Williams Sassine. Saint Monsieur Baly
Paris. Présence Africaine, Paris 1973, 224 p.
“Littérature guinéenne.”
L'Harmattan. Paris, 2005. 175 pages
Notre Librairie.
N°88/89 Juillet-septembre 1987. Pages 193-94
Pour un premier roman, ce fut un coup de maître. Après un très curieux prologue en deux chapitres où Williams Sassine présente les deux grandes religions monothéistes sous les traits, pour le Christianisme, d'un lépreux (François) et, pour l'Islam, d'un mendiant aveugle (Mohamed). Le premier échoue dans sa tentative de suicide et le second voit sa femme le quitter parce qu'il est mendiant et aveugle. Dès ces premières pages, l'écrivain guinéen fait montre d'un humour acerbe qui s'accentuera dans ses oeuvres suivantes et constituera l'une des caractéristiques majeures de son style. Dans la première des trois parties de ce roman est présenté Monsieur Baly, vieil instituteur que ron a mis à la retraite : ses méthodes sont jugées trop dures et certaines de ses idées, comme celle de préconiser la suppression pure et simple du français en faveur des langues nationales, apparaissent aux autorités proches de la subversion.
Le vieux “sage” profite alors de l'occasion pour réaliser son rêve le plus cher : fonder sa propre école où il dispensera l'enseignement selon ses conceptions. Malgré tous Jes déboires qu'il subira da'ns sa téméraire entreprise, Baly ne se départira pas d'une foi qui oscille entre le Christianisme et l'Islam. D'un côté comme de l'autre, il ira de déception en déception. Sassine profite du passage où Bal y a recours aux marabouts pour dresser un tableau peu reluisant des relations entre l'Islam et ces “charlatans”. En fait, l'auteur ne manque pas l'occasion de dénoncer quelques problèmes quotidiens de l'Afrique, comme la corruption des députés ou les exactions des comptables… On aurait aimé que le roman de Williams Sassine vieillisse mal, hélas, il est empreint d'un pessimisme visionnaire.
Monsieur Baly va devenir saint en transcendant sa misère et ses malheurs : il va accueillir chez lui Mohamed et soigner François, “l'homme-pourri”, attrapant lui-même la lèpre.
Au plus profond de son désespoir, Baly n'abandonne pas la lutte, récupérant quelques ultimes forces dans les croyances traditionnelles ; influencé par François, il se placera sous la protection des ancêtres et non des “dieux d'emprunt”. Le titre du roman aurait pu être : “Dieux noirs et diables blancs” …
Tout va alors de mal en pis. Plus Monsieur Baly s'enfonce dans le malheur, plus il se sanctifie — ses paroles ressemblent de plus en plus à celle d'un prophète —, et là réside l'ambiguïté de ce livre, comme peut-être, sur ce point, celle de Sassine luimême qui navigue entre les croyances et les religions.
Il n'est pas inintéressant de noter, dès ce premier roman, la dérision avec laquelle l'auteur traite du' concept de “révolution” sur son continent ; tout comme cette interrogation révélatrice : “… savoir pourquoi le Noir meurt plus facilement que quiconque au monde et pourquoi il devient plus facilement athée qu'un autre dès qu'il acquiert quelque instruction ?”.
Dans son épilogue, aussi surprenant que son prologue, Williams Sassine invite son lecteur à venir au village de Saint Monsieur Baly car “nous avons vu ici beaucoup de touristes désespérés d'être noirs retrouver un sens à leur vie et se consacrer, après leur pèlerinage sur la tombe de Monsieur Baly, à quelque saint labeur, comme la construction d 'une école ou la libération de notre continent “.
Les dernières lignes de ce roman font de ce livre un livre “saint”.