Mohamed-Alioum Fantouré. Le voile ténébreux
Paris. Présence Africaine, 1985
“Littérature guinéenne.”
L'Harmattan. Paris, 2005. 175 pages
Notre Librairie.
N°88/89 Juillet-septembre 1987. Pages 186-87
Deuxième tome du cycle intitulé Le livre des Cités du Termite, ce roman reprend l'histoire de Mainguai là où elle s'était arrêtée dans L'Homme du Troupeau du Sahel, paru en 1979.
Agé de 25 ans à la fin de la deuxième guerre mondiale, Mainguai doit quitter Abidjan lorsque le gouverneur colonial qui le protège et l'emploie (en reconnaissance de son action lors de l'affaire du Troupeau du Sahel) est rappelé en métropole avec son adjoint. L'étiquette de communiste colle déjà au jeune homme qui préfère se soumettre et regagner sa terre natale, le Sahel Maritime. Mais personne ne l'attend vraiment chez lui où des rumeurs malveillantes l'ont précédé. Son père est mort et sa mère n'a de cesse que Mainguai l'accompagne à Tombouctou, berceau de leur famille, chez le grand oncle Lahan-Fia devenu chef suprême de la communauté familiale. Et le renégat va devoir affronter une situation qu'il ne pressentait pas :
« La force traditionnelle de ma terre natale allait m'éreinter, les privilèges des aînés allaient me briser (…) Pour l'oncle, mon instruction, mes vingt-cinq ans d'âge, mon auréole légendaire de l'homme du Troupeau du Sahel n'avaient rien de consistant face à sa force tranquille transmise par notre héritage ancestral, car il était le passé, le présent, l'avenir. »
L'hostilité générale envers Mainguai provient notamment de l'accusation mensongère faite par quatre bergers nigériens à l'époque de l'affaire du Troupeau : voulant gruger leur peuple et ne croyant jamais revoir le jeune homme, ces derniers l'avaient accusé de n'avoir pas payé les bêtes fournies. Refusant cependant de les dénoncer, Mainguai se résout à subir le terrible jugement du fleuve : les adversaires sont lâchés dans le Niger avec un crocodile adulte et affamé qui dévore seulement, dit-on, ceux qui sont “coupables d'une forfaiture contre l'esprit des ancêtres”. Ayant survécu à l'épreuve, Mainguai n'en demeure pas moins un “non-être” pour sa communauté. Il lui faudra donc faire amende honorable et parcourir le continent, sept mois durant, à la recherche du mythique “Livre des Ancêtres” avant de retrouver la paix de l'âme et du coeur et de s'intégrer, ainsi ressourcé, au puissant groupe de la tradition. Sa voie semble alors toute tracée, mais Mainguai arrive à faire comprendre aux siens que l'Afrique sous le joug vit des heures difficiles mais décisives, et qu'il ne peut se dérober : “si je vous obéissais selon vos souhaits et m'installais définitivement dans notre communauté, je vous ferais plaisir peut-être, mais ce serait aussi une façon de me renier en renonçant à mes rêves”.
Il repart donc au Sahel Maritime, bien que conscient que la machine coloniale va s'efforcer de le broyer, car il est considéré partout comme un “agitateur communiste”. Malgré sa prudence et son respect de la légalité (il se contente de créer un syndicat ouvrier pour essayer de trouver du travail aux chômeurs), il sera impliqué à tort dans des mouvements de grève et ne devra qu'au soutien d'une famille influente d'être seulement condamné à une interdiction de séjour dans tous les territoires de l'Afrique occidentale.
Dans ce deuxième roman, Mainguai se bat donc successivement contre une tradition ancestrale qui prend l'allure d'un véritable rouleau compresseur et contre une puissance coloniale tout aussi implacable. Combat de héros ? Certainement, mais Mainguai n'est pas un véritable héros . Par bien des points, il ressemble au Bohi-Di du Cercle des tropiques, comme lui ballotté au gré d'un destin qui ne leur épargne pas les coups. En faisant de Bohi-Di et de Mainguai les narrateurs de ses romans, l'auteur nous fait mieux entrevoir leurs hésitations, leurs faiblesses, leurs peurs, en un mot leur fragilité. Peu ou pas d'héroïsme chez ces deux êtres, mais une humanité profonde, un respect de certaines valeurs, une compréhension des autres et une bonté foncière, autant de traits qui contribuent à les rendre crédibles. Fantouré ne croit guère aux héros, ou du moins les démystifie, faisant dire à son personnage : “il y a des leaders qui ont intérêt à mourir bien avant de révéler leurs faiblesses, leurs intolérances ou leurs incapacités”.
Attendons la suite des aventures de Mainguai : le troisième roman du cycle s'appellera Le Gouverneur du territoire.