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Sékou Touré

Afrique-Asie

No 318/26 Mars-18 Avril 1984


L'Editorial de Simon Malley
O.U.A : Pas de XXe sommet sans la R.A.S.D.


La grave responsabilité prise par le roi Hassan II de ne pas respecter la résolution du dernier sommet d'Adis-Abeba préconisant la négociation directe avec le Polisario, en vue de jeter les bases d'un véritable référendum démocratique au Sahara, va sans nul doute empêcher la tenue du XXè sommet africain, qui devrait avoir lieu à Conakry. Ni les manoeuvres des uns ni les "prophéties" de certains chefs d'Etat proches de Hassan II ou de Sékou Touré ne sauraient convaincre les dirigeants de la République Saharaouie democratique de ne pas occuper leur siège légitime de représentants d'un Etat indépendant en compagnie de leurs pairs africains.
Et pourtant, que de concessions n'ont-ils pas faites ! Que de compromis n'ont-ils pas accepté ! Que de "realisme" n'ont-ils pas montré au cours des dernières années afin qu'on ne puisse pas les accuser d'être responsables soit de la paralysie de l'O.U.A., soit du gel de son budget ! Comment leur demander, une fois de plus, de renoncer à leurs droits sacrés?
Au nom de quoi ? Des milliers de martyrs sahraouis qui ont consenti au sacrifice suprême pour arracher la liberté de leur pays, pour que leur dignité de combattants soit reconnue ? Du grand libérateur sahraoui El-Ouali, qui a donné l'exemple du sacrifice suprême, insufflant à chaque femme, à chaque homme la volonté irréductible de conquérir son indépendance ? De tous ces peuples africains qui, pour avoir reconnu la R.S.D.A., ont subi pressions, menaces, représailles de toute sorte de la part des "protecteurs" et "allies" du régime sanguinaire de Rabat?

Mais la responsabilité de ce qui pourrait etre le fiasco du XXe sommet de l'O.U.A. ne saurait etre imputée au seul roi Hassan II. Tous ceux qui ont suivi aveuglement la voie tracee par le souverain marocain et l'ont aidé materiellement, diplomatiquement et militairement dans la poursuite de sa guerre meurtrière contre tout un peuple la partagent. Parmi eux, au premier plan, Ahmed Sékou Touré. Le chef de l'Etat guinéen semble avoir tout oublié des principes révolutionnaires qu'il n'avait cessé de développer, plus de vingt ans durant, dans ses dizaines d'ouvrages, ses centaines de discours. Nous sommes d'autant plus à l'aise pour en parler que nous fûmes le seul journal du tiers monde à le défendre contre ses adversaires, ses agresseurs, ses déstabilisateurs néocoloniaux, acharnes à sa perte.

Si nous le soutenions alors, c'est qu'il représentait un phare vers lequel se tournaient tous les dirigeants des mouvements de libération nationale. Comment peut-on ainsi trahir ses engagements solennels, sa philosophie, son idéologie, se ranger dans le camp adverse, sinon en se trahissant soi-même?

Epouser d'une manière inattendue et inexplicable, les revendications marocaines sur le Sahara; refuser de recevoir les dirigeants du Polisario ; tourner le dos au mouvement de libération de tout un peuple, le chef de l'Etat guinéen n'a donné qu'un seul motif à sa conduite : un prétendu message que le père de Hassan II, Mohammed V, lui demandant de veiller sur son fils et de le soutenir. Nous qui avons connu le roi Mohammed V, bien avant le chef de l'Etat guinéen, nous pouvons l'assurer que s'il était une chose au monde qu'il plaçait au dessus de tout, c'était le droit des peuples à lutter pour la reconnaissance de leurs droits à la liberté et à l'indépendance. Comment imaginer qu'un roi attaché à ce principe et à la conduite aussi empreinte de dignité que Mohammed V aurait pu demander à Sékou Touré de soutenir la politique de son fils, s'il avait connu les détours qu'elle allait emprunter et les formes qu'elle allait prendre ? Torture, répression, emprisonnement de milliers de patriotes marocains, absence de toute liberté réelle du peuple, assassinats, de sang-froid, de ses serviteurs les plus fidèles — sans parler de ses adversaires —, guerre contre ses voisins, expansion, hégemonisme, etc. ?

Ahmed Sékou Touré a développé, sur cette question sahraouie, une logique que la logique ne peut admettre et dont les conséequences ont été désastreuses pour sa politique africaine et tiers-mondiste. La sainte alliance qu'il a conclue avec les souverains les plus féodaux, les dirigeants les plus impopulaires, les régimes les plus corrompus l'a pratiquement coupé du courant progressiste et révolutionnaire qui anime l'Afrique. Quelque respect que certains se sentent encore en devoir lui temoigner, du fait de son âge, de sa qualité de doyen, il est patent que le leadership moral qu'il exercait à l'époque a vécu.

Soyons clairs : si le conseil ministériel de l'O.U.A., qui s'est réeuni le mois dernier a Addis-Abeba, a décidé, dans une quasi-unanimité impressionnante, que le XXe sommet de l'O.U.A. n'aurait lieu ni à Conakry ni ailleurs aussi longtemps que la R.A.S.D. n'y siègerait pas, c'est parce que la grande majorité de ses ministres ne veulent plus être le jouet de manipulations tortueuses, de manoeuvres en coulisse, de procédés dilatoires. Ils ne veulent pas que la campagne diplomatique tous azimuts qui va se déchainer d'ici au mois de mai — ou septembre, au plus tard, si le sommet est ajourné — n'ait pour unique souci que de leur faire avaler, une fois de plus, la couleuvre à la sauce marocco-guinéenne que l'on aimerait leur servir. Sinon l'O.U.A. aurait prouve qu'elle n'est plus qu'une institution ou règne la loi de la jungle et dont les résolutions sont foulés aux pieds de ses propres fondateurs. Ni le fait que Sékou Toure ait construit une villa « R.A.S.D. » dans le village de l'O.U.A., ni les ridicules tentatives d'aucuns pour le faire désigner comme president à vie de l'O.U.A. ne doivent faire perdre de vue l'essentiel : il n'y a et n'y aura de dignitaire à vie que la nation africaine. Et elle seule!

S.M.


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