Editions Jeune Afrique. Collection Plus. Paris. 1985. 215 p.
Qu'ils s'appellent Ismaël ou Siaka, Mamadi ou Seydou, qu'ils appartiennent à la lignée Touré (celle de Sékou) ou à la lignée Keita (celle de Hadja Andrée), ce sont eux qui ont exercé la réalité d'un pouvoir destructeur et accaparant.
Faranah, un matin de juin 1979. Située à la limite de la région forestière — à l'est du pays —, la ville natale de Sékou Touré s'apprête à vivre un moment important de son histoire. Les maisons sont fraîchement badigeonnées. Les rues sont parsemées de mâts sur lesquels flottent au vent chaud les couleurs guinéennes. La fête bat son plein ce jour-là à Faranah.
Il y a fongtemps que la ville n'a pas eu la visite du « Prési ». Il apparaît enfin, au volant d'une Mercedes, l'éternel mouchoir blanc à la main. Il n'a pas bonne mine, Sékou Touré, mais il sourit, et salue la foule qui applaudit et scande son nom. La voiture passe, lentement, et termine sa course au portail d'une villa cossue.
La demeure d'Amara Touré, frère aîné du président, est pleine de monde. Il y a là les cousins et les cousines, les tantes et les oncles proches et lointains. Il y a aussi la femme du président, Andrée, son fils Mohamed et sa fille Aminata. [Erratum: I. Baba Kaké précise qu'Aminata est née d'une précédente union de Sékou Touré avec Marguerite Colle. — T. S. Bah]. Assis en tailleur dans un coin du salon, le frère cadet du président, Ismaël Touré.
Visage crispé sous sa chevelure grise, Ismaël fixe de ses yeux de vautour les quelques ministres qui sont venus participer à cette grande réunion de famille. On reconnaît encore Siaka Touré, Chérif Sékou, Mamadi et Seydou Keïta, le général Lansana Diané et d'autres dignitaires du régime liés à Sékou Touré par le sang ou par alliance.
« Vive “Prési” ! » lancent les femmes en direction du chef de l'Etat qui, enveloppé dans un boubou blanc immaculé, s'en va s'asseoir à côté de son épouse. Amara Touré prend la parole : « Je vous ai réunis pour m'aider à réconcilier Sékou et Ismaël. Leur rupture cause du tort à la famille et risque de la démanteler. Je suggère à Ismaël qui est notre cadet de demander pardon à notre président. » Celui-ci ne dit mot. Il écoute et acquiesce en hochant la tête. Et c'est les larmes aux yeux qu'Ismaël se lève et se dirige vers son frère qu'il embrasse sur le front. Sékou se lève à son tour et serre dans ses bras le frère repenti.
Finie la peur du démantèlement. Le clan Sékou a retrouvé son unité. Du coup, le président téléphone de Faranah à son Premier ministre Lansana Béavogui resté à Conakry et lui dicte la teneur d'un décret qui prend effet le jour même : « Ismaël Touré réintègre ses fonctions officielles au sein du bureau populaire national et au gouvernement. Il devient ministre des Mines et de la Géologie. »
Trois mois auparavant, un premier décret avait annoncé son limogeage des instances politiques du pays. Et Ismaël Touré avait été mis à la disposition du ministère du Travail qui devait lui allouer une… indemnité de chômage. Mais Ismaël a ses supporters dans le clan familial. Peut-être même la neutralité de l'épouse du président, Andrée, une métisse jadis chrétienne, qui de son podium de « première dame de Guinée » influait par ses intrigues sur la vie politique du pays et par son tempérament calme et serein sur la vivacité et la rigueur de son mari. C'était l'une des pièces maîtresses du clan Sékou.
Mais qu'est-ce au juste, le clan Sékou ? Au commencement est un mariage : en 1956, à l'âge de trente-quatre ans, Sékou, de père inconnu, épouse Andrée, née d'un père français, le Dr Marie-Duplantier qui ne l'avait pas reconnue, et d'une mère guinéenne. Mais les deux époux portaient chacun le nom de leur beau-père, Touré pour l'homme et Keita pour la femme. Cette union allait établir les deux principales branches du clan Sékou : Touré et Keïta. Elles marqueront de leur sceau la jeune république guinéenne façonnée suivant leurs propres désirs Et ce sera une Guinée misérable baillonnée sans âme et ni flamme.
Ces Touré et ces Keïta n'auront qu'une ambition : s'enrichir, fût-ce — et ce le sera — au détriment de la population qui verra les richesses du pays s'envoler vers des banques étrangères et ses enfants le plus souvent acculés à fuir vers d'autres horizons. Tentons une rapide radioscopie des deux branches.
Sékou a deux frères : Amara, son aîné, et Ismaël, son cadet. Frères ? Demi-frères plutôt car le futur chef dEtat était déjà adolescent lorsque sa mère épousa le père d'Amara et d'Ismaël. Il prend alors le nom de son beau-père, Touré et, comble de délire, il se proclame descendant direct de l'Almamy Samory Touré, le résistant guinéen (?) mort en déportation, en 1900, au Gabon. Du coup, il gagne des cousins et des neveux, en particulier Siaka Touré, un militaire à qui il confiera le commandement du camp Boiro avant de le nommer ministre des Transports. Un autre cousin — un vrai celui-là parce qu'il appartenait à la famille de sa mère —, Lansana Diané, qui, de simple soldat, devient général à l'occasion de sa participation, en 1961, au « maintien de l'ordre » au futur Zaïre avec les casques bleus de l'ONU. Il deviendra même ministre de la Défense.
[Erratum. Lansana Diané était civil et vétérinaire. Lire à ce sujet Sékou Touré, le héros et le tyran et First American Ambassador to Guinea — T.S. Bah]
La sœur de Sékou, Nouncoumba, épouse Chérif Sékou, qui sera ministre de l'Intérieur.
Mais le plus influent de la famille est incontestablement Ismaël qui osera faire des remontrances au président en plein conseil des ministres. Telle est sa puissance qu'il fait et défait des ministres. Ses ennemis, il les envoie au Camp Boiro sans même en référer au chef de l'Etat. Sékou Touré assume de toute façon les méfaits de son cadet.
Quant à l'aîné, Amara, il détiendra l'un des postes clé de sa région secrétaire fédéral du parti à Faranah. Il a une autorité morale sur la famille et, partant, sur l'administration du pays. Viennent enfin les cousins éloignés : Abdoulaye Touré, Mohamed Lamine Touré (plusieurs fois ministre) et Sadan Moussa Touré (ambassadeur en Egypte) …
Andrée a élevé Mohamed et Aminata, en général classés Keïta, bien que la jeune fille soit une fille de Sékou mais pas d'elle-même. Mohamed a fait des études d'économie à l'Institut polytechnique Gamal Abdel Nasser de Conakry. Sa sœur, juriste, est magistrat. Elle a épousé Mamadouba ‘Maxime’ Camara, qui fut un footballeur réputé. Il était chef de cabinet du ministre de la Coopération internationale. Andrée a su faire de son clan — celui des Keïta — l'égal, en matière de privilège et de pouvoir, de celui de son mari. Ses deux demi-frères, Mamadi et Seydou, occuperont très tôt des postes importants dans la hiérarchie administrative et politique.
En épousant Tata Keita, la demi-sœur cadette d'Andrée un « roturier », Moussa Diakité, participera plusieurs fois au gouvernement. Une autre demi-sœur, un peu plus âgée que la première, a épousé N'Faly Sangaré. Ce dernier sera gouverneur de la Banque centrale puis représentant permanent de la Guinée au Fonds monétaire international.
[Erratum. Née peut-être Bah ou d'une autre union, Mme Diakité était l'épouse d'un “non-roturier”. Son mari, Moussa, était issu d'une grande famille de Fula-Wasulu de la région de Mandiana. Née Aissatou Bah, Mme Sangaré est originaire de Pita. Les jumeaux Lansana et Louceny Keita — officiers de l'armée — et Sayon Keita, la benjamine, complètent la liste des cadets utérins de Mme. Touré. Consulter l'ouvrage de Baba Kaké — T.S. Bah]
Pour boucler la boucle, la fille aînée d'Ismaël Touré, Mama Kountou, a épousé le fils de Moussa Diakité. Cela lui a permis d'être nommé conseiller « très spécial » à l'ambassade de son pays en Belgique.
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Fulbright Scholar. Rockefeller Foundation Fellow. Internet Society Pioneer. Smithsonian Research Associate.