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Cheick Oumar Kanté. Douze pour une coupe.

Paris. Présence Africaine


Littérature guinéenne

L'Harmattan. Paris, 2005. 175 pages
Notre Librairie.
N°88/89 Juillet-septembre 1987. Pages 187-88


Nous sommes au début de janvier, le mois qui paraît le plus long de tous … Le journal télévisé vient de prendre fin sur TF1 … Un documentaire sur une tribu d'Afrique prend le relais des actualités … Comme chaque fois que des images sur l'Afrique passent à la télévision française, une bouffée d'air froid envahit le salon des Kondé à Castres …
Le roman de Cheick Oumar Kanté, Douze pour une coupe, aurait dû commencer par là . En fait, non. On a déjà parcouru le contenu d'une bonne trentaine de pages avant d'en arriver à ces lignes qui expriment à la fois le froid de l'hiver et le froid qui fait frissonner toute une famille au sujet de cette lointaine Afrique où, apparemment tout est sinistre. On imagine tous les regards braqués sur Madigué Kondé l'Africain de Castres. Et l'on devine facilement l'embarras de ce dernier.
C'est que Madigué Kondé, exilé depuis vingt ans dans le Sud-Ouest de la France, n'avait aucune envie de retourner là-bas, même pour un court séjour. Son pays de là-bas se nomme le Sahel, capitale Nagué. Ce n'est pas qu'il n'aime plus l'Afrique ou son pays à cause des images qu'en donnent les télévisions occidentales. Là n'est pas le problème. Madi (petit nom du héros pour ses familiers), a ses raisons. Et elles paraissent profondes et défendables : il a dû fuir le Sahel pour conserver sa vie et connaître la liberté. Et, pour rien au monde, il ne souhaiterait retomber dans les griffes de l'arbitraire. Seulement, voilà, Madi a un ami français au Sahel. Il y travaille en qualité d'assistant technique, Samuel Bontain. Il est clair que Samuel Bontain “s'est assigné pour mission de convaincre son camarade de faculté de retourner au Sahel, son pays natal, pour y trouver le bonheur que lui-même, en n'y étant qu'au titre de l'assistance technique française, prétend avoir connu.” Cependant, Madi ne s'en laisse pas conter. Il oppose au torrent de paroles de son ancien camarade de tac à Bordeaux, son refus de “collaborer avec le gouvernement de Gomba qui est au pouvoir au Sahel”. Il se retranche derrière sa volonté farouche de demeurer auprès de sa famille de Castres, car Madi est marié avec une Française, Lysiane, et ils ont quatre enfants. Dans cette résistance à la tentation réitérée de Samuel Bontain, Madi bénéficie du soutien inconditionnel de Lysiane et de la mère de cette dernière qui vit avec eux, Mme Vve Vestiaire qui ont du mal à imaginer un Africain de France comme Madi, renouer avec l'Afrique, pays de “la misère, la maladie, la mort … ”. Cependant, de retour au Sahel, Bontain va finir par trouver une astuce qui viendra à bout de la résistance des Kondé et de Mme Vestiaire: la 209 Coupe d'Afrique des Nations de football dont la phase finale se déroulera à Nagué, capitale du Sahel. Les Kondé et Mme Vestiaire sont conviés à assister à cette finale, par le Président de la République en personne, par le ministre de la Jeunesse et des Sports et, naturellement, par Samuel Bontain lui-même !
Lorsque l'invitation arrive accompagnée des billets d'avion aller-retour, les Kondé n'en reviennent pas et leur stupéfaction est grande. Dans un premier temps, on maintient le refus : on flaire un piège du régime du président Gomba. Dans un deuxième temps, on se calme et l'on met en balance le pour et le contre d'une telle tentation. Enfin, on finit par se dire : pourquoi pas après tout ?
Les Kondé arrivent juste à temps pour assister à l'inauguration du stade de Nagué que le chef de l'état a fait rénover pour accueillir la prestigieuse Coupe des Nations. Quelle fête ! Seuls les nouveaux états africains savent en organiser de cette facture, avec débauche de couleurs et de bruits, de fastes et de dépenses somptuaires. Hélas, elle n'a pas beaucoup plu à la délégation franco-africaine de Castres ! Trop artificiel ! décrètent les Kondé à la sortie du stade. Les enfants se laissent plutôt gagner par l'émerveillement. Quant à Madi, il essaie de comprendre comment les choses ont pu rester figées après vingt ans d'absence. A Soudoudou, village natal de Madi, quelque chose a changé, mais dans le mauvais sens selon Madi. On a fait de son village un site touristique où les enfants, devenus des guides pour les visiteurs, vivent désormais de pourboire. Soupir de déception. Le séjour à Soudoudou est court, car il faut retourner à Nagué pour assister à la finale de la coupe qui va opposer comme par hasard le Sahel au Kalahari. Retour au stage pour une finale morne et sans intérêt. Décevante par-dessus le marché : le Sahel a perdu après le temps réglementaire par un but à 0, point obtenu par le Kalahari au cours de la séance de tirs au but. La défaite est très durement ressentie par les Sahéliens. La révolte éclate avec toutes ses conséquences. Une coupe vraiment ratée pour les Kondé sur tous les plans. Même le somptueux dîner à l'occidentale au palais présidentiel ne peut effacer ce mauvais souvenir. Heureusement qu'il y a eu la rencontre avec la vraie Afrique en brousse ! Et justement, il est temps de revenir à Soudoudou, car le séjour touche à sa fin. Le moment des au revoir est arrivé. Celui des regrets et des soupirs de soulagement aussi. En effet, certains n'ont pas vu d'un bon oeil le retour de ce Noir-Blanc au pays ! Dans la haute administration, par exemple, on a tremblé à l'idée que Madi, trop bien reçu par le président Gomba, ne vienne prendre la place de quelqu'un. Et l'on a décidé d'empêcher cela à tout prix.
Pour réaliser leurs desseins, tous les comploteurs vont s'adresser à un seul et même homme, Satigui, le féticheur de Soudoudou. Le travail de ce dernier sera fatal à Madigué Kondé qui mourra d'un empoisonnement au cours du dernier repas pris en compagnie des siens à Soudoudou, son village natal.
Douze pour une coupe est un roman pour tous, jeunes comme pour adultes. Ce récit linéaire écrit dans une belle langue qui fait une place large à l'humour et au sarcasme africains, aborde avec sérénité l'épineux problème du retour au bercail des cadres africains partis pour un long exil en Europe ou en Amérique. L'ouvrage fourmille de détails intéressants qui témoignent du sens de l'observation de son auteur, en même temps qu'ils donnent aux lecteurs quelques indications susceptibles de l'aider à situer le pays où est censée se dérouler, après la France, l'action. Un pays dont, pour une fois au moins dans l'histoire du roman contemporain africain, le leader ou le guide n'est pas traîné avec excès dans la boue. Si le clin d'oeil à la vie des couples mixtes n'apporte rien de nouveau ni d'original au lecteur, l'auteur invite néanmoins ce dernier à s'interroger sur l'avenir de ces mariages en dehors de la France.
Un petit regret toutefois : l'auteur conclut son récit de manière quelque peu hâtive. Un peu comme un roman policier où il manquerait la chute tant attendue. Et c'est un peu dommage …

Guy Menga

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