Djibril Tamsir Niane
Soundjata ou l'épopée mandingue
Paris, Présence africaine, 1960.
“Littérature guinéenne”
L'Harmattan. Paris, 2005. 175 pages
Notre Librairie.
N°88/89 Juillet-septembre 1987. Pages 10-13
Historien de formation, Djibril Tamsir Niane ne manque pas, à l'instar de ceux qui touchent aux “textes” de la tradition orale, d'avertir modestement le lecteur de sa simple qualité de “traducteur” : l'auteur reste le griot Djeli Mamadou Kouyaté qu'il fait intervenir à trois reprises, au début, au milieu et à la fin, pour rappeler chaque fois que la parole du griot est “pure”, “dépouillée de tout mensonge”, car les griots sont “les dépositaires des serments que les Anciens ont prêtés” et jurent “d'enseigner ce qui est à enseigner et de taire ce qui est à taire”.
Récit épique, Soundjata ou l'épopée mandingue relate la vie d'un grand conquérant rassembleur de peuples, à l'image d'Alexandre le Grand auquel il est toujours fait référence à son sujet sous le nom islamisé de “Djoul Kara Naïni”. Soundjata a vécu au XlIIe siècle et depuis plus de 700 ans les relations de son histoire se sont maintenues vives dans la mémoire des Africains de l'Ouest, dans le souvenir de tous ceux qui rêvent d'un “Grand Manding Eternel “ ; les versions en langue française de Massa Makan Diabaté (Kata Jata en 1970 et Le lion à l'arc en 1986) et de Camara Laye (Le Maître de la parole en 1978) ne diffèrent pas pour l'essentiel du récit de Niane.
« Maghan Soundjata fut unique. De son temps, personne ne l'égala ; après lui, personne n'eut l'ambition de le surpasser. Il a marqué pour toujours le Manding, ses dio (ses interdits) guident encore les hommes dans leur conduite. »
L'épopée de Soundjata présente des points communs avec les épopées européennes, dans le fond comme dans la forme, mais une épopée africaine se caractérise par le fait que son influence reste actuelle, même dans notre fin de xxe siècle où l'évolution des sociétés pourrait sembler la reléguer au rang de curiosité archéologique. A ce titre on remarquera l'importance de Chaka (Zoulou du début du XIXe siècle) devenu mythe de référence pour une Afrique qui rêve d'unification et d'indépendance effective. Ainsi, que Djibril Tamsir Niane ait transcrit cette épopée en 1960 n'est peut-être pas indifférent: il a dû la commencer fin 1959, dès son retour en Guinée, à une époque où Sékou Touré, tout auréolé de son “Non” à la France, avait rendu son pays indépendant et s'affirmait comme le leader incorruptible d'une Afrique qui osait se dégager des tutelles coloniales. En faisant revivre Soundjata, Niane voulut peut-être contribuer à établir un lien entre les deux aventures. Et son silence relatif (silence total depuis 1975) doit-il sans doute à la déception que lui causa, comme à beaucoup d'autres, le Grand Sily.
Soundjata possède les caractéristiques de tout héros épique :
- Il n'a jamais peur: “La peur entre dans le coeur de celui qui ignore son destin. Soundjata savait qu'il marchait vers un grand destin, il ne savait pas ce que c'était que la peur.” (p. 59)
- Il aime les honneurs : “La modestie est le partage de l'homme moyen ; les hommes supérieurs ne connaissent pas l'humilité; Soundjata devint même exigeant, et plus il était exigeant, plus les serviteurs tremblaient devant lui.” (p. 67).
- Le doute l'effleure rarement : “Dans la vie de chaque homme il y a un moment où le doute s'installe, l'homme s'interroge sur sa destinée, mais ce soir ce n'était pas encore le doute qui assaillait Djata …” (p. 99).
- Il a conscience d'être un héros : “Soundjata était très heureux de retrouver sa soeur et son griot; il avait maintenant le chantre qui, par sa parole, devait perpétuer sa mémoire. Il n'y aurait pas de héros si les actions étaient condamnées à l'oubli des hommes, car nous agissons pour soulever l'admiration de ceux qui vivent, et provoquer la vénération de ceux qui doivent venir.” (p. 108).
Sur un plan strictement formel, le texte de Djibril Tamsir Niane apparaît à la fois beau et fort, et cela justifie qu'il soit au programme (généralement dans les classes de troisième ou de seconde) de la plupart des collèges et lycées d' Afrique Noire.