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Guinée. Prélude à l'indépendance.
Conférence des Commandants de Cercle. Conakry. 25-27 juillet 1957

Paris. Présence Africaine. 1958. 175 p.


Rapport de M. le Commandant de Cercle de Labé

Arbitrage des chefs, tribunaux coutumiers et tribunaux du premier degré

C'est une fois de plus à la base qu'il faut s'attaquer, mais moins peut-être à l'économie actuelle des juridictions qu'au statut et aux modes de recrutement de leur personnel.
Le rôle d'arbitrage des chefs avec son caractère bénévole doit être maintenu. Tout au plus pourrait-on entourer cet arbitrage de nouvelles garanties en le faisant obligatoirement assister de deux habitants du village désignés à l'occasion de chaque affaire par tirage au sort.
En ce qui concerne les juridictions proprement dites, dans ce domaine comme dans celui dés tribunaux du deuxième degré, les impératifs d'économie et d'efficacité se révèlent encore rontradictoires par certains de leurs aspects. La nécessité de rapprocher l'a justice des justiciables implique l'existence d'un tribunal coutumier au chef-lieu de chaque circonscription administrative et, par conséquent, l'ouverture d'une nouvelle juridiction de ce type chaque fois que sera envisagée la création d'un poste administratif. Ceci continuera à rendre quelque peu aléatoire la solution des problèmes que pose le désir de recruter un personnel au-dessus de tout soupçon et de toute critique.
Ausi bien là, devra-t-on surseoir à l'installation du système idéal qui serait celui de l'existence, dans chaque cercle, d'un tribunal de première instance unique obtenu par la fusion du tribunal coutumier et du tribunal de premier degré, siégeant en permanence et recrutant un personnel présentant, à la fois les meilleures garanties d'intégrité et de compétence.

Statut du Personnel

Le but primordial doit être ici de recruter pour chaque tribunal un personnel qui présente à la fois une parfaite qualification et des garanties indiscutables d'intégrité et d'impartialité. Le principe de la séparation des pouvoirs devra en outre être mis en application dans toute la mesure du possible. A l'heure actuelle, il ne l'est pas, car ce sont encore des fonctionnaires d'administration générale qui président les tribunaux du premier et du deuxième degré. Mais si l'exercice de la justice doit être à l'abri des interventions du pouvoir exécutif, elle doit lêtre, tout autant de celles du pouvoir politique.
Pour l'instant, en raison de la multiplicité qui demeure néces-saire dés juridictions de chaque ordre, il semble inévitable que les tribunaux du premier degré et deuxième degré soient présidés par des fonctionnaires d'administration générale, mais pas nécessairement par le Commandant de Cercle ou l'un de ses adjoints afin d'accélérer une africanisation souhaitable. La création d'un corps spécialisé de magistrats de Droit Coutumier, dont le recrutement sera entouré des mêmes garanties que celui des membres de la magistrature de Droit français, ne sera raisonnablement concevable que lorsque le nombre des postes à pourvoir aura été ramené à un nombre plus restreint (réforme des tribunaux du deuxième degré, fusion du tribunal coutumier et du tribunal du premier degré) et que leurs titulaires pourront être occupés à plein temps.
Là aussi il faut donc se contenter, pour l'heure, d'amender. Le personnel des tribunaux coutumiers n'a pas toujours gagné la confiance de la population et continue à faire l'objet des critiques et à être soupçonné en plus d'une occasion de concussion.
Certaines mesures peuvent être envisagées pour pallier, dans toute la mesure du possible, ces défauts. Le recrutement du personnel en cause doit continuer à se faire par désignation, celle-ci étant confiée par exemple, puisqu'il s'agit de l'ordre judicaire, au Procureur de la République après avis du Ministre de l'Intérieur et s'opérant sur des listes de candidats élus par la population.
Surtout l'installation du personnel devrait s'entourer de toute la solennité désirable et comporter la lecture de textes (encore à concevoir) prévoyant des peines extrêmement sévères pour réprimer toute irrégularité dans l'exercice des fonctions de ces magistrats et toute perception d'épices sous quelque forme que ce soit, en un inot toute atteinte à la règle d'impartialité. De plus, présidents et assesseurs devraient obligatoirement prêter serment public et solennel (sur le Coran pour les Musulmans) lors de leur prise de fonction.

Les textes et les voies d'exécution

Chaque race possède actuellement ses coutumes proprès, différentes plus ou moins de celles de ses voisins. Dans un premier stade il est donc indispensable que chaque tribunal soit pourvu d'un recueil écrit de l'ensemble des coutumes en vigueur dans son ressort et que la rédaction de ces coutumes ait été entourée du maximum de garanties. Cela est nécessaire pour la réforme à longue échéance des juridictions du deuxième degré précédemment exposée, mais cela l'est aussi pour que, dans un second stade, ces coutumiers puissent être minutieusement découpés en titres, en titres, articles et paragraphes. L'on pourra dès lors exiger que toute sentence rendue vise avec précision un ou plusieurs articles de ces coutumiers, ce qui, pour l'instant, n'est que rarement le cas.
En ce qui concerne la transformation des coutumes locales ellemem.es dans ce qu'elles peuvent avoir d'inadapté à la modernisation du pays et son expansion économique et sociale, il serait souhaitable que cette transformation se fasse non à l'échelon local, mais à l'échelon territorial, voire fédéral. Sans toutefois que œ principe prenne figure de maxime absolue, car l'Afrique présente encore trop de diversités pour que l'on puisse faire abstraction des particularismes locaux. Toute réforme dans ce domaine ferait d'ailleurs appel utilement à la consultation des milieux juridiques tant africains qu'européens.
Cette transformation par voie législative s'accompagnerait, de toute une élaboration jurisprudentielle, issue des décisions et de la doctrine progressivement mises au point par les tribunaux du deuxième. degré une fois que ceux-ci auront atteint leur structure rationnelle et définitive.
Enfin devrait être élaborée une conception plus hardie des voies d'exécution avec des astreintes, la possibilité de requérir auprès du Juge de paix, si nécessaire, des incarcérations et d'ordonner des saisies par voie d'huissier ad hoc. Parallèlement on pourrait, dès maintenant, envisager de rendre obligatoire pour le demandeur le dépôt d'une caution proportionnelle à sa cause, plus ou moins symbolique à l'origine, mais prenant progressivement de l'importance avec l'élévation du niveau de vie des populations. Outre qu'elle découragerait les plaideurs agissant par simple goût de la chicane, elle pourrait servir, une fois assortie d'une ébauche de système de condamnation, aux dépenses à couvrir partiellement les frais de l'appareil judicaire local.

En conclusion, la réforme de la justice de droit local devra comporter deux stades. Premier stade, le système actuel devant être considéré encore comme un moindre mal sera conservé, mais ,amendé. Dans un second stade, le développement des communications permettra un regroupement des juridictions et celles-ci se verront affecter un personnel qualifié à l'imale de la magistrature, de droit francais.
Il apparaît cependant, dans Labé tout au moins, que si la justice telle quelle est rendue actuellement peut prêter le flanc à la critique, la responsabilité en revient autant à la population, qu'aux organismes mis en place pour la rendre. Le Foulah est aussi mauvais plaideur qu'il est chicanier. Il procède par affirmations et non par démonstrations et, se borne ensuite à faire appuyer ses dires par un nombre plus ou moins grand de témoins. Comme son adversaire procède de même et n'éprouve jamais de difficultés à rassembler autant de témoins tout aussi affirmatifs, le tribunal ne se trouve guère plus avancé à la fin qu'au début de l'audience. Trop souvent ainsi le juge se voit pris dans le dilemme suivant : commettre un déni de justice en déboutant le demandeur pour insuffisance de preuves ou sortir de son rôle de juge qui, au civil, doit se limiter strictement à statuer sur ce que les parties lui apportent, autrement dit à juger sur pièces.
Aussi bien, il faut bien se résigner à conclure que tant que l'on en sera réduit à la preuve testimoniale, nulle réforme judiciaire ne sera réellement satisfaisante. Le Code Civil français fait une grande place au moyen de preuves. Une réforme de la Justice coutumière, pour être complète, devra viser à généraliser et faire entrer dans les moeurs des moyens de preuves plus modernes et plus convaincants que ceux qui sont actuellement pratiqués.


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