Charles-Pascal Tolno
Président de l'Association des Écrivains Guinéens. Université de Conakry
Une identité qui se cherche
“Littérature guinéenne.”
L'Harmattan. Paris, 2005. 175 pages
Notre Librairie.
N°88/89 Juillet-septembre 1987. Pages 10-13
[ Selon la formule adéquate d'Alioum Fantouré “le dictateur sort du peuple”. De même la dictature agit comme une maladie et un virus dont l'auteur de cet article devint à la fois victime et vecteur. La tyrannie transforme ses adeptes en “travailleurs de la violence” et “facilitateurs d'atrocités”, selon les expressions consacrées par la recherche interdisciplinaire sur le Mal et la Méchanceté. A cet effet, et au delà des ambiguités de ce texte, il faut rappeler la carrière de Charles Pascal Tolno dans les années 1990, durant lesquelles il fit partie de la nomenklatura des violateurs de droits de l'homme et des agents de la gabegie du régime de Lansana Conté. Alternativement ou parallèlement à son leadership du Parti du Peuple de Guinée (PPG), il fut successivement recteur de l'université, gouverneur de Conakry et ministre de l'enseignement supérieur, léguant à chaque étape un bilan déplorable et décrié par les étudiants et dans les colonnes de la presse. Ce comportement — grave, paradoxal et schizophrène — a été, et reste, le fait de certains intellectuels Guinéens ; du régime de Sékou Touré (Fodéba Keita, Emile Cissé, Mamadi Keita, etc.) à nos jours. — Tierno S. Bah]
La vie nationale en Guinée a connu des formes très variées dans son évolution, de la période précoloniale à l'indépendance et à la deuxième République, en passant par le régime colonial.
Chaque phase a été marquée par une production littéraire spécifique, en particulier par des essais d'un genre déterminé.
Il a toujours existé une littérature respectable dans notre pays. Avant l'arrivée des Européens, elle était presque exclusivement dominée par les “maîtres de la parole” (griots, conteurs traditionnels … ). Et, dans certaines régions comme au pays Loma, il existait un alphabet très fonctionnel dont le rayonnement, pourtant réel, reste peu connu ou carrément ignoré.
Les maîtres de la parole
La littérature orale avait une mission précise, durant cette période que certains présentent à tort comme simplement barbare. Soutenir les réalisations musicales, vanter les exploits des rois ou des héros, louer les bienfaits et bonnes conduites, désapprouver les attitudes incompatibles avec les princiPes moraux, règles et traditions sociales en place, tels étaient les principaux éléments de son rôle. Autrement dit, même sous cette forme, la littérature était un stimulant de poids et un véhicule sûr pour la culture, pour la promotion des civilisations, dont nous regretterons toujours l'arrêt brusque du processus de développement.
Aujourd'hui, l'oralité n'a plus ce rôle éminent avec l'introduction de l'écriture.
Du XVe siècle à 1958, les études sur la Guinée étaient essentiellement l'oeuvre des étrangers, arabes ou européens. Leur objet principal était de rendre hommage à la présence musulmane ou européenne et à la mission civilisatrice et humanitaire ou de faire des descriptions intéressées. Et si quelque Guinéen ou autre Africain avait réussi à écrire un roman ou essai. Ce travail n'était pris au sérieux que lorsqu'il abondait dans le sens des cultures dites supérieures.
Pour repousser la domination, il a fallu, un combat, une lutte de longue haleine. Comme il est de son devoir, l'homme de culture n'était pas absent et a joué tout au long du combat un rôle essentiel, avec un travail à la mesure du colonisé qui se révolte.
Les essais guinéens élaborés dans l'esprit de la reconquête de la liberté et dont nous plaçons les auteurs sur la liste des précurseurs de la littérature actuelle n'ont malheureusement pas toujours été compris par les autorités en place. Ces écrivains ont presque tous fini dans la disgrâce et ont disparu dans des circonstances douloureuses.
Cette fin triste a été le reflet des graves conflits et contradictions qui ont agité notre pays tout au long de l'exercice de sa souveraineté nationale depuis 1958.
La Guinée du P.D.G.
En effet, lorsque “vint la liberté” dans le contexte que nous connaissons, la première décennie fut marquée par une relative identité de vue des Guinéens sur la conduite des affaires du pays. Il en est résulté un renforcement des positions anticolonialistes et un désir commun de voir une indépendance réelle après la décolonisation.
Mais, hélas! les désaccords n'étaient pas loin. Le Parti Démocratique au pouvoir réprima toutes les oppositions. Des dizaines de nos compatriotes périrent dans des prisons, d'autres par milliers furent obligés de prendre le chemin de l'exil. Ce fut le cas de nombreux cadres intellectuels dont plusieurs ont écrit des romans et essais politiques pour faire connaître la Guinée du P.D.G., telle qu'ils pouvaient la voir de l'exil, c'est-à-dire à travers les images qui leur furent rapportées par les médias et par les relations personnelles.
On compte une demi-douzaine de titres dans cette catégorie, dont les livres du Dr Charles Diané, de Camara Laye …
Ensuite, il y a des productions dues à des compatriotes ayant fait de la prison et qui, après leur libération, ont pris le chemin de l'étranger. Ils ont écrit sur leur vie de détenus, ont relaté les peines subies par eux et par leurs compagnons de misère. Parmi ces rescapés, Alpha Abdoulaye Diallo, dit Porthos, auteur de La vérité du ministre, Mamadou Diallo 1 qui a retracé les circonstances de La mort de Diallo Telli … et, avant eux, Jean-Paul Alata (de double nationalité, française et guinéenne), qui a décrit la vie au Camp Boiro dans Prison d'Afrique …
La Guinée vue du dehors
Nous devons aussi de nombreux titres relatifs à notre pays à des étrangers qui y ont vécu ou en ont suivi l'évolution dans les trois phases de son histoire: la période précoloniale, la Guinée-Française et l'État souverain de Guinée. Leurs études donnent des points de vue généralement influencés par leurs opinions et jugements sur un pays d'outre-mer vu de chez eux. Il existe dans cette catégorie des oeuvres marquantes : Denise Paulme a écrit Les gens du riz (Kissi de la Guinée-Française) en 1953, A. Henry La sexualité en Guinée, Jean Suret-Canale La République de Guinée. D 'autres titres, beaucoup plus récents, sont dus à Claude Rivière, André Lewin La République de Guinée, Imré Marton La pensée politique du Président Sékou Touré, en collaboration avec Aimé Césaire, Jacques Rabemanajara et Jean Price-Mars …
La lecture des textes des étrangers ayant écrit sur notre pays fait naître des sentiments variés. Chez certains, on voit la volonté réelle de rendre la vérité scientifique telle que reçue à la suite de voyages, séjours et informations. Leurs études débouchent souvent sur une note réellement amicale pour ce “pays pauvre” à la recherche des voies du développement. Et cette amitié finit par habiller le reste.
D'autres ne sont préoccupés que par la vérité scientifique pure. Ils ne cherchent pas à plaire aux Guinéens ou à leurs amis. Ici, le mérite particulier réside dans le fait qu'une telle attitude ne s'observe pas sans se faire violence à soi-même pour rester véridique.
Enfin, on retrouve une dernière catégorie de récits, ceux qui témoignent d'une vision exotique : passion des masques anciens, joie de rencontrer des habitats rustiques et sordides, des vêtements singuliers … Ce n'est plus exactement le mépris avec lequel les Européens du XIXe siècle regardaient les Africains, mais on perçoit un reste de ce complexe qui ressemble fortement au mépris tout court.
Une écriture clandestine
Sur ce qui s'est passé depuis notre indépendance, chacun a un avis différent : le grand centre d'intérêt, c'est le peuple en lutte contre ses agresseurs (intérieurs ou étrangers) et toujours à la recherche d'une vie meilleure. Une telle analyse est forcément influencée par de nombreux facteurs, peut-être pas toujours subjectifs, mais fortement personnels. On y a souvent trouvé bruts, ou la démagogie ou le souci de la vengeance, parfois même la volonté manifeste de fuir des responsabilités pourtant clairement établies aux yeux du Guinéen.
Dans ces circonstances troubles, il n'est malheureusement pas rare de rencontrer des personnes (apparemment capables de faire objectivement la part des choses) se déterminer hâtivement pour l'option selon laquelle tout ce qui s'est passé depuis 1958 est mauvais en bloc et moralement négatif ou négligeable. Ces personnes ont le même comportement face à la littérature. Or, il a toujours existé en Guinée une écriture, clandestine ou déclarée, avec une couleur ou une autre selon les hommes et leurs visions ou interprétations des faits sociopolitiques.
Il vaut d'autant mieux le dire maintenant et à propos de tous les secteurs d'activités que demain l'histoire interrogera chacun à son tour et pas un autre à sa place. Son verdict sera ferme et indépendant ; aucun désir d'agir pour plaire au voisin ne sera pris en considération. Toutes les fautes et erreurs seront vues, quelles que soient les dispositions prises pour les dissimuler.
Rester vigilants
La vigilance doit faire en sorte que demain aucune autre dictature ne naisse pour évoluer insidieusement et agiter aussi profondément les bases qui font la fierté de notre pays. Les qualités humaines de notre peuple doivent aider les familles des victimes à ne pas éprouver des sentiments de vengeance. Nous ne dirons jamais assez que personne, sous quelque prétexte que ce soit, n'a le droit de supprimer la vie de son compatriote pour des différends politiques.
C'est pour cela que ceux qui ont disparu ont raison une fois pour toutes. Leur cause doit être défendue et leur mémoire grandie, car la patrie est pour tous les citoyens.
En conclusion, il faut noter que l'histoire des moments difficiles de la vie en Guinée n'a pas encore été écrite. Peut-être que l'essentiel n'est même pas encore formulé ; car les relations à venir seront passionnantes. Cela signifie que les études de demain, sur le terrain favori qu'est le socio-politique, seront lues avec un réel intérêt par ceux qui désirent tout savoir dans le but de porter un jugement correct, sans excès, extérieur aux manoeuvres dictées par l'intérêt personnel immédiat.
Lorsqu'on lit les livres de Mamadou 1 Diallo, Alpha Abdoulaye Diallo … la longue liste des Guinéens valeureux disparus de la pire des manières (fusillés, morts par diète noire, morts à la suite de torture … ) on a le souffle coupé avant de devenir extrêmement inquiet. D'abord on croit qu'il s'agit d'un conte de fées ou d'un rêve. Et, revenu à la triste réalité, on se rend compte de la nécessité pour notre peuple de faire appel à toute sa vigilance, tout son équilibre moral. Peut-être le temps est-il venu de parler objectivement des facteurs d'unité nationale et de la recherche d'un développement indépendant, en collaboration avec les autres nations décidées à respecter les choix et priorités de la Guinée.
Il ne s'agit plus de nous dissimuler ou de craindre quoi que ce soit; comme le disait le Général de Gaulle “quand on est un homme et un homme libre, on n'a pas le droit de se dissimuler”. Nous connaissons notre grand retard dans tous les domaines, nos carences et nos erreurs. Il reste à prendre le tout à bras-le-corps et à avancer comme il faut.
Notes
1. Erratum. L'auteur de La mort de Diallo Telli s'appelle Amadou Diallo.
2. On relève ici une généralisation vague sur l'écriture toma. La remarque de Tierno Mononembo ramène le rôle et la place de celle-ci à une plus juste proportion. [T.S. Bah]