Le professeur Jean Suret-Canale fait un commentaire sur ce “curieux personnage, homosexuel, ancien alcoolique désintoxiqué”, qui mettait en forme pour publication les discours que prononçait Sékou Touré (et que ce dernier préparait en général lui-même la nuit). Une seule fois, selon Suret-Canale, Sékou Touré a même confié la rédaction d'un article à Boyer : il s'agissait d'un hommage à Picasso pour son 80ème anniversaire, que lui avait demandé la revue (communiste) Nouvelle Critique (où il est effectivement paru ; voir plus loin en annexe); mais lorsque, conformément à l'habitude, Boyer en entreprit la diffusion à Radio Conakry, Sékou Touré fit immédiatement interrompre l'émission ! Boyer est un jour parti précipitamment pour la France, en raison de la maladie ou du décès d'un proche (mère ou soeur), et il n'est jamais réapparu à Conakry, y laissant toutes ses affaires et effets personnels, y compris une Bible de famille.” (lettre de Jean Suret-Canale à l'auteur, 8 septembre 2000).
Selon l'ancien ministre Alassane Diop, Boyer a en fait disparu “avec une partie de la caisse” (conversation téléphonique avec l'auteur depuis Dakar, 16 mars 2002).
Boyer avait en effet la possibilité — via la Banque Guinéenne du Commerce Extérieur — de faire virer à l'étranger des sommes importantes, comme le montre le témoignage de l'imprimeur suisse chargé après 1966 de l'impression des ouvrages de Sékou Touré, Philippe Kundig, propriétaire de l'imprimerie SRO-Kundig de Genève, qui a de Boyer encore une autre opinion : “Le contact le plus direct (avec la Guinée) fut M. Louis-Sylla Boyer, conseiller du président Sékou Touré, qui était en relation avec Maître Nicollet, avocat à Genève, lui-même connaissant personnellement le président. Les manuscrits nous étaient remis par M. Boyer, soit en venant à Genève, soit par courrier. C'est à lui que nous envoyions les épreuves et qui nous renvoyait les bons à tirer. En juin 1966, M. Boyer est venu demander confirmation de notre devis pour le tome XIII, proposant d'abord un accréditif, exigeant une livraison dans les trois mois. Devant ma réticence, il est revenu le lendemain avec un chèque de fr. (suisses) 125.000. — (total du devis) en disant “maintenant que vous êtes payé, vous ne pouvez pas vous dérober”. Et le délai a été tenu ! C'est probablement aussi pour cette raison que nous avons reçu d'autres commandes … J'ai vu quelques lettres de M. Boyer sur en-tête de l'Imprimerie Lumumba. M. Boyer était un personnage. Petit, mince, direct, cultivé, mais on sentait tout de suite qu'il ne fallait pas lui marcher sur les pieds. J'ai toujours eu l'impression qu'il était d'une grande famille et de très bonne éducation et qu'il était parti à l'aventure. D'esprit très
clair (son écriture montre un esprit organisé), c'est lui qui a trouvé la solution du transport; le relieur prévoyait des emballages solides et plutôt sophistiqués (donc chers), M. Boyer a donné l'instruction de mettre simplement des paquets de livres sur des palettes cerclées. Les avions qui les transportaient étaient généralement des appareils soviétiques (ou guinéens, mais affrétés par l'Union soviétique dans le cadre de ses programmes d'aide), qui emmenaient des étudiants guinéens à Moscou et qui à leur retour sur la Guinée chargeaient les palettes de livres. Selon M. Boyer, la Guinée préférait envoyer ses étudiants à Moscou plutôt que dans des pays occidentaux, car ils n'avaient pas trop envie d'y rester définitivement. M. Boyer m'a raconté peu à peu ses souvenirs de guerre ; il avait fait la campagne de l'Afrique (peut-être avec Leclerc ?) à l'Italie et je crois même jusqu'en Allemagne; il était respecté de ses hommes (noirs essentiellement), en particulier parce qu'il avait la “baraka”, réussissant par exemple à leur faire traverser des champs de mine sans pertes.” (deux lettres de Philippe Kundig à l'auteur, en date du 10 janvier et du 15 février 2002).
Le Tome XIII des oeuvres de Sékou Touré (le premier à avoir été imprimé chez Kundig) a été tiré à 40.000 exemplaires, et un avion spécial Ilioutchine 18 d'Air Guinée est venu les chercher à Genève le 4 décembre 1966 (cela représente un chargement de 11 tonnes) ; 40.000 exemplaires du tome X destinés au Sème Congrès du PDG sont expédiés par avion en septembre 1967. Le tirage moyen est de 10.000 à 20.000 exemplaires, et un nombre variable (de 500 à 1 000) sont reliés en similicuir pour être envoyés ou remis à des personnalités.
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