webGuinée / Bibliothèque
Littérature francophone
Cheick Oumar Kanté
A Dongora, coulera à nouveau la rivière. Roman.
Riveneuve éditions. Paris. 2011. 268 pages |
|
« Des lecteurs de tous pays, de tous âges, de toutes conditions, des deux sexes, suggèrent à leur auteur favori un Grand Rendez-vous : un “apérEau-livres” suivi d'un Pique-Nique littéraire.
Le lieu des retrouvailles ? Dongora ! Bords de rivière d'une sorte de pays perdu évoqué dans une prose de l'auteur mais un paradis littéraire à gagner en participant à sa construction.
Parviendront-ils à le convaincre du bien-fondé d'une telle rencontre ? Réussiront-ils pendant ou après, sinon avant, à inspirer quoi que ce soit à l'écrivain ? D'ailleurs, tous lui sont-ils fidèles sans aucune arrière-pensée ? Et, un drame ne se profile-t-il pas à l'horizon ? »
(Extrait de la quatrième de couverture)
Le quatrième roman de Cheick Oumar Kanté (le dixième livre de sa bibliographie) est un texte à multiples entrées.
- La première d'entre elles : Qu'est-ce qui inspire Gandal Gando, l'écrivain ? La vie de tous les jours ? La volonté, la voix et/ou le « parfum » de Jessy Lane ? N'est-ce pas tout cela à la fois et beaucoup d'autres choses encore ? D'ailleurs, qui est cette dame dans son environnement intime si elle n'est ni sa femme ni son amante ? Pas réduite non plus à une sorte de muse et entretenant plutôt une liaison très forte – mais de quel ordre ? – avec Espérance, la compagne de l'auteur, ne pourrait-elle pas être tout simplement le personnage principal ?
- La deuxième : Pourquoi, à l'approche de la soixantaine, l'écrivain entreprend-il le « renouvellement de son écriture » ? Est-ce en réaction à la critique littéraire ? Ou encore à l'écoute de ses lecteurs ? Ou enfin à l'observation du travail de rénovation d'une maison de campagne voisine de la sienne par des ouvriers polonais ? Et, pourquoi pense-t-il devoir arrêter d'écrire à l'âge de soixante-dix ans ?
- La troisième : Comment continuer à écrire quand les lecteurs sont désormais moins nombreux que les internautes sinon en se connectant lui-même sur la Toile pour être, devant les fracas du monde, le plus réactif et le plus interactif possible ? « La visualisation numérique en 3D » ne rend-elle pas mieux compte de la beauté édénique de Dongora ? Et, pour reproduire les dialogues des temps présents, y a-t-il meilleur procédé que d'avoir, par moments, recours aux twitts ?
- La quatrième : « Serait-ce encore écrire que de frétiller comme un poisson rouge avec ses reflets flatteurs dans un bocal ? Ou tel un paon faisant la roue en permanence pour racoler autour de lui, fier (…) de son ramage et plus encore du plumage autour de son croupion ? Ou à l'instar d'un gecko ou d'une salamandre offrant à la vue générale ce qu'ils possèdent de plus précieux que « la prunelle des yeux » : leurs entrailles et leurs humeurs ? Ou, enfin, à l'image d'un caméléon faisant don de son corps à la branche d'arbre sur laquelle il se déplace ?… Écrire mieux, serait-ce le faire dans une transparence à en devenir translucide soi-même ? »
- La cinquième : Accourus du monde entier à Dongora, les lecteurs sont-ils tous bien-intentionnés ? À les entendre ou à lire certaines de leurs prises de position, n'est-il pas permis d'en douter ? Alors, un drame ne pourrait-il pas survenir à tout moment avec la complicité de quelques-uns d'entre eux ?
- La sixième : Le maître de cérémonie des Assises littéraires, Monsieur le Maire-Adjoint de Dongora, autre personnage incontournable du roman, qui rêve de « faire couler des torrents de Culture » dans sa Commune pour la transformer en « une Florence, une Athènes ou une Vilnius des Tropiques », n'a-t-il pas sous-estimé les menaces reçues de la part de groupuscules dits Compagnons de Prières ? Appuyés par Al-Qaïman, branche africaine d'une TrilAtérale terroriste, ces derniers n'ont-ils pas dit et répété avoir été « choqués par le projet de débauche pseudo-culturelle organisée par les ennemis de Dieu » ? « Une beuverie mondiale ponctuée par une fornication » de la même dimension, à leur avis.
De nombreuses autres entrées sont offertes. Alors, les « lectinternautes » ou les « lecteurnautes », tels que les appelle un des protagonistes inspirés du roman, ont vraiment le libre choix de celles qu'ils préfèrent…
A Dongora, coulera à nouveau la rivière est, en somme, un hymne à la femme et à sa voix. Une ode à son amitié et aux passions partagées avec elle. Mais aussi avec toutes les parties prenantes en littérature dont les figures tutélaires passées et présentes : africaines, caribéennes et mondiales, affleurent au fil des pages. Une littérature qui ne signifie surtout pas « l'éloge à tout crin du bien, du beau et du bon goût » mais plutôt « une grande élégance à parler même de ce qui pourrait paraître mal ou laid », comme le suggère l'écrivain imaginaire, celui dans le livre, à moins que ce ne soit une affirmation de son alter ego dans la réalité.
Une élégance rare donc, par les temps qui courent, ce roman de 268 pages à l'écriture aussi limpide que l'est, par endroits, l'eau de la Dongora et d'une tension dramatique, du début à la fin, soutenue ! Ceci grâce à un narrateur principal, bien relayé comme à une course olympique par un pseudo, un avatar, un Petit Horloger Complice et même par un lecteur, le bien surnommé Interpellateur du Ciel ! La technique narrative est, on ne peut plus, originale.