Extraits de “Les relations internationales de la République de Guinée”
(Colston Papers, Rapport du 25ème symposium de la Société Colston pour la recherche
Université de Bristol, avril 1973, Butterworths Scientific Publications, Londres)
“Le président Kennedy avait cru habile de désigner comme premier ambassadeur en Guinée un universitaire noir, romanisant distingué, le professeur Morrow (NB : en fait, Morrow est devenu ambassadeur en 1959 et a donc été désigné par Eisenhower). Il n'est pas certain que ce choix ait été, sous son aspect racial, compris et apprécié en Guinée : métis à peine teinté, le professeur Morrow était un Noir suivant les normes américaines, mais un Blanc pour les Guinéens, accoutumés à classer les métis du côté des Blancs, suivant la norme coloniale française.
Ce choix devait avoir d'autres inconvénients : le professeur Morrow n'étant ni un homme d'affaires puissant, ni un diplomate de carrière, il semble que le personnel de l'ambassade, et plus particulièrement le premier secrétaire, qui était, lui, un homme du Département d'État, aient considéré le professeur Morrow comme un ambassadeur pour la forme, et ceci jusqu'à le laisser paraître dans leur comportement public. Que cette situation ait reflété certains réflexes racistes du personnel de l'ambassade, ou simplement sa réserve à l'égard d'un homme qui n'appartenait pas à la “carrière”, elle devait entraîner des frictions, et une situation gênante, d'autant qu'à côté du premier secrétaire, qui se comportait trop souvent comme le véritable ambassadeur, un troisième personnage, aux fonctions officielles relativement secondaires, mais passant pour être le responsable local de la CIA, se mêlait également de toutes sortes d'affaires qui n'apparaissaient pas de sa compétence.
L'ambassade américaine ouvrit un centre culturel, comportant une riche bibliothèque en langue française, développant ses relations publiques, multipliant séances artistiques, causeries, accordant des bourses d'études. Si beaucoup de Guinéens s'empressèrent de profiter de ces facilités, il ne semble pas qu'ils aient été par là acquis aux conceptions américaines. D'autant que la propagande américaine, parfois très discrète — et alors efficace — était parfois aussi fort maladroite. Je me souviens d'avoir assisté à l'entretien, en 1961, d'une délégation de Mouvements de la Jeunesse américaine avec les élèves du Lycée de Donka dont j'étais le proviseur. Lorsqu'un jeune Noir, membre de cette délégation, expliqua aux Guinéens que le problème racial était pratiquement résolu aux États-Unis, que la discrimination raciale n'y existait plus, en dehors de quelques séquelles dans la mentalité, et que ceux qui prétendaient le contraire étaient des agents de la propagande communiste, cette déclaration souleva des mouvements divers parmi les jeunes Guinéens dont un certain nombre suivaient de près la presse américaine et étaient fort au courant des réalités aux États-Unis. J'en entendis plusieurs dire à mi-voix : “Est-ce qu'ils nous prennent pour des imbéciles ?”
L'ambassade américaine n'avait pas demandé l'autorisation d'ouvrir son centre culturel et le gouvernement guinéen suivait avec mauvaise humeur tout ce qui était fait pour s'attacher certains jeunes Guinéens (invitations, cadeaux, etc.). Lorsque — sans avoir demandé l'avis du gouvernement — l'ambassade décida d'ouvrir une salle de projection cinématographique, le gouvernement guinéen jugea la mesure comble et exigea la fermeture du centre culturel, dont la bibliothèque fut répartie entre les établissements scolaires.
Le remplacement du professeur Morrow par un journaliste d'une revue à sensation (Look), M. Attwood, devait soulever quelque étonnement ; le comportement assez “décontracté” de M. Attwood ne paraît pas avoir modifié particulièrement la situation. Mais c'est durant sa mission que la situation allait changer, suite au refroidissement des relations avec l'Union Soviétique et les pays socialistes d'Europe.
L'année 1962 est marquée par l'adoption d'un nouveau code des investissements, aussi libéral à l'égard des investisseurs étrangers que le précédent était sévère, ainsi que par l'admission de la Guinée par la BIRD.
Jusque-là réservé en matière économique et se limitant à une politique de présence, mais sans initiative, le gouvernement américain devient progressivement plus actif à partir de 1962, peut-être poussé par les milieux d'affaires qui s'intéressent à la bauxite guinéenne (un accord est conclu en 1963 entre le gouvernement guinéen et la firme Harvey pour la mise en exploitation des Bauxites de Boké). En octobre 1963, les concours américains fournis depuis l'indépendance atteignaient déjà 39 millions de dollars. Un nouveau accord conclu en juin 1964 permit à la Guinée de bénéficier plus largement des livraisons de surplus alimentaires américaines (farine, lait en poudre, mais surtout riz), dont la contre-valeur en francs guinéens devait être versée en banque pour financer d'éventuels projets de développement communs (3,5 millions de dollars par an, contre 3 millions en 1963). Le “Corps de la paix” américain multiplia ses détachements en divers points de la Guinée. La firme américaine de camions Mack Trucks installa une usine de montage et Harvey un atelier de fabrication d'ustensiles ménagers en aluminium. En 1966, les concours américains atteignent 24,6 millions de dollars. Cette même année l'accord définitif est conclu avec Harvey (qui s'est associé les principaux "grands" de l'aluminium, dont l'ALCOA, la plus puissante firme américaine de la spécialité) et le projet de Boké reçoit le concours de la BIRD.
Alors, brusquement, c'est la crise. Des ministres guinéens voyageant sur un avion de la Panamerican Airways (PANAM) sont arrêtés à Accra par les militaires qui viennent de renverser Nkrumah, réfugié en Guinée. Le gouvernement guinéen tient le gouvernement américain pour responsable, expulse le "Corps de la Paix", met en résidence surveillée les ressortissants américains.
Faut-il y voir une mesure de rétorsion ? (les crédits US ont été pour 1967 réduits à 6,8 millions de dollars). Ou une occasion saisie pour porter un coup d'arrêt à une présence envahissante et jugée périlleuse? La Chine populaire s'efforce de suppléer aux livraisons de riz suspendues …
Le raccommodement viendra assez vite. De part et d'autre, on tient à la réalisation du projet de Boké qui met en cause des intérêts trop considérables pour s'exposer à une rupture. Mais les rapports resteront limités aux livraisons du Food for peace (les autorités américaines avaient d'abord exigé de procéder elles-mêmes aux distributions alimentaires. Le gouvernement guinéen s'y opposa catégoriquement et eut finalement gain de cause) et à la poursuite du projet de Boké, d'ailleurs liés (la contre-valeur des produits alimentaires américains doit financer les dépenses en monnaie locale du projet).
Les prises de positions de plus en plus affirmées de la Guinée (jusque-là très réservée, en dehors de l'existence de rapports diplomatiques et d'une assistance technique de la part de ces pays) en faveur de Cuba et de la République démocratique du Viet-Nam mettent en état de gel les relations proprement politiques.”
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