Paris. Présence Africaine. 1958. 175 p.
Cette conférence des Commandants de Cercle, nous le sentons tous, revêt une importance exceptionnelle et je veux, dès l'ouverture, attirer votre attention sur ce point.
Voilà huit mois que j'ai été désigné par le Gouvernement de la République à la tête de ce Territoire. Dès mon arrivée, j'ai tenu a réunir les Commandants de Cercle pour faire avec eux le point de la situation du Territoire et essayer de former une équipe afin qu'ensemble nous puissions travailler et affronter les difficultés auxquelles nous devions faire face. La période électorale s'est ouverte, la consultation populaire a pu se faire en toute tranquillité et liberté. Le Conseil de Gouvernement a été désigné et je sais que, depuis longtemps, vous attendez des instructions, ne sachant trop que faire.
Beaucoup d'entre vous n'ont pu trouver en eux-mêmes les motifs d'espérer et d'agir ; je sais qu'un malaise existe et que vous attendiez cette réunion avec impatience pour essayer de comprendre dans quelle mesure et comment les choses avaient changé, quel était votre rôle nouveau.
Si cette réunion n'a pas eu lieu plus tôt, c'est parce que le Conseil de Gouvernement a tenu à s'organiser, à s'installer avant de vous appeler pour examiner avec vous l'avenir de ce territoire et la façon dont l'amalgame indispensable doit se faire. Il ne faut pas que vous conceviez cette Conférence comme une conférence d'où il sortira des instructions, des ordres ; l'époque est passée du régime purement administratif. Le Conseil de Gouvernement, unanime, a dressé un ordre du jour qui vous a été communiqué et nous vous avons demandé d'étudier les points de cet ordre du jour et de venir, avec le dossier de chacun des problèmes énumérés.
Cette Conférence est une conférence d'information. Si le Conseil de Gouvernement vous demande votre avis, c'est parce qu'il a confiance en vous et qu'il veut connaître vos réactions sur les problèmes qui le préoccupent. Mais il faut aussi que vous compreniez la position des hommes qui, maintenant, dirigent la vie politique de ce Territoire. Notre rôle à nous, Administrateurs, c'est de les éclairer, de leur donner objectivement, loyalement, impartialement, tous les éléments de la décision, mais la décision sur ces problèmes territoriaux est maintenant leur fait. Et c'est quand ces décisions auront été prises par le Conseil de Gouvernement que vous seront transmises les instructions que vous aurez à appliquer.
Il faut que vous compreniez qu'il y a désormais deux vies distinctes dans le Territoire : une vie politique et une vie administrative ; que ces deux vies se trouvent confondues à l'échelon des Ministres et du Conseil de Gouvernement car, hommes politiques, élus, ils sont chargés de diriger l'Administration. L'Administration est non seulement neutre, mais elle est à la disposition du parti qui a eu la majorité et qui détient les leviers de commande.
Notre rôle, votre rôle, n'est pas de jouer un jeu, votre rôle est d'appliquer la politique du Conseil. Bien sûr, vous me direz que vous êtes également des fonctionnaires appartenant à des services d'Etat et que, dans vos ciconscriptions, vous représentez — comme je représente à l'échelon du Territoire — le Gouvernement de la République. Il y a en nous maintenant dualité de personnage, nous sommes à la fois territoriaux et d'Etat, mais n'est-ce pas la meilleure facon de servir l'Etat et la République française que d'oeuvrer dans le sens des intérêts territoriaux et de tout faire pour que se crée dans ce pays une véritable collaboration ?
Je souhaite que vous compreniez que les luttes politiques sont maintenant du passé, que ce qui compte c'est de construire une Afrique nouvelle, et la construction de cette Afrique nouvelle c'est à la fois la liquidation d'un certain passé, mais c'est surtout l'organisation d'une nouvelle structure plus démocratique et plus collective ; c'est surtout la primauté donnée aux problèmes économiques.
Beaucoup plus que les chefferies traditionnelles ou la justice traditionnelle, ce qui importe maintenant c'est l'organisation des collectivités rurales, des coopératives, de secteurs pilotes. Notre rôle à tous c'est de penser cette structure africaine nouvelle, d'en définir les éléments, et surtout d'aider les hommes, et les cadres nécessaires à se dégager et à se former.
C'est à cette oeuvre que vous convie le Conseil de Gouvernement. Le rôle de l'Administrateur n'est plus celui que l'on concevait autrefois ; le monde et les choses évoluent et il était normal que notre action, elle aussi, évoluât. Nous apportons à ce pays, que nous aimons, la foi dans notre mission, la conscience que nous avons d'agir pour l'intérêt général, le désintéressement de notre action. Si parfois notre attitude a pu être considérée comme rétrograde, comme cristallisant un passé, c'est peut-être parce que, aimant trop ce pays, nous cherchions à lui conserver ses traditions.
Mais si, maintenant, la question ne se pose plus, peut-on, en toute franchise, justifier notre attitude antérieure et penser que nous avions intérêt à considérer notre rôle comme à empêcher l'Afrique d'évoluer et de tenter de la cristalliser ? Le rôle des Administrateurs n'est pas terminé, quoi qu'en pensent certains, au contraire. L'Administration est, elle aussi, une technique, et l'exemple de ce qui se passe dans les pays qui ont atteint leur indépendance montre que tant que les cadres territoriaux ne sont pas suffisants en quantité et en qualité, il est nécessaire de faire appel aux bonnes volontés venant de l'extérieur.
Ce que je voudrais faire sentir, non seulement en tant que Président du Conseil de Gouvernement, mais surtout en tant qu'Administrateur qui a foi dans la politique que mène le Gouvernement, c'est que nous devons nous considérer comme toujours au service de cette communauté franco-africaine qui est notre but commun, qu'il nous faudra nous adapter à des méthodes nouvelles, peut-être même à une administration d'un genre nouveau. Il est peut-être nécessaire que ceux qui n'ont pas le courage ou qui ne sentent pas en eux la possibilité d'évoluer, de comprendre l'évolution, le reconnaissent loyalement, s'orientent vers la reconversion. Mais je veux le proclamer encore, j'ai foi dans la politique que nous devons mener, et c'est pour cela que le Conseil de Gouvernement vous demande d'avoir confiance, de comprendre que si vous semblez ne pas recevoir toute l'aide sur laquelle vous comptiez, cela n'est pas dû au désir de se passer du Commandant de Cercle, ou de les remplacer, mais bien plutôt procède du fait qu'il est nécessaire d'examiner, d'étudier tous les problèmes qui se posent avant de se lancer dans l'exécution de décisions hâtives.
Beaucoup d'entre vous ont pu se plaindre de ce qu'ils ne recevaient pas des responsables politiques toute l'aide et la collaboration qu'ils estimaient nécessaire. Vous devez comprendre que l'on ne passe pas sans transition de l'opposition à la responsabilité.
Comme le disait le Président Sékou Touré, il y a quelque temps, les membres du Conseil de Gouvernement sont décidés à prendre leurs responsabilités et même à encourir l'impopularité des mesures qu'ils décideront, mais il est nécessaire de peser tous les termes de la politique nouvelle, il est nécessaire de procéder à une action psychologique de propagande, de préparer les esprits ; c'est dans ce but que vous sera demandé votre avis sur une orientation nouvelle de la vie politique, économique et sociale du Territoire.
Je vous demande d'exprimer très franchement vos points de vue ; vous ne devez pas considérer que les Ministres ou le Gouverneur cherchent à vous prendre en défaut, cherchent à vous faire parler, à vous examiner pour faire retomber les répercussions des mesures qui seront prises sur vous. Encore une fois, je vous demande de parler librement, franchement, et de considérer que nous sommes tous ici, attelés à la même tâche et qu'il n'y a aucun désir, aucune intention, aucune volonté d'opposer les uns aux autres, mais au contraire de former entre tous une équipe où tous les membres tireront dans le même sens, qui est celui de la construction de ce pays, de sa marche vers l'avenir.
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