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Sékou Touré
Ce qu'il fut. Ce qu'il a fait. Ce qu'il faut défaire

Editions Jeune Afrique. Collection Plus. Paris. 1985. 215 p.


Cathérine Ndiaye
Misère de l'enseignement. Enseignement de la misère

L'héritage le plus lourd à assumer, aujourd'hui et demain, c'est une jeunesse sacrifiée, condamnée à limiter son savoir à la « philosophie » d'un maîÎtre qui n'en avait pas. Une génération entière de Guinéens devra reprendre sa propre éducation.

« Décidément, dans ce pays, il n'y a plus que les enfants qui m'aiment », a dit un jour Sékou Touré. Il passait dans les rues de Conakry, au volant de sa voiture (c'était fréquent), et répondait aux acclamations des jeunes en agitant son mouchoir blanc. Déçu par beaucoup, espérait-il encore pouvoir soulever l'enthousiasme des « forces vives » de la nation ? Il n'est plus là pour le dire. Mais, en dépit des acclamations de la rue, c'est bien sur l'enseignement que la dictature personnelle de Sékou Touré s'est excercée de la manière la plus forte. Sékou décide lui-même de toutes les réformes qui se succèdent — et qui commencent très tôt comme le montre le témoignage qui suit. Il enseigne aussi l'idéologie à chaque promotion qui sort de l'Institut polytechnique de Conakry. Il dirige les séminaires, il parle de tout : des mathématiques, de la documentation et, bien sûr, du « développement historique », expression par laquelle il désigne le progrès. Soyons honnête, on est étonné par la culture encyclopédique de cet autodidacte — même si elle est parfois approximative ou fantaisiste.

Etudiante
Au nom de la révolution, les programmes scolaires comportaient
obligatoirement l'étude des discours de Sékou Touré, rassemblés
en Tomes du PDG.

Dans le secondaire et le primaire, l'enseignement de la philosophie, des lettres, de l'histoire, deviendra, avec les années, une glose autour des discours du président. Les enseignants parlent couramment entre eux de « livres-discours », de « discours-programmes », car ils tiennent effectivement lieu de programmes.
Champ de la dictature personnelle, l'enseignement est aussi source de déceptions. Notamment au niveau des chiffres (voir encadré). La progression semble a priori remarquable. Mais lorsque, sur la base des données gouvernementales, l'UNESCO parle de « taux apparent de scolarisation » ou de « résultats des examens officiels », on comprend que ces chiffres, ces statistiques, sont peu fiables pour une étude scientifique. Une rapide lecture des documents officiels suffit à faire apparaitre les aberrations. Un exemple : dans un établissement agrozootechnique (programme 1980) il est prévu, dans le cadre de la formation générale et pendant les deux tiers du cursus, deux heures de « formation milicienne » hebdomadaires et deux d'idéologie. Soit quatre heures, comme pour la physique ou la botanique. Et deux heures de plus que la géologie, etc.
A l'école primaire, l'alphabétisation en langues nationales — introduite en 1965, rendue obligatoire en 1968 — aura eu surtout pour effet qu'en 1980 à peine 5 07o de la population avaient une bonne connaissance du français. Même si l'enseignement de cette langue était devenu en 1970 discipline obligatoire dès la troisième année d'école primaire. En fait, le défilé de professeurs égyptiens, soviétiques, vietnamiens, yougoslaves, américains qui arrivaient et repartaient au gré des alliances politiques — parlant parfois peu ou pas une langue commune avec les élèves — n'est pas pour rien dans la dégradation de l'enseignement. Y compris celui des femmes dont l'émancipation était, dès le départ, un objectif majeur du Parti démocratique de Guinée.

Les statistiques officielles montrent qu'il y a 30 % de jeunes filles dans la population des élèves et des étudiants. Tous établissements confondus. Ce taux est en réalité plus bas, puisqu'il n'y a guère que 33 % des enfants d'âge primaire à être effectivement scolarisés. Sans même se demander ce qu'elles ont réellement appris, 30 % de 33 %, c'est peu ! Quant à la JRDA (Jeunesse du Rassemblement démocratique africain qui deviendra Jeunesse de la révolution africaine), créée le 26 mars 1959, et rassemblant les enfants dès l'âge de 7 ans sous l'étendard du parti révolutionnaire, elle devait faire partie du cadre d'éducation de masse. Participer aux campagnes d'alphabétisation. Créer des chantiers de travail volontaires, etc. En réalité, elle restera surtout une école d'endoctrinement et une milice de surveillance politique. En 1980, le taux d'alphabétisation des adultes était de 20 %. C'est dire l'efficacité de la JRDA ! La « formation idéologique », point de départ de cette organisation de la jeunesse, en a aussi été l'aboutissement.
L'enseignement, source de déceptions pour le « système-Sékou » (peut-être pour Sékou Touré lui-même), mais aussi pour tous les progressistes africains des années 1958-1965 qui avaient les yeux braqués sur la Guinée. Car les réformes de Sékou Touré, réduites à des mots d'ordre, correspondaient aux aspirations de ceux-ci : « gratuité de l'enseignement à tous les niveaux », « école dans la vie », « africanisation ». A cause du niveau de l'enseignement général, de l'exode de la jeunesse, de la dégradation sur vingt-six années, force est de constater que, si Sékou Touré a créé l'Etat guinéen, il a échoué dans la principale entreprise de construction de la nation : l'éducation de la jeunesse.
Doit-on alors conclure à la génération sacrifiée, comme on le fait souvent ? C'est certain, une génération au moins aura payé lourdement son tribut à la révolution. Elle aura même été marquée de son sceau. Ainsi, à Conakry, les jeunes parlent la langue de bois du parti, pour le critiquer. Et beaucoup d'étudiants ont pour ambition de faire une carrière politique (au sens où on l'entend dans le Parti-Etat).
Et pour réparer ? Combien de temps ? Il se pourrait qu'un système d'éducation ne se restaure guère plus vite que l'économie d'un pays. Si c'était vrai, sans être humaniste, on s'alarmerait pour la génération à venir ; car la Guinée, comme tous les pays d'Afrique, a une population qui comprend plus de 50 % de moins de dix-huit ans.

Evolution de l'enseignement* 1958 1968 1980
1er Cycle
Effectifs 42 543 144 394 252 100
Ecoles 287 1 560 2 370
Enseignants 843 3 894 6 413
2e et 3e cycles
Effectifs 2 547 29 118 89 947
Ecoles 9 232 346
Enseignants
Guinéens 3 704 3 654
Etrangers 59 382 78
4e cycle (université)
Effectifs 0 644 23 196
Etablissements 0 2 45
Enseignants
Guinéens 0 16 420
Etrangers 0 54 225
Totaux
Effectifs 45 090 174 156 365 243
Etablissements 296 1 814 2 761
Enseignants 905 5 050 10 790
*Données gouvernementales

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