de la Communication pour les nominations et les sanctions des responsables de médias publics. La HAC se concerte avec le ministère de la Communication et celui de l'Enseignement supérieur concernant la formation professionnelle des journalistes.
Enfin, une dernière loi sur l'accès à l'information a été adoptée en décembre 2010. Ces trois lois ont été promulguées par le général Sékouba Konaté pendant la transition. Pourtant, depuis que le président Alpha Condé a été élu à la tête de l'Etat, aucune n'est encore appliquée.
Dans les deux pays, les transitions sont survenues à des moments où la liberté de la presse connaissait des heures sombres. En Guinée, la mort du président Lansana Conté, le 22 décembre 2008, a permis au capitaine Moussa Dadis Camara d'accéder au pouvoir (décembre 2008 — décembre 2009). Chacun garde à l'esprit le choc du 28 septembre 2009, lorsque les militaires ont violemment réprimé, dans le stade de Conakry, un rassemblement de militants de l'opposition, faisant des centaines de victimes et des milliers de blessés.
Ce jour-là, plusieurs journalistes, témoins gênants des exactions, avaient été inquiétés, frappés, parfois même menacés de mort. Une « liste noire » avait été dressée et une chasse aux « journalistes apatrides », accusés de « vendre la Guinée » à la communauté internationale, avait été organisée par des militaires fidèles au capitaine Dadis. Plusieurs correspondants de la presse étrangère, et certains de leurs confrères de la presse locale — ceux de la presse en ligne notamment — avaient dû fuir le pays.
Au Niger, la fin du régime de Mamadou Tandja a également été marquée par de nombreuses violations de la liberté de la presse. Ainsi plusieurs journalistes ont effectué des séjours en prison et certains médias, comme le groupe de presse Dounia, basé à Niamey, et la radio Sahara FM, émettant depuis Agadez, ont été harcelés et parfois suspendus par le Conseil supérieur de la communication (CSC), l'organe de régulation dirigé à l'époque par le très fidèle tandjiste Daouda Diallo.
Des processus électoraux globalement réussis
Dans les deux pays, la presse a joué son rôle pendant le processus électoral et les institutions du secteur des médias ont été déterminantes.
En Guinée, il convient de saluer les conséquences positives de la « synergie des radios » et le rôle qu'a joué la Maison de la presse dans la communication électorale. Cette dernière s'est imposée comme un lieu incontournable du processus électoral en accueillant des dizaines de conférences de presse, en particulier celles de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), chargée de proclamer les résultats du scrutin.
Gén. Sangaré, président CENI,
annonce les résultats provisoires du
second tour de l'élection présidentielle
à la Maison de la presse de Conakry
Photo : AFP/Issouf Sanogo
Au Niger, la presse a joué un rôle pendant le processus électoral salué par la mission d'observation de l'Union européenne : « Une mention particulière mérite d'être réservée au rôle joué par les radios communautaires qui, malgré le manque endémique de moyens, ont contribué à diffuser l'information dans les régions les plus éloignées du pays. »
Il convient également de rendre un hommage particulier à l'Observatoire national de la communication, dont le rôle a été crucial pour le bon déroulement de la campagne dans les médias.
Les décisions 002/2011 et 003/2011 du 12 janvier 2011 ont fixé les conditions de production, programmation et diffusion des messages gratuits des candidats et partis politiques. Une attention particulière a été portée à la formation des journalistes couvrant le processus électoral. Des conférences et des modules de formation sur la responsabilité du métier de journaliste, en parallèle à ceux proposés également par la Maison de la presse, ont été organisés pendant et entre les deux campagnes.
Enfin, l'ONC a toujours opéré dans la plus grande transparence et de manière participative. L'institution a montré une ferme volonté de dialogue avec les partis politiques sur la définition des différents formats proposés pour la propagande électorale. L'ordre de passage dans les médias publics a été déterminé par tirage au sort, en présence des représentants des candidats et partis politiques participant au scrutin.
La synergie des radios en Guinée, une expérience réussie
L'idée de mettre en place une synergie des radios à l'occasion de l'élection présidentielle est née à l'issue d'un séminaire de formation organisé par Radio France Internationale (RFI).
L'initiative, financée par la coopération américaine (USAID) et l'ambassade de France, prévoyait le déploiement, sur l'ensemble du territoire guinéen, d'une centaine de journalistes d'une vingtaine de radios privées. Un pool technique d'une douzaine de journalistes et techniciens a assuré le relais au studio, à Conakry.
Le 27 juin 2010, pour le premier tour de l'élection présidentielle, puis le 7 novembre, pour le second tour, « la radio des radios » a émis de 7 heures du matin à minuit, en synchronisation avec toutes les radios privées.
La synergie a donné la possibilité aux auditeurs d'être informés en direct de tous les événements majeurs qui se sont déroulés sur l'ensemble du territoire national, ce qu'aucune radio privée à elle seule n'aurait pu faire, à cause notamment du nombre réduit de son personnel et de l'insuffisance de ses moyens techniques.
L'Association guinéenne des éditeurs de la presse indépendante (Agepi), l'Association guinéenne de la presse en ligne (Aguipel) et l'Union des radios et télévisions libres de Guinée (Urtelgui) travaillent désormais à l'idée d'une synergie dans un contexte multimédia pour la couverture des prochaines élections législatives.
Quelques incidents cependant
En Guinée, le climat d'insécurité généré par les violences postélectorales de novembre 2010 a paralysé bon nombre de médias pendant plusieurs jours, avant que l'état d'urgence ne parvienne à ramener le calme. Le 15 novembre 2010, à 9 heures du matin, plusieurs dizaines de manifestants favorables à l'Alliance Cellou Dalein Diallo Président, se sont regroupés devant le groupe Sabari FM — Le Diplomate pour en saccager les locaux. Les militants, également aux prises avec la Force de sécurisation du processus électoral dans la zone, accusaient les responsables du groupe de médias et leurs journalistes de faire le jeu de l'Alliance Arc-en-ciel, favorable à Alpha Condé. Les manifestants se sont finalement ravisés suite à la médiation du propriétaire de l'immeuble, situé dans le quartier de Cosa, majoritairement habité par des Peuls, favorables à Cellou Dalein Diallo. Le groupe de médias avait été contraint de suspendre momentanément ses activités.
L'immeuble abritant le groupe de presse Sabari FM — Le Diplomate
devant lequel se sont rassemblés les manifestants
Au même moment, la plupart des journalistes de la ville restaient reclus chez eux, par peur d'être pris pour cibles par des militants politiques ou par les forces de sécurité.
Le seul incident survenu pendant la transition au Niger a été l'interpellation, le 20 septembre 2010, du directeur de publication du bihebdomadaire L'Evénement, Moussa Aksar. Arrêté dans la matinée, le journaliste a été interrogé par des éléments des renseignements généraux (RG, les services de renseignement du pays), avant d'être relâché environ douze heures plus tard, le même jour, vers 21 heures. Son arrestation faisait suite à certains commentaires que le journaliste avait émis lors d'une interview donnée à France 24. Selon lui, l'enlèvement de sept ressortissants étrangers (cinq Français, un Togolais et un Malgache) dans le nord du pays, à Arlit, était en partie dû aux défaillances des agents de sécurité nigériens. Une fois le journaliste relâché, le ministre de l'Intérieur lui avait présenté ses excuses.
Sékouba Konaté et Salou Djibo, deux promoteurs de la liberté de la presse
En Guinée comme au Niger, les transitions ont été portées par deux hommes, deux militaires, Sékouba Konaté et Salou Djibo, dont il faut saluer l'action. Tous deux ont conduit des transitions apaisées qui ont débouché sur l'organisation d'élections libres et transparentes, auxquelles ils ne se sont pas portés candidats. Tous deux ont permis à la liberté de la presse de faire un pas en avant.
En mai 2011, soit un mois après l'investiture de Mahamadou Issoufou, Salou Djibo est venu présenter l'expérience de la transition nigérienne lors d'une conférence de l'Organisation des Nations unies pour l'Afrique de l'Ouest, à Praia, au Cap-Vert, sur le thème « Elections et stabilité en Afrique de l'Ouest ». En une petite dizaine de points, l'ancien chef d'Etat nigérien a exposé les aspects qui lui semblaient nécessaires pour réussir une transition démocratique et organiser des élections libres et transparentes. Le troisième de ces points concernait la liberté des médias. « La presse doit être libre. Les autorités doivent laisser les médias s'exprimer et jouer leur rôle d'information du public et de contre-pouvoir. En outre, les candidats et partis politiques doivent avoir un accès équitable aux ressources de l'Etat. S'agissant de la presse, cela signifie que la couverture médiatique de leurs activités et de leur campagne doit être équilibrée », a-t-il déclaré.
Moussa Aksar,
dir. publication
L'Evénement
S'agissant du général Sékouba Konaté, le président de l'Union des radios et télévisions libres de Guinée (Urtelgui), Boubacar Yacine Diallo, qui était son conseiller en communication pendant la transition, écrit ceci : « Ministre de la Défense, pragmatique, le général Sékouba Konaté devenu cumulativement président par intérim, incarne parfaitement une nouvelle génération d'hommes d'Etat africains résolument démocrates. » Celui qui est désormais Haut représentant de l'Union africaine pour l'opérationnalisation de la Force africaine pour le soutien de la paix restera l'homme qui a organisé les premières élections libres de l'histoire de la Guinée. Il restera également celui qui a promulgué trois nouveaux textes de lois sur les médias, notamment celui sur la dépénalisation des délits de presse.
Même volonté chez les présidents actuels ?
En Guinée, plusieurs questions restent en suspens, suscitant des interrogations sur la volonté du gouvernement du président Alpha Condé de consolider la liberté de la presse.
La loi sur la liberté de la presse, celle portant création de la Haute Autorité de la Communication (HAC) et celle sur l'accès à l'information ont toutes les trois été promulguées par le général Sékouba Konaté, en juin et en décembre 2010. Elles attendent toujours d'être publiées au Journal officiel. Aucune n'est appliquée à ce jour.
Reporters sans frontières s'est efforcée de comprendre les éléments qui empêchent la mise en application de ces textes. Il apparaît que le blocage est consécutif à la fois à une maladresse de rédaction dans l'un des textes, à une erreur de procédure administrative et surtout à la mauvaise volonté des autorités politiques et judiciaires.
La loi portant création de la Haute Autorité de la Communication prévoit qu'un membre de cette institution soit nommé par le président de l'Assemblée nationale. Or, la Guinée n'a pas encore tenu d'élections législatives et n'a donc pas de président de l'Assemblée nationale. Le texte aurait dû prévoir une disposition transitoire telle que : « En l'absence d'Assemblée nationale, le président du Conseil national de transition nomme un membre au sein de la HAC ». Sans cette disposition transitoire, l'application de la loi se heurte effectivement à un obstacle.
L'application de la loi sur la liberté de la presse, elle, a été freinée par une erreur de procédure administrative. Le président de la Cour suprême, Mamadou Sylla, affirme que l'institution qu'il préside n'a pas visé le texte avant sa promulgation. La Cour suprême aurait pourtant dû le faire et affirmer la conformité de la loi à la Constitution du pays. C'est la marche à suivre pour une loi organique.
Le Conseil national de transition (CNT), qui a rédigé le texte de loi, estime avoir fait son travail en l'adressant au secrétariat général du gouvernement, qui devait lui-même le transmettre à Cour suprême pour contrôle de constitutionnalité. La loi sur la presse a été transmise au secrétariat général du gouvernement en même temps que la Constitution et le Code électoral. Ces deux textes ont bien été visés par la Cour suprême, mais pas la loi sur la liberté de la presse. Comment l'expliquer ?
Interrogé par Reporters sans frontières, le secrétaire général du gouvernement, Fodé Kissi Camara, a botté en touche et a invoqué tout à la fois le délai pour prendre connaissance des textes, les contraintes techniques et budgétaires pour apparaître au Journal officiel, et la nécessité d'attendre le vote de la loi de finance et le passage du Premier ministre devant l'Assemblée nationale pour commencer à travailler.
Même son de cloche chez Mamadou Sylla, le président de la Cour suprême. Interrogé sur les chances de voir ces lois enfin publiées au Journal officiel et appliquées, il répondait en mai 2011 : « On ne peut pas se passer de cette avancée. Je vous donne l'assurance que ce sera fait rapidement. » Mi-juillet, rien n'avait été fait.
En définitive, tout se passe comme si les autorités guinéennes choisissent et appliquent les lois à leur convenance. Pour cette raison, certains observateurs et acteurs du secteur des médias déchantent et en viennent à penser que ces nouvelles lois n'ont aucune chance d'être appliquées par le pouvoir actuel.
Au manque de volonté politique s'ajoute une cruelle méconnaissance des textes. Début 2011, le président Alpha Condé a voulu porter Martine Condé, sa soeur et ancienne directrice de la communication au sein de son équipe de campagne, à la tête de l'autorité de régulation des médias. Il l'a d'abord nommée à la tête de la HAC, reconnaissant de fait l'existence de ce nouvel organe. C'est seulement lorsqu'on lui a fait remarquer qu'il ne revenait plus au président de la République de nommer le président de cet organe — le président de la HAC doit être élu par ses pairs — que le chef de l'Etat a fait machine arrière et qu'il a confirmé Martine Condé, cette fois-ci à la tête du CNC, l'ancienne instance de régulation.
Quelle place le chef de l'Etat réserve-t-il à la presse locale dans le processus de changement qu'il promet pour la Guinée ? Nul ne le sait. Alpha Condé est perçu comme distant, voire méprisant, vis-à-vis de la presse nationale. Il n'a donné aucun signe pour contredire sa réputation et rassurer les journalistes.
Au Niger en revanche, Mahamadou Issoufou a déjà fait preuve de son respect pour le travail des médias et s'est publiquement engagé à défendre la liberté de la presse.
En tant que candidat au second tour de l'élection présidentielle, il a signé, le 5 mars 2011, la « Déclaration de la Montagne de la Table », un texte adopté en juin 2007 au Cap, en Afrique du Sud, qui promeut la liberté et l'indépendance des médias. Sollicité par plusieurs organisations, dont Reporters sans frontières, pour signer à nouveau cette déclaration en tant que chef d'Etat élu, le président Issoufou a déclaré y être favorable et a fait part de sa volonté d'être l'“avocat” de la liberté de la presse auprès de ses pairs africains.
Le 16 juillet 2011, face à un parterre de journalistes de la presse publique, privée et internationale, à l'occasion des 100 jours de son investiture comme président élu de la République, Mahamadou Issoufou a réaffirmé son attachement à la promotion de la liberté de la presse : « Le travail que fait la presse est important, cela me permet de m'adapter par rapport à la gestion du pouvoir. La presse joue un rôle de veille démocratique dans le pays ».
La déclaration de politique générale de son gouvernement, prononcée exactement un mois plus tôt, le 16 juin 2011, réserve une bonne place à la liberté de la presse. Dans ce texte, le Premier ministre Brigi Rafini écrit : « Concernant la liberté d'opinion et d'expression, je puis vous assurer que le gouvernement prendra des dispositions adéquates pour assurer : le respect de la loi dépénalisant le délit de presse ; l'appui financier de l'Etat aux organes de presse indépendants ; la professionnalisation du secteur et la préservation de l'éthique et de la déontologie du métier de journaliste ; la fourniture d'un service public de qualité par les médias publics ainsi que l'assainissement de leur gestion. »
Le 5 mai 2011, soit moins d'un mois après son investiture, Mahamadou Issoufou avait reçu le président et le vice-président de l'Observatoire national de la communication (ONC). Ces derniers lui avaient demandé que la charte d'accès à l'information soit publiée au Journal officiel. Le 23 mai, c'était chose faite. L'application du texte doit désormais prendre effet dans les six mois qui viennent.
Enfin, le ministère de la Communication travaille actuellement sur un projet de convention collective de la presse et sur l'ordonnance régissant la publicité au Niger.
Les défis d'aujourd'hui et de demain
Confirmer les avancées
En Guinée, Reporters sans frontières a constaté que les autorités utilisaient régulièrement l'argument de la « fragilité du tissu social » pour justifier leur méfiance vis-à-vis des médias, voire d'éventuelles mesures répressives. Certains médias se sont effectivement radicalisés depuis la tenue de l'élection présidentielle. « Je vois poindre des signes inquiétants », a confié le ministre guinéen de la Justice, Maître Christian Sow.
Au Niger, il s'agit de renforcer la dépénalisation des délits de presse. Depuis son adoption, en juin 2010, on observe malheureusement une inflation dans le dénigrement et les articles à caractère diffamatoire. « Nous avons favorisé la liberté de ton et de parole, mais la qualité de la presse a baissé », regrette le ministre de la Justice, Marou Amadou.
« Dépénalisation ne signifie pas liberté de calomnier, de dire ou d'écrire n'importe quoi et de s'en prendre impunément à des individus, rappelle Reporters sans frontières. La dépénalisation est un acquis à défendre, mais elle va de pair avec la responsabilité. » A ce titre, l'organisation salue la création de l'Observatoire nigérien indépendant des médias pour l'éthique et la déontologie (Onimed, instance d'autorégulation), un tribunal des pairs chargé de recevoir les plaintes contre les médias, de les instruire et de rappeler les journalistes aux règles d'éthique et de déontologie.
Les autorités rencontrées se sont cependant montrées rassurantes, affirmant ne pas vouloir remettre en cause la loi. Elles ont plutôt insisté sur le besoin de formation des journalistes et de renforcement de leur professionnalisme. « La liberté de la presse a de beaux jours devant elle, mais la qualité et le professionnalisme restent à conquérir », conclut le ministre nigérien de la Justice, Marou Amadou.
Prévenir de nouvelles violations de la liberté de la presse
En Guinée, les nombreux avertissements adressés aux médias par le CNC au cours des derniers mois pèsent comme une menace sur la profession. D'aucuns s'inquiètent que cette institution souhaite mettre au pas certains médias. La présidente du CNC s'en défend et affirme que l'organe est avant tout destiné à les protéger. Mais après avoir suspendu provisoirement la radio Familia, en février, pour « trouble à l'ordre public », le CNC a adressé un avertissement, début avril, à la radio Espace FM pour « violations répétées à l'éthique et à la déontologie dans son émission ‘Les Grandes Gueules ». La semaine suivante, il adressait un avertissement à la station Soleil FM. Le 21 juillet 2011, enfin, deux jours après l'attaque à l'arme lourde perpétrée contre la résidence privée du chef de l'Etat, Alpha Condé, le CNC a lancé « un appel aux médias, publics et privés confondus, de s'abstenir de tout commentaire pouvant mettre de l'huile sur le feu, pendant cette période très sensible de notre histoire ».
Palais du 25 août,
siège du CNC à Conakry
. Photo : RSF
Le 3 avril, plusieurs médias ont été empêchés par les forces de l'ordre de couvrir l'arrivée à Conakry du leader de l'UFDG, Cellou Dalein Diallo, candidat malheureux à l'élection présidentielle. L'équipe de Gangan FM et Gangan TV a été particulièrement visée. « Vous de Gangan, on va s'occuper de vous », leur ont lancé des policiers.
Le 30 mai, aux environs de 14 heures, une dizaine de bérets rouges, d'abord en civil puis en uniforme et armes au poing, commandée par un certain colonel Kongo, ont investi les locaux du groupe L'Indépendant — Le Démocrate, propriété de l'ancien ministre de la communication pendant la transition, Aboubacar Sylla, à la recherche du directeur de publication, Mamadou Dian Baldé. « Nous avons des questions à lui poser et des comptes à lui régler », auraient lancé les visiteurs, remontés contre un article paru dans le numéro 935 de L'Indépendant du 26 mai, intitulé « Hausse des salaires : les militaires se frottent les mains ». En l'absence du directeur de publication, les militaires ont menacé d'embarquer toutes les personnes présentes et de les « amener au camp », avant de se raviser. Un incident qui prouve que de vieux réflexes répressifs n'ont pas tout à fait disparu, au moins chez les militaires, et que la sécurité des hommes de médias n'est pas pleinement garantie, malgré ce qu'avait affirmé la présidente du CNC, Martine Condé, à Reporters sans frontières : « Nous avons réussi à calmer les forces de l'ordre. Elles ne se rendent plus dans les rédactions.»
Le 11 juin, le CNC a suspendu l'hebdomadaire privé Le Défi pour une durée de deux mois pour « manquement à l'éthique et à la déontologie », suite à un commentaire intitulé « Unité nationale : la folie de Facinet Touré ». L'auteur du commentaire, Bah Thierno Mamadou, directeur de publication du journal, avait demandé le renvoi du général Facinet Touré du poste de médiateur de la République pour ses propos, tenus en mai, dénonçant le monopole économique des Peuls et soutenant leur discrimination politique. Cette suspension temporaire constitue une violation de la liberté du journal Le Défi d'émettre un commentaire sur la déclaration d'un haut responsable de la République.
Les problèmes de la presse ne se sont pas concentrés qu'à Conakry. A la mi-janvier, à N'Zérékoré, en Guinée forestière, deux journalistes de Radio Liberté FM, Théodore Loua et Daniel Lama, ont été détenus pendant vingt-quatre heures sur ordre du procureur de la ville, Gnokoro Camara. Toujours à N'Zérékoré, l'ancien correspondant de Radio Liberté FM, Emmanuel Toumany Camara, a été interpellé le 13 juin, par le gouverneur de la ville, Mohamed Ismaël Traoré.
Au Niger, il ne s'est pas produit d'incidents notables. En l'espace d'un an, une dizaine de plaintes ont cependant été déposées devant l'Onimed par des individus estimant avoir été diffamés par des organes de presse. L'attitude de certains journaux comme Le Courrier ou Le Visionnaire inquiète certains confrères qui estiment qu'ils manquent de professionnalisme et s'en prennent à des personnalités sans pouvoir apporter la preuve de leurs accusations. En conséquence, le 16 juillet 2011, le bureau exécutif de l'Association nigérienne des éditeurs de la presse indépendante (Anepi) a décidé, à titre conservatoire, de la suspension du directeur de publication du journal Le Visionnaire de toute activité de l'association.
Réguler et assainir le secteur des médias
Au Niger, la régulation des médias revient conjointement à l'autorité de régulation, l'Observatoire national de la communication (ONC), et à l'instance d'autorégulation, l'Observatoire nigérien indépendant des médias pour l'éthique et la déontologie (Onimed).
L'ONC, créé en avril 2010, compte treize membres, dont trois sont des représentants de l'Etat, et les autres du secteur des médias ou de la société civile. C'est une structure qui a démontré son indépendance et sa transparence. Elle sera prochainement remplacée par un nouveau Conseil supérieur de la communication (CSC), qui comptera quinze membres (trois représentants de l'Etat, et douze de la société civile). Le président de cet organe ne sera plus nommé par le président de la République mais sera élu en interne.
L'Onimed a quant à lui été installé en mai 2010, à la faveur de l'adoption de la dépénalisation des délits de presse, pour répondre de l'irresponsabilité de certains journalistes. Le principe de l'autorégulation est une mesure introduite pour accompagner la dépénalisation. Après treize mois d'existence, l'Onimed avait eu douze plaintes à traiter. Lorsqu'une plainte est déposée devant l'Onimed, le plaignant se prive du droit de saisir ensuite la justice. On constate que les citoyens qui s'estiment diffamés accordent une grande confiance à ce tribunal des pairs et privilégient cette voie plutôt que l'action en justice.
I. Ahmed Barry
évincé du journal de la RTG. Photo : RSF
Enfin, à côté de l'ONC et de l'Onimed, la Maison de la presse du Niger a également souhaité apporter sa pierre à l'oeuvre d'assainissement du secteur des médias en lançant notamment, le 15 septembre 2010, un appel à l'arrêt des « gratifications » données aux journalistes, estimant que la pratique était néfaste à l'exercice d'un journalisme indépendant et professionnel et que certains journaux ne paraissant même pas ne reposaient que sur ces émoluments.
En Guinée, l'avenir de la régulation du secteur des médias se heurte malheureusement au flou entourant les chances de voir la Haute Autorité de la Communication mise en place ou le Conseil national de la communication perdurer.
Médias d'Etat ou médias de service public ?
En période de campagne électorale, les médias publics sont contraints par des règles strictes visant à garantir l'égalité entre les différents candidats. En Guinée, la Radio Télévision Guinéenne (RTG), et au Niger, l'Office de radiodiffusion et télévision du Niger (ORTN), se sont pliés à ces règles et ont été salués pour leur couverture équilibrée et équitable des campagnes électorales. A Niamey, un employé de l'ORTN a confié à Reporters sans frontières : « Pendant la transition, nous n'avons pas reçu un seul coup de téléphone, ni subi aucune pression, de quelque forme que ce soit. »
En Guinée, l'organisation constate que des problèmes ressurgissent. Trois journalistes, Marie-Louise Sanoussi, Siré Dieng et Ibrahima Ahmed Barry, ont été évincés, début mai 2011, de la présentation du journal télévisé de la RTG. La décision leur a simplement été notifiée verbalement. Reporters sans frontières a écrit, le 1er juin, au Directeur général de la RTG, Mamadou Dia, pour lui demander des explications. L'organisation n'a toujours pas reçu de réponse. Sur place, on laisse entendre que les journalistes en question ont été sanctionnés pour leur proximité supposée avec l'UFDG (opposition) et que la décision de les mettre à l'écart aurait été prise au plus haut sommet de l'Etat.
Le traitement des différentes forces politiques du pays est encore très inégal. Si quelques conférences de presse de l'UFDG sont couvertes par la RTG, le retour au pays de Cellou Dalein Diallo, début avril 2011, n'avait en revanche pas été rapporté. De même les conférences de presse d'Aboubacar Sylla, leader de l'Union des forces du changement (UFC), ne sont pas couvertes par la RTG. D'aucuns s'inquiètent de voir la chaîne être mise au service du pouvoir.
Enfin, l'utilisation des langues locales mérite également une attention particulière car elle indique le degré d'ouverture à l'ensemble de la société. En mai dernier, les interventions en langue locale du président de la République, Alpha Condé, se limitaient au soussou et au malinké, mais n'étaient pas traduites en peul.
Au Niger en revanche, un responsable de l'ORTN reconnaît qu'il reste « des pesanteurs héritées du passé », mais des consignes ont été données par le pouvoir pour éviter la flatterie des dirigeants et pour que les activités de l'opposition soient couvertes. Interrogés par Reporters sans frontières, plusieurs représentants du MNSD (opposition) reconnaissent que leur parti n'est pas victime d'un traitement inégal ou injuste.
Relever le défi des nouveaux médias
Le secteur des nouveaux médias guinéens se développe rapidement. Le pays compte plusieurs blogueurs, une cinquantaine de sites Internet (les plus sérieux étant guineenews.com, aminata.com, tamtamguinee.com, mediaguinee.com, africaguineea.com, infoguinee.com, etc.), et une association de la presse en ligne, l'Aguipel. Les professionnels du secteur et l'Aguipel conviennent que des efforts doivent être concentrés dans l'encadrement des publications en ligne et la formation des journalistes en ligne.
Le Niger ne compte, lui, que quelques sites. Un portail Internet, medianiger.info, géré par la Maison de la presse, a permis de suivre le processus électoral en temps réel.
Améliorer le contexte économique
La première faiblesse de la presse, au Niger comme en Guinée, reste sa précarité. Améliorer l'environnement économique dans lequel évoluent les médias permettrait de garantir la viabilité des organes de presse et leur indépendance, ainsi que de lutter contre la corruption.
Au Niger, le gouvernement procède à une subvention directe aux médias à travers le fonds d'aide à la presse, qui a vocation à permettre aux médias l'acquisition de matériel moderne. Il peut également envisager des subventions indirectes telles que des exonérations sur le papier, l'électricité, le carburant, etc. Un fonds d'aide à la presse 2009 a été distribué en 2011. Il s'élevait à 200 millions FCFA (environ 300 000 euros). Trente-cinq médias en ont bénéficié sur la base de critères d'attribution transparents fixés par l'ONC. Ces critères sont cependant encore perfectibles. Un groupe de presse ayant des antennes en province ne touche ainsi que pour l'un de ses médias alors qu'il a des besoins à Niamey comme à l'intérieur du pays.
Reporters sans frontières a également invité le chef du gouvernement nigérien à mettre fin à une lettre signée de l'ancien Premier ministre, Hama Amadou, interdisant la diffusion de la publicité d'Etat dans les médias privés.
En Guinée, le marché publicitaire, capté par les titres les plus importants, ne bénéficie pas à l'ensemble de la presse et certains organes peinent à obtenir des ressources. L'absence de circuit professionnel de distribution, pour la presse écrite, compromet également la diffusion des journaux à l'intérieur du pays et constitue un frein pour les ventes.
Statut du journaliste et formation
En Guinée comme au Niger, les acteurs de la presse manquent cruellement de formations longues. Au Niger, l'Institut de formation aux techniques de l'information et de la communication (IFTIC) forme la plupart des journalistes qui entrent sur le marché des médias. L'école est reconnue et attire des étudiants venant de pays voisins comme le Burkina Faso par exemple. La Maison de la presse propose également des formations continues et des modules spécifiques, comme pendant la période électorale par exemple.
Une réflexion de fond doit aussi être lancée sur le statut des journalistes. Ceux-ci doivent être protégés par rapport aux patrons de presse qui trop souvent les exploitent. L'adoption d'une convention collective prévoyant la signature d'un contrat professionnel ainsi qu'une rémunération décente pour tout journaliste employé dans un média pourrait y contribuer.
A titre d'exemple, Reporters sans frontières a appris à Conakry que l'ancien ministre de l'Information du général Sékouba Konaté et leader de l'Union des forces du changement (UFC), Aboubacar Sylla, a récemment fait travailler plusieurs jeunes journalistes pour assurer le lancement de sa station de radio, Planète FM. Aucun d'entre eux n'avait signé de contrat. Aboubacar Sylla s'est ensuite débarrassé d'eux du jour au lendemain une fois la station présente sur les ondes.
L'assainissement du secteur peut passer par la contrainte faite aux médias de devenir de vraies entreprises de presse et aux patrons de presse de devenir de véritables chefs d'entreprise.
Conclusion
Mi-2011, le bilan que l'on peut tirer des transitions guinéenne et nigérienne est contrasté. Si dans les deux cas, l'organisation d'élections apaisées, libres et démocratiques a été remarquable, rien n'est acquis.
En Guinée, la transition n'est pas terminée. Et la fragilité de la situation peut inquiéter. L'attente des élections législatives, dans un climat politique de tension entre le pouvoir et l'opposition et de profonds désaccords sur la nécessité d'organiser un nouveau recensement des électeurs, ainsi que l'attentat à l'arme lourde commis, le 19 juillet 2011, contre la résidence privée du chef de l'Etat, font craindre un retour en arrière. Au lendemain de cette attaque, la France, qui a témoigné son soutien à Alpha Condé, affirmait cependant : « Il est important à présent que la démocratie guinéenne soit consolidée, ce qui passe par un dialogue politique apaisé et respectueux de tous, et par la tenue prochaine des élections législatives. »
Sur ce pays, Reporters sans frontières reste très prudente, voire inquiète.
Au Niger, le bilan est plus positif. La transition est terminée. Les autorités et la population doivent surmonter certaines difficultés, notamment en matière de sécurité et de développement, et consolider durablement la démocratie. L'absence de compétition politique ouverte explique le calme actuel, mais ce n'est qu'avec le temps que l'on pourra savoir si le Niger peut être un modèle régional de démocratie et de respect de la liberté de la presse.
Toujours est-il que grâce au vote de nouvelles lois sur les médias et à la nette diminution des exactions contre les journalistes, les transitions démocratiques ont fait naître dans les deux pays des espoirs considérables pour la liberté de la presse. Il s'agit aujourd'hui de ne pas décevoir. En Guinée, tout reste à faire. Au Niger, tout est à consolider.
Recommandations
Au vu de la situation actuelle de la liberté de la presse au Niger et en Guinée, Reporters sans frontières recommande :
Pour la Guinée
- Au président de la République, Alpha Condé : de s'affirmer publiquement comme garant de la liberté de la presse et du respect du pluralisme des médias. Au secrétaire général du gouvernement, Fodé Kissi Camara : de transmettre sans délai les trois lois de 2010 à la Cour suprême qui examinera leur conformité à la Constitution et permettra leur publication au Journal officiel.
- Au gouvernement : de veiller à ce que la Radio Télévision Guinéenne (RTG) reste un média de service public accessible à toutes les forces politiques et dans lequel se reconnaît l'ensemble de la société guinéenne ; d'engager une réflexion sur le statut du journaliste en Guinée. Au ministère de l'Administration du territoire et de la décentralisation : de défendre l'intégrité physique des journalistes — qu'ils proviennent de la presse publique ou privée — et de sensibiliser les forces de sécurité au respect de leur travail, particulièrement lors de leur couverture d'une élection.
- Aux associations de journalistes : de revendiquer collectivement l'amélioration de leurs conditions de travail et de leurs statuts et de défendre avec davantage de force leurs intérêts.
Aux partenaires bilatéraux et multilatéraux : de poursuivre les efforts d'accompagnement des médias guinéens entrepris pendant le processus électoral en 2010.
Pour le Niger
- Aux plus hautes autorités de l'Etat : de poursuivre leurs efforts et de confirmer leur engagement en faveur de la liberté de la presse.
- Au président de la République, Mahamadou Issoufou : de signer une seconde fois la « Déclaration de la Montagne de la Table », cette fois-ci en tant que chef d'Etat élu.
- Au gouvernement : d'envisager des mesures susceptibles d'améliorer l'environnement économique des organes de presse (augmentation du fonds d'aide à la presse, plus large ouverture de la publicité d'Etat aux médias privés, par exemple) ; de mettre en place des filières solides de formation aux métiers du journalisme et de la communication en renforçant l'IFTIC et en mettant en place une filière spécifique à l'université de Niamey par exemple.
- Aux organes de régulation et d'autorégulation des médias (ONC et Onimed) : de poursuivre dans leur rôle de promotion de la liberté de la presse et d'assainissement du secteur des médias.
- Aux journalistes : de faire preuve de responsabilité en gardant constamment à l'esprit la mission d'information qui leur revient. A la communauté internationale : d'apporter un soutien structurel aux institutions telles que la Maison de la presse.
Bureaux du Corps de la Paix. Conakry