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André Lewin
Ahmed Sékou Touré (1922-1984).
Président de la Guinée de 1958 à 1984.

Paris. L'Harmattan. 2010. Volume IV. 236 pages


Chapitre 88. — 25 juin 1983
Les surprenantes retrouvailles de Jacques Foccart et de Sékou Touré


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Bien avant que l'auteur ne foulât pour la première fois le sol de la Guinée, il avait eu un premier signe du climat des relations entre la France et ce pays. C'était en 1967. Il était à cette époque le chef de cabinet d'André Bettencourt, alors secrétaire d'État aux affaires étrangères, dont on sait qu'il avait entretenu et maintenu des relations amicales avec Sékou Touré, avant comme après l'année 1958.
En 1967 donc, Sékou Touré envoie à André Bettencourt un assortiment de ses oeuvres, imprimées en Suisse et somptueusement reliées en cuir rouge, accompagnées de dédicaces flatteuses. L'auteur est chargé de rédiger une réponse. Il la fait polie et courtoise, assortie in fine du souhait qu'un jour, les choses aillent mieux entre les deux pays. André Bettencourt signe sans sourciller, puisque c'était ce qu'il pensait lui aussi. La lettre part pour Conakry, mais pas par la poste : elle est mise dans la valise diplomatique pour Rome, car c'est l'Italie qui, en cette période d'absence de relations diplomatiques, est chargée à Conakry des intérêts français, et donc de toutes les communications. L'ambassadeur de France à Rome était alors Étienne Burin des Roziers, ancien secrétaire général de l'Élysée, et donc collègue de Jacques Foccart. Sans doute intrigué par cette enveloppe avec le sigle du secrétaire d'État aux affaires étrangères et adressée au chef de l'État guinéen, Burin des Roziers renvoie la lettre, non pas à l'expéditeur, mais à l'Élysée. Quelles ne furent pas la surprise et la confusion d'André Bettencourt en recevant sa missive en retour avec cette annotation de la main même de Jacques Foccart : “un ministre de la République ne correspond pas avec un ennemi de la France” 155.
Pourtant, quelques années auparavant, le 2 octobre 1965, Jacques Foccart avait assisté à la réception donnée par l'ambassadeur de Guinée en France à l'occasion de la fête nationale de son pays, et sa présence avait été remarquée à Conakry, qui s'en était félicité. Un mois et demi plus tard, en novembre 1965 intervenait — pour dix ans — la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays, et Jacques Foccart, de même que deux ministres français, MM. Triboulet et Jacquinot, étaient mis en cause pour leur rôle supposé dans la préparation d' un nouveau complot.
Ayant maintenu des relations personnelles et amicales avec le leader guinéen après avoir quitté ses fonctions d'ambassadeur à Conakry fin 1979 et l'avoir revu depuis à plusieurs reprises, l'auteur n'en fut pas moins surpris de recevoir par un coup de téléphone direct, au printemps de 1983, une demande explicite de Sékou :
Pourriez-vous inviter de ma part monsieur Jacques Foccart à venir à Conakry comme hôte d'honneur des manifestations du 14 mai 1983, jour anniversaire de la fondation en 1947 du Parti Démocratique de Guinée ?
Quoi ? Sékou Touré souhaitait inviter à Conakry celui qu' il avait toujours présenté comme le grand ennemi de la Révolution guinéenne, celui qu'il avait, dans l'un de ses poèmes lourdement baptisé le “Faux Car de l'Élysée” 156, le même qu'il présentait dans ses discours comme mandaté par le général de Gaulle pour la “reconquête coloniale” de la Guinée, l'inspirateur des “menées anti-guinéennes”, l'organisateur de tous les complots, l'un de ceux dont le nom revenait sans cesse — aux côtés de celui des “traîtres” ou des “fantoches” Senghor et Houphouët — dans les dépositions arrachées par les moyens que l'on devine aux malheureux prisonniers du Camp Boiro accusés de comploter contre la Révolution de Sékou Touré.
En 1971, quelques mois après l'agression du 22 novembre 1970 157, Sékou Touré n'a pas modéré son hostilité à son égard. Évoquant “l'agression du 22 novembre dernier et l'action des puissances étrangères, appuyées par la cinquième colonne guinéenne”, il a une nouvelle fois violemment mis en cause le secrétaire général pour la Communauté et pour les affaires africaines et malgaches, qu'il a accusé d'être “le responsable numéro un de toutes les subversions organisées en Afrique, en Afrique de l'Ouest notamment, et particulièrement en Guinée”. Puis il a affirmé qu'il n'y aurait aucune normalisation des rapports franco-guinéens tant que M. Foccart “sera l'interprète de la France en Afrique”, ajoutant :
— Ce serait prétentieux et même une aberration de ma part de penser que le gouvernement français se séparerait d'un Français parce que la Guinée le veut. Mais c 'est aussi honnête de notre part que de dire qu'étant convaincu que M Foccart est dans tous les complots contre la Guinée, nous ne sommes pas prêts à coopérer avec l'équipe Foccart. 158
Dans un éditorial de Horoya titré “Bienvenue à M Foccard” (sic pour l'orthographe), sans nul doute inspiré — sinon écrit — par Sékou Touré lui-même, il est bien dit :

« Nous souhaitons donc une bienvenue authentique à Monsieur Foccard. Nous autres Guinéens regrettons toujours que Monsieur Foccard ne se mette pas à la tête de ses créatures-suicide. »

Mais il ne s'agit évidemment que d'une invitation ironique et provocatrice, bien éloignée de celle de 1983 159.
Au début de 1974 encore, Sékou Touré lui attribuait le même rôle négatif, en déclarant :

« A un moment donné, le gouvernement français avait voulu traiter honorablement avec le gouvernement guinéen, en admettant la réalité révolutionnaire guinéenne comme une donnée désormais irréversible et en se proposant de conclure avec notre gouvernement tous les accords compatibles avec les intérêts de la France et de la Guinée ainsi réconciliées. Mais il s'est trouvé deux chefs d'État africains et toujours le fameux Foccart pour convaincre à nouveau le gouvernement français de la possibilité de succès d'un coup d'État. Et comme je l'ai déjà dit, le frère Pompidou attend.
Il attendra indéfiniment. Quand le soleil commencera à se lever à l'Ouest et non à l'Est, alors la Guinée sera incluse dans le carcan néocolonial. » 160
En 1974-75, lors des deux années de négociations qu'il avait menées — sous la casquette de représentant personnel du secrétaire général de l'ONU — pour la normalisation des relations germano-guinéennes puis franco-guinéennes, et la libération des prisonniers politiques étrangers, l'auteur avait eu l'occasion de s'en entretenir à titre privé avec Jacques Foccart (qui n'était alors plus “aux affaires”, c'était après l'élection du président Giscard d'Estaing). Foccart l'avait constamment encouragé, et lui avait téléphoné ses félicitations personnelles lors de la normalisation du 14 juillet 1975. Il lui disait qu'il avait lui-même à plusieurs reprises plaidé auprès du général de Gaulle en faveur d'une reprise des relations avec Conakry, mais que celui-ci lui avait toujours répliqué :
— Laissez-moi donc tranquille avec “votre” Sékou Touré. 161
Lorsque l'auteur avait raconté tout cela à Sékou Touré, celui-ci n'avait eu qu'un sourire incrédule.
Mais cette fois-ci, l'auteur, qui croyait bien connaître Sékou Touré, avait été réellement surpris de sa démarche. En fait, Sékou était en pleine “offensive diplomatique” pour reprendre une place de choix dans le monde africain et celui des non-alignés, et il souhaitait normaliser ses relations personnelles y compris — et peut-être surtout — avec tous ceux qui l'avaient combattu et qu'il avait combattus ; il s'était réconcilié pour de bon avec Senghor et Houphouët lors du sommet de Monrovia en mars 1978 ; Giscard d'Estaing avait fait une éclatante visite officielle en Guinée à la fin de cette même année ; et Sékou Touré s'était — pour la première fois en 25 ans — rendu en France en septembre 1982, accueilli par François Mitterrand à l'Élysée, par Jacques Chirac à la mairie de Paris, par Gaston Defferre à la mairie de Marseille. Il lui restait à faire la paix avec de Gaulle, et faute de pouvoir le faire en personne, il voulait le faire par l'entremise de Jacques Foccart.
L'ambassadeur de Guinée en France, Aboubacar Somparé, contacta l'auteur peu après pour confirmer l'invitation, et lui dire qu'il se chargerait de délivrer le visa nécessaire pour le voyage de Foccart. L'auteur devait simplement lui apporter discrètement le passeport diplomatique de l'intéressé, car l'ambassade désirait garder à cette visite un caractère confidentiel.
L'auteur téléphona donc à Jacques Foccart 162. A sa grande surprise, celui-ci ne fut nullement étonné, et le pria de faire savoir à Sékou qu'il était heureux d'accepter cette invitation, mais que la date du 14 mai ne lui convenait pas en raison d'engagements antérieurs. C'est donc finalement la journée du 25 juin 1983 que Jacques Foccart passa à Conakry. Les deux hommes ne s'étaient pas vus depuis la visite historique du général de Gaulle à Conakry, le 25 août 1958, près de vingt-cinq années auparavant.
A son retour, l'auteur demanda à Jacques Foccart comment s'était passée la rencontre.
— Très bien, très intéressante, très émouvante même, répondit-il. Nous avions des foules de choses à nous dire, de problèmes, de reproches, de vérités et de mensonges à évoquer … Nous avons passé de longues heures ensemble, jusque tard dans la nuit. Et puis Sékou Touré m'a demandé mon avis sur plusieurs sujets africains importants dans l'optique du futur Sommet de l'OUA, qu'il compte présider à Conakry en 1984. C'était passionnant, mais une journée ne suffisait pas. Nous avons par conséquent convenu de nous revoir régulièrement. Je retournerai donc le voir d'ici quelque temps.
Seul témoignage d'un tiers sur cette rencontre, celui-ci de Maria Bernadette Diallo, une métisse guinée-brésilienne, l'une des très rares à se dire ancienne maîtresse de Sékou Touré, toujours plus ou moins à son service à l'époque, et dont il est difficile de mesurer la crédibilité. Selon elle :
— Croyez moi si le vous voulez, mais j'ai vu un jour Foccart présenter des excuses au président pour tous les malentendus du passé. Sékou Touré se leva alors et demanda au cuisinier d'apporter à boire et à manger. Ils ont passé l'après-midi ensemble et Jacques Foccart est reparti le soir sur Abidjan 163.
Et puis il y a le récit que Jacques Foccart fait lui-même de cette rencontre insolite, que l'on trouvera en annexe.
Quelques mois plus tard, en mars 1984, la mort de Sékou Touré mettait fin à ce projet de nouvelle rencontre, et même de coopération, entre deux hommes qui s'étaient affrontés pendant un quart de siècle. Lors des obsèques, auxquelles l'auteur assista, c'est Pierre Mauroy, Premier ministre, qui représentait la France, en compagnie de Christian Nucci, ministre de la coopération, et de Guy Penne, conseiller du président François Mitterrand pour l'Afrique. L'auteur avait téléphoné à Jacques Foccart peu avant de se rendre à Conakry ; ce dernier était plus ému qu'on aurait pu le croire, et demanda à l'auteur d'avoir en son nom une pensée particulière devant le catafalque du disparu. Jacques Foccart lui-même décédera le 19 mars 1997, treize ans presque jour pour jour après Sékou Touré.
Un mot encore sur ce “fameux complot permanent”, dont Sékou Touré affirmait qu'il avait en permanence menacé la Guinée, composé en fait de tout une série de complots spécifiques qui ont coûté la liberté et souvent la vie à beaucoup de cadres ou simples citoyens guinéens, parfois aussi des étrangers, africains ou non. Il paraît difficile d'affirmer que Jacques Foccart n'y a jamais joué le moindre rôle, au minimum qu'il n'ait pas été “au parfum”, selon l'expression consacrée. Lui-même s'en défend. Mais Pierre Messmer, dans le tome 2 de ses Mémoires (parus en 1998) donne également des précisions sur ces complots, contredisant Jacques Foccart, qu'il met également en cause en une autre occasion 164 , en écrivant :

« Jacques Foccart a essayé de monter une opération pour renverser Sékou Touré dans le courant de l'année 1959-60. C'est après l'indépendance de la Guinée que Foccart et les services secrets français ont commencé à monter ce coup qui a été un ratage complet, pour des raisons qui sont presque ridicules … mais c'est une autre affaire. Mamadou Dia ne vous a pas trompés, ce qu'il vous a dit est la vérité, il y a bien eu une tentative, une tentative qui a été montée principalement à partir du Sénégal ; accessoirement à partir de la Côte-d'lvoire 165. L'objectif était de se servir de l'opposition latente des Peuls du Fouta-Djalon, et de les soulever contre Sékou Touré. Mais l'opération n'a pas marché parce qu 'elle a été décelée à temps par Sékou Touré, et par conséquent, elle a été démontée. Il y a eu une préparation, mais une préparation qui n'a pas abouti à une tentative de coup d'État ou de putsch. Dans l'esprit de Foccart, le but précis de l'opération était de faire sauter Sékou Touré. C'est évident. »

Notes
155. A la même époque, Jacques Foccart évoque la Guinée dans son livre : Tous les soirs avec de Gaulle, Journal de l'Élysée 1, 1965-1967, Paris, Fayard/Jeune Afrique, 1997). 10 février 1967. Une note que j 'avais faite au sujet de la Guinée m'est revenue avec une annotation très ferme (du Général de Gaulle) : “La Guinée a rompu ses relations diplomatiques avec la France. Dans ces conditions, aucun accord d'aucune sorte et sous aucune forme ne peut être conclu avec le gouvernement de Sékou Touré. D'une manière plus générale, nous ne devons pas mollir en ce qui concerne ce gouvernement. Or je note et je désapprouve la tendance à le faire qui se manifeste à divers égards.”
Le Général demande :
— Je voudrais bien savoir qui a cette tendance fâcheuse à courir après les Guinéens ; ce doit être les types du Quai d'Orsay.
— Ce ne sont pas spécialement eux. Je constate, d'une façon générale, que ce soit pour la Guinée, que ce soit pour le Mali, que le Général est très méfiant ; il a l'impression qu'on veut l'embarquer dans une action favorable à ces pays, alors que lui n'y tient pas du tout. Je dois le dire, alors que dans ces pays je suis considéré comme un adversaire de leur régime, le Général aurait plutôt tendance à voir en moi un pro-malien ou un pro-guinéen. C'est même assez curieux de constater combien les Maliens, les Guinéens, comme les Congolais d'ailleurs, se trompent en ce qui me concerne. En fin de compte, mon souci est que les choses marchent aussi bien que possible avec tous ces pays et que, par conséquent, les relations soient bonnes. De ce fait, loin de travailler contre eux, je travaille à améliorer les relations sans pour autant, comme le Général m'en accuse, être pro-malien ou pro-guinéen.
156. Voir en annexe des extraits de ce poème, écrit le 5 décembre 1970.
157. Sur le rôle joué par Jacques Foccart dans cette opération, raconté par un témoin direct, voir en annexe au chapitre 65 sur le débarquement à Conakry des forces portugaises et des exilés guinéens, le témoignage de Pierre Clostermann, le pilote aux 33 victoires aériennes pendant le deuxième conflit mondial, Compagnon de la libération, huit fois député à l'Assemblée nationale, auteur du livre Le Grand Cirque.
158. Interview à Visnews (retransmise par l'agence Reuters) en mai 1971
159. Horoya, 7 septembre 1971
160. Interview accordée à Simon Malley, du périodique Afrique-Asie, 3 mars 1974
161. La consultation des archives Foccart aux Archives nationales prouve que c'est bien exact. Alors que la Guinée ne faisait évidemment pas partie de la Communauté et ne relevait donc pas institutionnellement de la compétence du Secrétariat général de la Communauté, Jacques Foccart (qui vient de succéder dans ses fonctions à Raymond Janot) a suggéré au général de Gaulle, par une note du 27 décembre 1961, que “surtout vu l'évolution récente de la situation en Guinée”, ce soit le secrétariat général pour la Présidence de la Communauté et les affaires africaines et malgaches (le titre venait d'être ainsi complété) qui s'occupe désormais officiellement (car il les suivait déjà officieusement) des relations avec la Guinée (“leur normalisation est une hypothèse qui paraît devoir être retenue”). “Ce secrétariat général paraît qualifié pour assumer cette mission sans qu'il en résulte une tâche supplémentaire”. Cette note comporte une mention manuscrite de Foccart :
— Le général m'a parlé lui-même de cette question et souhaite que le secrétaire général s'occupe des problèmes de la Guinée.
Une autre mention manuscrite précise : — M. de Courcel (le secrétaire général de l'Élysée) pas d'accord.
Les archives Foccart comportent un grand nombre de notes ou de télégrammes suggérant des initiatives ou des gestes concernant la Guinée ; la plupart d'entre elles portent un avis positif de Jacques Foccart, mais reviennent du bureau du général avec la mention “Refus”, souvent avec une annotation très négative ; ainsi, sur une note du 8 août 1961 de Foccart relatant la détérioration des relations entre la Guinée et les pays de l'Est (et qui ne suggère d'ailleurs aucune mesure en faveur de la Guinée), de Gaulle note en marge :
— Il ne s'agit pas de retourner à un attendrissement au sujet de la Guinée. Si elle est déçue de ses amitiés soviétiques, tant pis pour elle. Si elle recommence à nous désirer, ce n'est pas le moment de nous livrer pour rien. Nous devons les laisser cuire dans leur jus. Je veux être tenu au courant de tout ce qui pourrait être sollicité du côté de Konakry, notamment en fait d'accords sur n'importe quel sujet.
162. Il était en liaison épisodique avec lui , soit directement, soit en liaison avec M. Béchir Ben Yahmed, le président directeur général de Jeune Afrique. Jacques Foccart, qui avait toujours approuvé et soutenu les efforts de l' auteur pour normaliser les relations franco-guinéennes, avait même adhéré comme membre bienfaiteur à l'Association d'amitié France-Guinée qu'il avait fondée à son retour de Guinée en 1980.
163. “Elle raconte”, propos de Maria Bernadette Diallo recueillis par Francis Kpatindé, Jeune Afrique Magazine, n° 28 bis, août 1986
164. Dans ses conversations avec Valéry Gaillard pour le film Le jour où la Guinée a dit : non.. Paris, Les films d'ici, 1998.
165. "Quand Sékou Touré a parlé de complots organisés à partir du Sénégal, tout le monde a ri. On disait que c'était encore une invention de sa part. Mon devoir était de faire une enquête. Alors j'ai fait fouiller toute la frontière. Et on a découvert les fameuses munitions, les tracts … qui étaient destinés à la contre-révolution. Il y avait bel et bien complot. J'ai fait arrêter des suspects, des Guinéens qui vivaient à Dakar et un militaire français qui était chef de l'organisation ; il résidait à Saint-Louis où je l'avais fait interner. On l'a fait évader.” (Mamadou Dia, Mémoires d'un militant du Tiers Monde, Paris, Publisud, 1964). Peut-être plus explicite encore, ce que le même Mamadou Dia écrit dans ses “lettres d'un vieux militant” (Dakar, GIA, 1991) : “Pour revenir sur le cas de la Guinée, disons que le fait d'avoir voté "Non" au référendum lui a valu d'essuyer maints complots ourdis par l'extérieur. En 1959, hélas, les comploteurs étaient bel et bien basés et entraînés au Sénégal. Après le communiqué de Sékou Touré diffusé à l'époque par Radio-Conakry, communiqué dans lequel le président guinéen accusait le Sénégal, j'ai dû me rendre personnellement à la frontière de Kédougou pour vérifier et, procédant à des fouilles, je découvris à mon grand désappointement, des armes et du matériel que je fis saisir et ramener à Dakar. A Dakar où — ce sera une seconde découverte — était dressé un camp d'entraînement pour des mercenaires. Le Conseil de défense, où siégeaient notamment le Haut Commissaire de la France, le Général Commandant Supérieur des Forces françaises du Point d'Appui de Dakar, le Général Commandant la zone Nord, fut immédiatement convoqué par mes soins. Ils se montreront offusqués par ma déclaration liminaire :
— Messieurs, je suis au regret de vous dire que tout ce que Sékou Touré a affirmé est la stricte vérité. J'ai la preuve qu'un complot contre la Guinée s'est ourdi à Dakar.
Je les invitai, ensuite, à venir voir dans un bureau attenant à la salle de conseil, les armes, munitions, grenades et affiches que j'y avais fait entreposer.
Après quoi, j'adressai à de Gaulle une vigoureuse lettre de protestation et fis arrêter deux Français impliqués dans l'affaire. Ils réussiront à s'enfuir. Je les ferai prendre et emprisonner à Saint-Louis; on les aidera à s'évader. Des Guinéens, également, avaient été arrêtés; mais ce qu'ils déclareront à l'enquête était si grave que je dus, pour des raisons d'État, les relâcher.
Aujourd'hui, bien que délié de mes obligations d'autrefois, je garde encore le silence là-dessus par souci de déontologie politique. »
Le 13 mai 1960, Mamadou Dia adresse au général de Gaulle une lettre dans laquelle il relate de manière détaillée les faits ci-dessus, en particulier la découverte faite le 10 mai dans un village de la région de Kédougou à 4 kilomètres de la frontière guinéenne, la réunion qu'il eut avec le Haut Représentant de la France (l'ambassadeur et ex-général Hettier de Boislambert) et le général de Brebisson, ainsi que le nom de deux français, un officier de parachutistes nommé Garuz, et son frère, impliqués dans cette affaire. Le 24 mai, le général de Gaulle répond en ces termes à Mamadou Dia : — L'affaire exposée dans la lettre que m'a remise le colonel Fall méritait en effet que j'en sois avisé et j'ai apprécié l'esprit dans lequel vous l'avez fait. Je transmets ce document au ministre compétent et je lui demande d'ouvrir une enquête. Lorsque de votre côté vous aurez des éléments nouveaux à me communiquer, je les recueillerai avec intérêt. De toutes façons, si vous venez à Paris, je vous verrai très volontiers. Mamadou Dia viendra en effet plusieurs fois à Paris avant son arrestation fin 1962. Lors d'une de ces visites, il sera même fait grand croix de l'ordre de la Légion d'honneur (Archives Foccart, carton 80, dossier 268).

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Fulbright Scholar. Rockefeller Foundation Fellow. Internet Society Pioneer. Smithsonian Research Associate.